Générosité hors du commun

Un toit pour Yannick

La générosité s’exprime de mille et une façons. Elle peut surprendre et étonner. Récits d’initiatives charitables hors du commun.

« Est-ce que je peux installer des lumières de Noël autour de ma fenêtre ? », demande Yannick à son voisin Robert*. Né le 24 décembre, l’homme n’a pourtant pas l’habitude de célébrer son anniversaire, ni même Noël. Cette année toutefois, il semble se laisser gagner par l’ambiance des Fêtes.

Début décembre. Il pleut, le temps est humide. Bientôt, la froideur hivernale s’installera sur Montréal. Yannick, 45 ans, ne s’en inquiète pas. Sans-abri de longue date, il a désormais un toit. Ça fait deux mois. « C’est un cadeau du ciel », confie l’homme au sourire édenté. Cette année, il regardera valser les flocons par sa fenêtre, à l’abri. Grâce à ses voisins.

Yannick fait partie du paysage du quartier Milton-Parc, dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, depuis une quinzaine d’années. Tous les jours, il mendie devant l’église de Notre-Dame-de-la-Salette, sur l’avenue du Parc. « Je suis poli, jovial. Je quête surtout pour le contact avec les gens, moins pour l’argent. Avec certains passants, je jase pendant 30 minutes, ça fait du bien. Je n’ai personne à qui parler. Ma conjointe, qui était alcoolique, est morte il y a six ans. » Une cirrhose du foie. « Je l’ai vue mourir. C’est encore difficile », confie-t-il, devant un café au restaurant du coin.

L’occasion

Dans la rue, Yannick a perdu la moitié de ses orteils, grugés par le froid. « L’an dernier, il a été très malade, il toussait beaucoup, confie Monique, une voisine. Il avait des problèmes aux pieds. C’est toujours difficile pour nous de le voir souffrir dans le froid. C’était assez, il fallait agir. » Mais comment ?

En octobre, l’occasion s’est présentée. Une chambre dans une habitation à loyer modique s’est libérée dans le quartier. Des voisins – y compris le curé – ont signé une lettre pour que Yannick l’obtienne.

« J’ai su que 16 personnes avaient signé pour moi. Ça me fait chaud au cœur. Je n’ai pas encore eu l’occasion de remercier tout le monde. »

— Yannick

Quand il est entré chez lui, en octobre, son logis était complètement vide. Sur Facebook, Robert a lancé un appel aux voisins, une collecte spontanée. « En deux jours, on avait tout : un lit, une table, une commode, de la vaisselle, des poêles, des chaises. La réponse a été extraordinaire », dit-il.

Yannick continue de quêter, à son rythme. Quand il a froid, qu’il en a assez, il rentre chez lui se réchauffer. Confortablement assis sur sa chaise de rotin, il sirote sa grosse bière en écoutant Rouge FM, sa station préférée. « J’aime la radio le matin et en fin d’après-midi, il y a plus d’interactions. Sinon, ce sont toujours les mêmes chansons. Polaroïd d’Alex Nevsky, je ne suis plus capable ! »

Cet hiver, il n’aura donc pas à se battre pour protéger ses couvertures, pour conserver son abri protégé du vent. « Je n’ai jamais fait de trouble dans le voisinage. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on me renvoie l’ascenseur. »

« On voulait lui donner un toit, un lieu sécuritaire, comme point de départ d’une meilleure vie, dit Monique. Il commence à parler de projets, ce qu’il ne faisait jamais avant. Il aimerait ça, travailler en cuisine. Il lui faudra du temps, mais au moins la volonté semble être là. »

vers une vie meilleure

Chacun à sa façon, les voisins aident Yannick à s’installer, à s’adapter. Martine veille à ce qu’il paie son loyer. Gilles lui donne accès à son téléphone. René passe régulièrement devant sa porte, pour s’assurer que tout va bien. Robert l’accompagne dans ses démarches administratives. Joëlle lui concocte occasionnellement des petits plats. La veille de Noël, elle a prévu offrir des douceurs aux sans-abri du quartier. Elle se promet d’aller toquer à la porte de Yannick. Robert fera du sucre à la crème à distribuer, a-t-il annoncé.

Yannick lui-même n’hésite pas à donner au suivant. Quand il a trop de nourriture, il se rend au coin de la rue Milton et de l’avenue du Parc, où il dépose des victuailles. « En moins de 20 minutes, c’est parti », dit-il fièrement.

Il y a longtemps que Yannick ne croit plus au père Noël. Y a-t-il déjà cru d’ailleurs ? Il ne sait plus. Colérique, il a grandi en centre d’accueil. Il a fait ses premières fugues à 12 ans. Il vit dans l’instabilité depuis. « Je n’ai pas eu la chance d’avoir des enfants, une maison, une voiture. Je n’ai rien, je ne fais rien. Je me demande souvent : qu’est-ce que je fais ici ? J’attends la mort », dit-il sans émotion. C’est moins vrai depuis l’automne, se ravise-t-il.

« Les gens savent que je viens de la rue. Malgré tout, on dirait qu’ils croient en moi, en mes chances de me placer. » Le plus beau des cadeaux. « Je vais essayer. »

Il insiste auprès de Robert : « Et les lumières de Noël, je peux ? »

* Ne souhaitant pas de visibilité, aucun des voisins ne veut être nommé. « C’est une initiative de groupe », disent-ils.

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