Conseil de la fédération

Legault en mission pour une hausse des transferts fédéraux en santé

À la tête du Conseil de la fédération pour la prochaine année, François Legault veut unir les provinces pour exiger d’Ottawa qu’il hausse ses contributions financières en santé. Il préparera le terrain lors d’un sommet avec l’Ontario, les 8 et 9 septembre, afin de former un front commun.

Québec — François Legault n’a pas toujours eu des relations faciles avec ses homologues provinciaux. L’automne dernier, il a été la cible d’un coup d’éclat du premier ministre du Manitoba, Brian Pallister, qui avait acheté des pages entières de publicité dans les médias québécois pour inviter les employés de l’État visés par la Loi sur la laïcité de l’État à déménager dans sa province. En décembre 2018, quelques mois après son élection, il s’était aussi attiré les foudres des provinces pétrolières en affirmant qu’il n’avait pas à accepter que de l’« énergie sale » passe par un oléoduc au Québec en échange d’exportations d’hydroélectricité.

Mais depuis ces épisodes, la COVID-19 a plongé tout le pays dans une crise sanitaire et économique sans précédent. Au cours de l’hiver, François Legault s’est fréquemment entretenu avec ses homologues des autres provinces. C’est aussi dans ce contexte qu’il prendra à l’automne et pour l’année à venir la présidence du Conseil de la fédération, institution créée sous l’impulsion de l’ancien premier ministre Jean Charest, en 2003, afin de présenter un front uni des provinces et territoires vis- à-vis d’Ottawa.

« Les dépenses en santé augmentent de 5 à 6 % [par année], alors que les autres dépenses et les revenus augmentent de 3 % », a affirmé jeudi le premier ministre, en guise de mise en contexte.

Les 8 et 9 septembre, François Legault se rendra à Mississauga, en Ontario, pour discuter de relance économique et de l’enjeu des transferts fédéraux en santé avec son homologue Doug Ford. Il sera pour l’occasion accompagné de plusieurs ministres. Si l’évolution de la pandémie le permet, le Conseil de la fédération se réunira ensuite à Québec à la fin de septembre, nous a-t-on confirmé au cabinet de M. Legault. La pérennité du financement en santé sera alors au cœur des discussions.

Enjeu « incontournable »

Pierre-Carl Michaud affirme que l’enjeu du financement des soins de santé est « incontournable ». Si rien n’est fait, « ça veut dire que ce qu’on n’aime pas du système de santé actuel va rester » ou empirer, affirme le professeur à HEC Montréal, titulaire de la Chaire de recherche sur les enjeux économiques intergénérationnels.

En août, M. Michaud a publié avec Raquel Fonseca et Julien Navaux une note de recherche intitulée Le transfert canadien en santé doit être bonifié afin d’assurer les services dans un contexte de vieillissement accéléré. Un titre qui a de quoi attirer l’attention à Québec.

« Alors que dans les années 1990, le gouvernement fédéral participait au financement de la santé à la hauteur d’environ 25 % des dépenses totales, le gouvernement fédéral participe dorénavant au financement de la santé dans les provinces au travers du Transfert canadien en matière de santé (TCS). Au Québec, celui-ci représente aujourd’hui 15 % des dépenses de santé », écrivent les chercheurs dans leur étude.

Dans la dernière entente entre Ottawa et les provinces, il est prévu que les transferts en santé croissent au même rythme que le PIB nominal, avec un plancher de 3 %. Or, relèvent les auteurs, « la croissance annuelle moyenne [des dépenses en santé] avoisine 5,1 % [pour la période de 1998 à 2017] ».

Sans un nouveau « deal », « si on arrive dans les prochaines années avec de nouveaux traitements, par exemple pour traiter l’alzheimer, ça se peut qu’on ne soit pas capable de se le payer », illustre M. Michaud.

Qui paie, qui rend des comptes ?

Le combat des provinces pour une hausse des transferts fédéraux en santé n’est pas qu’économique. Il est aussi politique. Frédéric Boily, professeur titulaire de science politique au campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta, croit que l’enjeu peut rallier les premiers ministres des provinces. Il n’est toutefois pas garanti qu’on y arrive, étant donné que la composition du Conseil de la fédération change avec les années, tout comme les intérêts de ceux qui y siègent.

« Si François Legault se rabat sur la question de l’autonomie des provinces, il a des chances de rallier des premiers ministres à sa cause, au premier chef le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney. »

— Frédéric Boily, professeur titulaire de science politique au campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta

« La santé, c’est fédérateur. Les provinces doivent trouver des solutions pour payer l’augmentation des coûts, alors que le fédéral veut trouver des moyens de maîtriser les dépenses, voire les restreindre », analyse Stéphanie Collin, spécialiste des réformes en santé et professeure à l’École des hautes études publiques de l’Université de Moncton.

La situation dans laquelle se trouve Justin Trudeau à Ottawa, à la tête d’un gouvernement minoritaire menacé d’être renversé, peut également servir à Québec dans son combat, analyse le politologue Éric Montigny, de l’Université Laval.

« Sur la scène fédérale, les partis politiques se battent plus férocement pour des sièges au Québec. C’est comme si le Québec était redevenu très important dans l’équation politique fédérale », rappelle-t-il, alors que le nouveau chef conservateur, Erin O’Toole, s’est adjoint cette semaine Richard Martel comme nouveau lieutenant politique au Québec et a nommé Gérard Deltell comme leader parlementaire de l’opposition officielle à la Chambre des communes.

Faut-il hausser les taxes ?

Selon Robert Gagné, professeur au département d’économie appliquée de HEC Montréal et directeur du Centre sur la productivité et la prospérité, « les provinces nous mènent en bateau » quand elles parlent du financement du système de santé.

« Ce qu’elles disent, dans le fond, c’est qu’elles ne veulent pas porter l’odieux de hausser les taxes pour financer les soins de santé. Elles disent au fédéral de porter l’odieux, de donner l’argent et de ne pas dire comment le dépenser. Ça ne marche pas. Quand tu es un gouvernement qui paie, tu veux avoir de la reddition de comptes. »

— Robert Gagné, professeur au département d’économie appliquée de HEC Montréal

Une solution que proposent certains, rappelle Colin Busby, directeur de recherche à l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), est de conclure un nouveau pacte fiscal entre Ottawa et les provinces où le fédéral diminuerait son champ fiscal au profit des provinces, qui augmenteraient le leur de façon égale. Ces dernières pourraient donc financer leur système de santé sans négocier à chaque cycle une hausse des transferts provenant d’Ottawa.

Un tel scénario donnerait plus de latitude aux provinces et augmenterait la compétition entre elles, estime aussi Robert Gagné. Mais si des provinces comme la Colombie-Britannique, l’Alberta « et peut-être l’Ontario vont dire “oui, oui”, les autres vont répondre no way », prévoit-il, alors que le système actuel prévoit une forme de péréquation. Les contribuables québécois financent environ 20 % de la totalité des transferts fédéraux en santé au pays, affirme-t-il, alors que le gouvernement du Québec reçoit environ 23 % du programme.

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