Agressions dans le métro

Personnel à risque

La présence grandissante de personnes vulnérables dans le métro de Montréal est à l’origine d’une hausse marquée des agressions envers les travailleurs du réseau, affirme la CNESST. La STM assure que la situation se stabilise, mais des syndicats croient que l’embauche d’agents de sécurité supplémentaires s’impose.

Métro de Montréal

« Augmentation marquée » des agressions dans le métro

Même s’il était largement déserté pendant la pandémie, le métro de Montréal a été le théâtre d’une « augmentation marquée » des agressions envers le personnel qui y travaille, a appris La Presse.

La présence grandissante de sans-abri et d’autres personnes vulnérables dans les stations et jusqu’aux quais expliquerait cette hausse, selon un rapport de santé-sécurité au travail dont nous avons obtenu copie.

Les travailleurs d’entretien ménager et les guichetiers « sont exposés à des risques d’agression physique et psychologique », dénonce la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) dans un rapport de mai dernier. « La pandémie a fait augmenter la présence de personnes en situation de vulnérabilité dans le métro de Montréal […]. Cette situation a eu pour effet d’augmenter le nombre d’agressions chez les travailleurs du réseau du métro. »

La guichetière Isabelle Puig a ainsi reçu à la figure une poignée de petite monnaie projetée à travers l’ouverture de paiement de sa caisse, en 2021, à la station Monk. « On ne vient pas travailler pour se faire agresser comme ça », a-t-elle témoigné dans le cadre d’une vidéo tournée par son syndicat. « Plusieurs fois j’ai vécu des choses similaires. » Elle a affirmé que si elle avait su que sa vie professionnelle serait émaillée d’incidents de ce genre, elle aurait choisi un autre métier. Elle ne précise pas si son agresseur était en situation d’itinérance.

Dans son rapport, la CNESST concluait que les mesures mises en place par la Société de transport de Montréal (STM) pour protéger ses employés n’étaient pas suffisantes. « L’employeur n’a pas utilisé les méthodes et techniques visant à identifier et contrôler un risque », a-t-elle écrit. « Les travailleurs rapportent un sentiment d’insécurité à l’employeur. Celui-ci doit s’assurer de mettre des mesures en place rapidement pour rassurer ses travailleurs dans le contexte de crise actuelle. »

Dans un rapport subséquent, daté de juin, elle estime que la STM a aujourd’hui rempli ses obligations légales en offrant davantage de formations et de rappels à ses employés susceptibles d’être agressés.

« Un métro, c’est une ville dans la ville »

Dans une entrevue avec La Presse, la directrice générale de la STM a indiqué être d’accord avec le diagnostic posé par la CNESST.

« C’est certain que pendant la pandémie, on a vu une augmentation des comportements de personnes vulnérables dans le réseau du métro », a reconnu Marie-Claude Léonard.

« Un métro, c’est une ville dans la ville. Donc les problèmes sociaux qu’on vit dans la ville, on les vit dans le réseau du métro. »

— Marie-Claude Léonard, directrice générale de la STM

À son avis, la problématique des agressions « tend à se stabiliser actuellement ». « Il faut poursuivre nos actions, il faut poursuivre la collaboration avec l’ensemble des intervenants qui peuvent nous aider », a-t-elle continué.

Les rapports de la CNESST décrivent toutes les mesures prises par l’organisation pour protéger ses employés : téléphones d’urgence, salles de refuge, service de raccompagnement à la fin des quarts de travail et formations, par exemple.

Des sans-abri jusqu’aux quais

Selon Pino Tagliaferri, président du syndicat qui représente les guichetiers du métro, les stations les plus dangereuses pour ses membres se trouvent au centre-ville de Montréal.

« De plus en plus, les sans-abri n’ont pas de logement, n’ont pas de place. Qu’est-ce qu’ils font ? Ils restent dans le métro, a-t-il décrit. Ils ne restent plus juste en surface près des portes, ils descendent près des quais. La clientèle s’inquiète, a peur de chuter [sur les rails], alors ils avisent le changeur ou la changeuse. » C’est « souvent » dans la foulée d’une telle situation que les agressions se produisent.

M. Tagliaferri affirme que la STM n’en fait pas assez pour prévenir les agressions. Toute altercation physique peut avoir des conséquences funestes dans un métro dont les rails sont exposés, a-t-il souligné.

Une solution, à son avis : embaucher davantage d’agents de sécurité.

Le syndicat affilié à la CSN qui représente les préposés à l’entretien ménager n’a pas voulu commenter le dossier. Mais leurs confrères qui représentent les agents chargés de la sécurité font le constat d’une « hausse des gestes violents ». « Pour nous, c’est clair qu’une partie de la solution réside dans l’augmentation de la présence des constables spéciaux sur le terrain », a fait valoir Kevin Grenier, président de la Fraternité des constables et agents de la paix de la STM (CSN), dans une déclaration transmise par courriel.

Éviter l’amalgame

Pour le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), la CNESST blâme les sans-abri pour cette augmentation de la violence sans preuves à l’appui. « C’est essentiel de ne pas faire d’amalgame trop rapide », a dit la porte-parole Annie Savage en entrevue. Elle a dénoncé toute violence commise envers le personnel de la STM, mais a souligné que les victimes ne peuvent pas présumer du fait que leur agresseur vit dans l’itinérance sur la base de son apparence.

Par ailleurs, « est-ce qu’on peut admettre que le contexte de la crise sanitaire a quand même amené tout le monde – nonobstant son statut social – à être plus sur les dents en général », a-t-elle continué.

