Centres commerciaux Cadillac Fairview

Des outils de reconnaissance faciale utilisés « à l’insu des clients »

Les images et données biométriques de cinq millions de clients de la société Cadillac Fairview ont été recueillies « sans leur consentement » jusqu’en 2018 dans une douzaine de centres commerciaux, conclut une vaste enquête publiée jeudi. Selon un expert, cela témoigne du manque d’éducation collective en matière de surveillance.

« Les visiteurs n’avaient aucune raison de s’attendre à ce que leur image soit saisie par une caméra discrète ou qu’elle soit utilisée, au moyen de la technologie de reconnaissance faciale, à des fins d’analyse », a déploré le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Daniel Therrien, dans un communiqué.

D’après M. Therrien, l’absence de consentement est « particulièrement préoccupante » quand on connaît la nature sensible des données biométriques, « qui sont un élément clé de notre identité ». Depuis 2018, Ottawa menait une enquête sur le cas de Cadillac Fairview, après que plusieurs médias eurent soulevé des questions sur les pratiques de la société torontoise. Les commissariats à la vie privée de l’Alberta et de la Colombie-Britannique y ont aussi participé.

Parmi la liste des 12 centres commerciaux où la technologie d’« analyse vidéo anonyme (AVA) » a été utilisée à l’insu des clients, on retrouve notamment les Galeries d’Anjou et le Carrefour Laval. Des « technologies de géolocalisation » ont aussi été utilisées dans 19 établissements, dont les Promenades St-Bruno et le centre Fairview Pointe Claire.

Nul n’était identifié, se défend l’entreprise

Le groupe Cadillac Fairview, lui, se défend d’avoir tenté d’identifier les individus. Il soutient que son objectif était de « faire une analyse pour déterminer l’âge et le sexe des visiteurs », et assure n’avoir pas recueilli de renseignements personnels, les images étant « analysées, puis supprimées ».

« Ce ne sont pas des visages. Il s’agit de séquences de chiffres que le logiciel utilise pour classer de manière anonyme la tranche d’âge et le genre. Si le même client traversait à nouveau le champ de […] la caméra, une nouvelle série de chiffres serait générée. »

— Cadillac Fairview, dans une déclaration, en disant prendre la situation au sérieux

D’ailleurs, l’entreprise affirme avoir supprimé le logiciel AVA il y a plus de deux ans, au moment où des préoccupations étaient soulevées pour la première fois. Selon la société, les visiteurs avaient été informés de ces technologies au moyen d’autocollants, affichés sur les portes d’entrée. Mais d’après les commissaires, ces explications sont tout simplement « insuffisantes » pour justifier une utilisation légitime.

Leur rapport conclut en effet que la société a enfreint les lois sur la protection des renseignements personnels « en omettant d’obtenir un consentement valable ». Si les images capturées étaient supprimées, les renseignements biométriques associés étaient stockés par un fournisseur externe « dans une base de données centralisée », notent les enquêteurs. Ces derniers disent aussi s’inquiéter que Cadillac Fairview ait refusé de s’engager à obtenir un consentement de la clientèle si la technologie AVA est de nouveau utilisée. « Nous trouvons ce refus inquiétant », avancent-ils.

Pas assez d’éducation, dit un expert

Coordonnateur au Laboratoire de recherche en médias socionumériques de l’UQAM, Jonathan Bonneau est d’avis que la situation témoigne du manque de connaissances de nos sociétés en matière de surveillance, notamment dans le milieu des affaires.

« C’est de l’omission volontaire. Les compagnies embauchent des programmeurs qui livrent le produit sans se poser de questions. Puis, les dirigeants se disent qu’ils ne feront rien de dangereux, ou ils craignent le tollé que ça provoquerait d’en parler.  »

— Jonathan Bonneau, coordonnateur au Laboratoire de recherche en médias socionumériques de l’UQAM

L’expert appelle les autorités gouvernementales à investir davantage dans la sensibilisation pour s’attaquer au problème. « Il n’y a pas assez d’éducation qui est faite sur l’importance de ces données-là, et l’importance de les détruire. Garder ça en banque fait en sorte que n’importe qui peut ensuite l’utiliser pour faire de la publicité, par exemple », soulève-t-il.

À ses yeux, c’est aussi au public de chercher à s’informer davantage pour renverser la tendance, et à demander des comptes. « De la même manière qu’on dit toujours qu’il faut se laver les mains pendant une pandémie, il faudrait aussi regarder les caméras autour de nous, et poser des questions aux entreprises », conclut M. Bonneau.

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