Traçage des Québécois

Feu vert à une application, Apple et Google sollicités

Plusieurs ministères québécois ont donné leur aval au déploiement d’une application mobile de traçage utilisant les technologies Bluetooth et GPS des téléphones cellulaires pour évaluer les risques d’infection des Québécois à la COVID-19. Ses développeurs négocient avec Google et Apple pour que l’application fournisse aussi des données de géolocalisation anonymisées à la Santé publique, a appris La Presse.

Depuis le début de la pandémie, des dizaines d’États ont adopté de telles applications mobiles, afin de suivre la propagation du virus et d’alerter les utilisateurs qui ont croisé une personne infectée. Une véritable course a lieu en Amérique et en Europe afin de concevoir des solutions moins intrusives, qui respectent les lois sur la protection de la vie privée.

Différentes sources indiquent que le gouvernement du Québec privilégie une application conçue par Mila, le laboratoire d’intelligence artificielle de l’Université de Montréal et de l’Université McGill, sous la direction de la sommité mondiale Yoshua Bengio. 

L’application a été présentée à plusieurs ministères, mais celui de la Santé et des Services sociaux n’a pas encore donné son feu vert. « Il reste à déterminer quels sont les besoins de la Santé publique. Il y a toute une question de vie privée et de protection des renseignements personnels qui entre en jeu. Il va falloir poursuivre l’exploration de l’application pour s’assurer qu’elle respecte les plus hauts standards en la matière », indique Marie Barrette, directrice des communications du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant.

Québec tient à ce que l’adoption de l’application soit entièrement volontaire. Personne ne sera forcé à l’installer.

Selon les détails obtenus par La Presse, l’application de Mila utilise la technologie Bluetooth pour déterminer si deux personnes ont été en contact au cours des 14 derniers jours. Ces données d’interaction demeurent entièrement sur le téléphone de l’utilisateur, et ne sont partagées volontairement que lorsqu’un individu obtient un diagnostic positif à la COVID-19. Une clé d’accès lui est alors fournie par la Santé publique lui permettant de télécharger ses données vers une série de serveurs chiffrés appelés « mix-net ». Ces serveurs seront vraisemblablement hébergés par différentes universités plutôt que par le gouvernement.

« Les données individuelles personnalisées ne seront jamais partagées directement avec les autorités gouvernementales », assure Richard Janda, professeur de droit à McGill qui s’occupe du volet juridique et vie privée du projet de Mila. C’est par ailleurs un logiciel d’intelligence artificielle qui les analysera, qui déterminera un « score de risque » et qui poussera une notification vers les utilisateurs basée sur les recommandations de la Santé publique. 

« Le gros avantage de l’intelligence artificielle, c’est sa capacité d’apprendre, affirme M. Janda. L’algorithme pourra éventuellement faire des croisements entre les données massives et découvrir des tendances qu’on ne peut pas voir avec nos calculs. » Cette approche est déjà utilisée pour analyser des scans complexes en oncologie, par exemple.

En discussion avec Apple et Google

L’équipe de Mila souhaite aussi fournir aux autorités de santé publique des données de géolocalisation anonymisées provenant des puces GPS des téléphones d’utilisateurs infectés, afin de les aider à suivre l’évolution épidémiologique du virus.

Google et Apple, dont les systèmes d’exploitation sont installés sur l’immense majorité des téléphones intelligents, ont annoncé à la mi-avril qu’ils fourniraient des kits de développement aux programmeurs de partout dans le monde pour leur permettre d’utiliser la technologie Bluetooth de façon optimale. Les deux géants ont cependant annoncé qu’ils empêcheraient la puce GPS des téléphones de fonctionner simultanément avec la technologie Bluetooth afin d’empêcher la récolte de données sensibles révélant trop de détails sur les comportements des utilisateurs.

M. Janda indique que Mila a toutefois des discussions avec Google et Apple pour les convaincre d’adopter un compromis. « Tout ce que nous voulons, c’est d’être capables d’avoir une idée des points chauds. On n’est pas obligés de savoir que telle personne se trouvait à tel coin de rue à telle heure. » 

« Si on pouvait avoir une idée du quartier ou, à la limite, de certains lieux, comme des épiceries, où il y a beaucoup d’infections, ça pourrait aider grandement la Santé publique. »

— Richard Janda, du projet Mila

Si Google et Apple refusent ce compromis, l’équipe de Mila pourrait programmer ses propres lignes de code pour contourner le problème. C’est l’approche utilisée par le gouvernement du Royaume-Uni et celui de l’Alberta, qui ont lancé leurs propres applications récemment. Celles-ci ont cependant de sérieux problèmes de robustesse, de fiabilité et de comptabilité, particulièrement avec les appareils iPhone. Le traçage Bluetooth ne fonctionne que lorsque l’application est ouverte au premier plan, ce qui draine la batterie et oblige les utilisateurs à relancer l’application régulièrement.

Mila collabore par ailleurs avec le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada et avec la Commission d’accès à l’information du Québec pour s’assurer que l’application et son mécanisme de serveurs chiffrés protégeront les données personnelles des utilisateurs. « Nous avons adopté une approche qui rend très difficile et coûteux en efforts pour un individu de mettre la main sur les données individuelles et d’essayer de trouver des boucs émissaires », affirme M. Janda.

Le code complet de l’application sera rendu public (open source) pour que la communauté informatique puisse l’examiner en détail.

Mila souhaite aussi mettre sur pied un « comité-conseil » d’éthique qui pourrait inclure des membres du public qui participeraient aux décisions de gouvernance liées à l’application.

« Notre plus grand défi, ce sera de convaincre les citoyens que notre application est digne de confiance et guidée par une gouvernance transparente et impeccable », affirme le professeur de droit de l’Université McGill.

« Personne ne veut sacrifier sa vie privée et ouvrir la porte à un cheval de Troie qui pourrait ouvrir la porte à Big Brother ou à une multitude de “Little Brothers” », dit-il.

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