« Imaginons, juste un instant, l’impact que la COVID a pu avoir sur les personnes les plus marginalisées, les personnes en situation d’itinérance. »

— Annie Savage, porte-parole du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal

Marie-Claude Léonard, directrice générale de la STM, n’a pas voulu tracer de lien entre la présence grandissante de personnes en situation d’itinérance dans le métro et la lenteur du retour des usagers du métro après la pandémie. « La tolérance à ce risque-là diffère beaucoup d’un client à l’autre, mais on continue à offrir le service de façon sécuritaire », a-t-elle dit. En date du mois d’août dernier, l’achalandage du métro représentait 66 % de la situation prépandémique.

Mme Léonard a remercié ses équipes qui étaient à pied d’œuvre pendant toute la durée de la pandémie.

Agressions et voies de fait

• 2020 : 47

• 2021 : 84

5 ou 6

Nombre d’incidents par semaine rapportés par les préposés à l’entretien ménager

Source : rapport de la CNESST

STM et milieu communautaire

La concertation paralysée depuis des mois

Le comité de la STM qui aurait pu chercher des solutions à la hausse des agressions dans le métro est paralysé depuis des mois, a appris La Presse.

Son président vient de démissionner en se disant incapable de joindre la direction de l’organisation et aucune réunion n’a été tenue en 2022, selon des courriels que nous avons obtenus.

Le Comité sur les relations des inspecteurs avec la communauté (CRIC) réunit des groupes communautaires et la Société de transport de Montréal (STM) afin de discuter de sécurité. Il était présidé jusqu’au 6 octobre par Rémi Boivin, professeur de criminologie à l’Université de Montréal.

Ce jour-là, M. Boivin a claqué la porte. « J’ai tenté à de nombreuses reprises de communiquer avec la nouvelle direction, sans succès », écrit-il dans le courriel avisant les autres membres du comité de sa décision. Plus tôt dans la même journée, un autre membre dénonçait « qu’aucune rencontre n’a eu lieu en 2022 » et que la STM devrait déclarer ses intentions quant au comité, « par respect pour les membres ».

En entrevue, M. Boivin a expliqué qu’un enjeu comme celui des agressions de personnel dans le métro aurait été en plein cœur du mandat du CRIC.

Il n’a pas voulu accabler la STM pour ne pas avoir répondu à ses tentatives de contact, soulignant les changements de président et de directeur général au tournant de 2022.

D’autres sont moins tendres : « C’est la seule instance qui existe et ça fait des mois qu’elle est inactive », a dénoncé Annie Savage, du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), un groupe membre du comité. Elle dénonce que depuis le début de la pandémie, « les réponses qui ont été déployées par la STM, c’est une hausse de la répression, une hausse des mécanismes de surveillance […], une hausse de l’intolérance face au flânage ».

Dans un courriel, la STM a attribué à des conflits d’horaire et à la transition à la tête de son organisation l’inactivité du CRIC et l’absence de communication avec son président.

« La STM entend poursuivre le travail déjà amorcé par le CRIC et c’est maintenant Jocelyn Latulippe, directeur Sûreté et contrôle, qui représentera la STM sur le comité », a indiqué l’organisation. Auparavant, c’est Marie-Claude Léonard (nommée directrice générale en 2022) qui y siégeait.

« Après 22 h, c’est plus inquiétant »

La Presse est allée à la rencontre d’usagers du métro de Montréal pour savoir s’ils s’y sentent en sécurité. Si plusieurs considèrent le réseau de transport de la métropole comme sûr, certains s’inquiètent lorsqu’ils doivent utiliser le métro la nuit.

Des usagers du métro de Montréal, rencontrés dans des stations du centre-ville, où le niveau de « dangerosité » semblerait le plus élevé, s’y sentent en sécurité, mais restent tout de même vigilants dans les souterrains.

« Je me suis toujours sentie en sécurité, mais je reste préventive », souligne Madjina Coly, qui fréquente régulièrement les stations du centre-ville après 23 h. De son côté, Maria Aguiar craint parfois le métro la nuit. « Avec tout ce qui arrive aujourd’hui, j’ai un peu peur, mais je me sens en confiance, souligne-t-elle, je ne vois pas de violence, ni rien. »

Les groupes de personnes enivrées semblent susciter davantage d’inquiétudes auprès de certains usagers. « Après 22 h, c’est plus inquiétant », déplore Heidi Lefebvre.

La jeune femme remarque une hausse des groupes « bruyants » et intoxiqués qui flânent dans les stations de métro. Elle mentionne également que les stations qui sont plus sombres génèrent de l’insécurité, notamment le soir.

Madjina Coly abonde dans le même sens. « Parfois, je me dépêche à descendre les escaliers pour aller vers l’agent », précise-t-elle. De son côté, Stéphanie Savard, qui dit s’être fait attaquer dans le métro par un homme en crise, estime qu’il faudrait plus d’agents au quai pour faciliter les interventions.

« Les seules fois que je ne me suis pas senti en sécurité, c’est quand il y avait des gens en crise ou des gens intoxiqués, mais ce n’est pas arrivé souvent », souligne Simon Paradis. « En général, je me sens en sécurité et je ne me sens jamais menacée », ajoute son amie Aurore Adiang, précisant toutefois qu’elle évite de s’approcher du quai, parce qu’elle a peur de se faire pousser sur les rails par des personnes ivres.

Des cégépiennes, comme d’autres usagers rencontrés, évitent certaines stations la nuit par peur de se faire solliciter. « Je me sens en sécurité quand il y a des gens », indique Éléonore Landry, qui dit s’être fait poursuivre dans le métro l’an dernier par une personne qui tentait de lui voler son portefeuille. « Quand il y a beaucoup de gens, j’ai l’impression qu’il y aura plus de témoins et donc plus de personnes pour intervenir au moment d’une agression », renchérit son amie, Lili-Anne Hébert-Guay.

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