Une vidéo diffusée lundi soir dans laquelle Joyce Echaquan, une femme atikamekw de Manawan, se fait insulter par le personnel de l’Hôpital de Joliette peu avant de mourir suscite l’émoi. La famille et les amis sont accablés par le sort réservé à la mère de famille. Une émouvante manifestation s’est tenue en soirée, au rythme des tambours et des sanglots. La sphère politique a dénoncé une situation inacceptable, qui s’est soldée par le congédiement de l’infirmière qui soignait la femme.
Une cinquantaine de personnes se tenaient devant un bungalow de Joliette, mardi après-midi. Située tout près l’hôpital où Joyce Echaquan est morte, la maison de briques abrite le Centre d’amitié autochtone de Lanaudière. Venus de Chicoutimi, Roberval, Trois-Rivières et Manawan, des cousins et des parents éloignés affichaient une mine éplorée.
Dans leurs yeux, de la colère et de l’amertume.
Lundi soir, Joyce Echaquan s’est filmée alors qu’elle se trouvait sur sa civière, à l’hôpital de Joliette. Selon sa famille, elle s’y est rendue samedi pour des maux d’estomac. « Venez me chercher. Quelqu’un… Venez me chercher », s’époumone la patiente dans une séquence de sept minutes diffusée en direct sur sa page Facebook. Elle affirme avoir été surmédicamentée.
Des infirmières ou des préposées viennent s’occuper d’elle. On peut les entendre proférer des propos insultants.
« Esti d’épaisse de tabarnouche. […] Hé, t’es épaisse en câlice », dit une membre du personnel soignant.
« T’as fait des mauvais choix, ma belle. Qu’est-ce qui penseraient, tes enfants, de te voir comme ça ? […] C’est meilleur pour fourrer qu’autre chose […] C’est mieux mort, ça », poursuit-elle en s’adressant à la patiente.
Une enquête du coroner visera à déterminer les causes du décès et réaliser une analyse toxicologique. Selon ce que les proches de la victime ont confirmé à La Presse, elle aurait fait une réaction allergique à la morphine.
La direction du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Lanaudière trouve « inacceptables les propos qui ont été entendus sur la vidéo qui a circulé sur les médias sociaux et mentionne qu’elle ne tolère aucun propos de ce type de la part des membres de son personnel au sein de l’organisation », peut-on lire dans un communiqué. Une enquête interne a été ouverte.
L’une des infirmières au chevet de Joyce Echaquan avant sa mort a été congédiée.
Du déjà-vu
« Ce que les employées de l’hôpital ont dit à Joyce, on l’a tous entendu », a lancé Minic Petiquay. Cette fois, tout a été filmé, a expliqué la jeune cousine de Joyce Echaquan. « À Joliette, à Montréal ou ailleurs au Québec, ça ne change jamais pour nous. »
Diane Echaquan Dubé, femme menue au regard stoïque, n’a pas fermé l’œil de la nuit. Faire le deuil de sa fille Joyce sera une épreuve insurmontable, a-t-elle confié. Son visage se remplit de rancœur et de chagrin quand on évoque les propos racistes destinés à Joyce peu avant sa mort. « Je n’ai pas réussi à regarder la vidéo au complet. Quand j’ai essayé, j’ai lancé mon téléphone du bout de mes bras et il s’est cassé. Elle filmait car elle savait qu’elle était maltraitée là-bas », a-t-elle raconté à La Presse, la mine basse et les bras croisés.
Mme Echaquan Dubé a tenté de joindre l’hôpital de Joliette lundi soir pour savoir ce qui arrivait à sa fille. On a fini par lui raccrocher au nez, dit-elle.
« Je veux qu’on se souvienne de Joyce. Elle a beaucoup aimé ses sept enfants. Mais elle était aussi d’une grande force. Une force douce et tranquille. »
— Diane Echaquan Dubé, mère de Joyce Echaquan
Les gestes discriminatoires envers les femmes autochtones dans les hôpitaux sont fréquents, mais souvent passés sous silence, s’est insurgée Marie-Paule Petiquay, cousine de la défunte. « Ça me fâche tellement, mais ça ne me surprend pas. On veut juste être traités comme des humains et se faire soigner comme des humains. »
Sept enfants perdent leur mère
De nombreux membres de la communauté atikamekw de Manawan et d’ailleurs se sont réunis dans le sous-sol du centre, où on distribuait pointes de pizza, cafés et boissons. Mais l’heure n’était pas à la fête. Assis dans un coin, incapable de manger, Carol Dubé n’avait pas de mots pour décrire sa douleur. Le conjoint de Joyce Echaquan veut que « justice soit rendue ».
Sa peine est ponctuée d’incompréhension. « Elle était à l’hôpital pour un mal d’estomac. Elle demande de l’aide et elle meurt deux jours plus tard. Je ne comprends pas. »
Carol Dubé a mentionné ses sept enfants, avant de s’interrompre, la voix étranglée par l’émotion. « Ils sont sans mère », a-t-il chuchoté.
Carol Junior, son fils de sept mois, sourit à tout le monde et pousse de petits gémissements en cherchant les bras de son père. « On l’appelle le petit miraculé, parce qu’il est né alors que Joyce pensait ne plus pouvoir avoir d’enfants à cause de sa maladie cardiaque », explique une des cousines de la défunte. « Maintenant, il n’a plus de maman. »
Veillée aux flambeaux
Un rassemblement s’est tenu devant l’hôpital de Joliette, mardi soir. Vers 18 h, à travers la foule pleine de regards consternés, de visages en pleurs et de familles qui s’enlaçaient, des enfants et des adolescents tenaient de petites bougies dans le creux de leurs mains.
La plupart des gens venus rendre un ultime hommage à Joyce Echaquan étaient des Atikamekw, vêtus de tenues traditionnelles aux couleurs de l’arc-en-ciel sous leurs imperméables.
Le ciel s’est assombri. Les fenêtres de l’hôpital formaient de petits carrés lumineux à travers lesquels des curieux jetaient des regards furtifs au rassemblement dans la nuit pluvieuse.
Marie-Pier Dubé, de Manawan, fait partie des 500 personnes venues rendre un dernier hommage à Joyce Echaquan devant l’hôpital. « C’est dégueulasse. Je suis en colère. Cette fois, les gens ont pu voir que le racisme existe dans nos institutions. »
Pour Karine Echaquan, une conteuse atikamekw, les propos violents tenus envers la mère de famille lui rappellent le racisme qu’elle vit au quotidien. « J’aurais pu être Joyce. Je ne vais jamais me faire soigner là-bas. Je sais ce qu’on dit sur nous. Je me promène à Joliette avec ma fille de 12 ans et elle me dit : “Maman, pourquoi tout le monde nous regarde ?” »
Émilie Lessard et son copain Maisha Kalonda étaient venus soutenir la communauté. « Je ne peux pas croire qu’on tient de tels propos. Je ne peux pas croire que ça perdure », a expliqué la jeune femme qui habite Joliette.
Peu après 20 h, les chants traditionnels atikamekw ponctués de bruyants sanglots se poursuivaient toujours.