3 de 4 La tentation du protectionnisme

Il faut renforcer les chaînes d’approvisionnement mondiales, pas les démanteler

S’il est avisé de suivre les prescriptions des sciences épidémiologiques pendant la crise actuelle, il sera aussi sage de respecter les principes établis des sciences économiques lorsque viendra le temps de remettre nos sociétés sur la voie de la croissance.

De nos jours, beaucoup se demandent si le Québec devrait choisir l’autosuffisance. Dans l’agriculture, par exemple, cela nécessiterait l’embauche de plus de travailleurs saisonniers étrangers. Toutefois, avec la pandémie, leur arrivée incertaine mettrait le secteur encore plus à risque qu’il ne l’est aujourd’hui.

Alternativement, devrions-nous « nationaliser » les chaînes d’approvisionnement du secteur ? Les producteurs devraient alors compter sur une main-d’œuvre locale inexpérimentée et exigeant des conditions de travail et des salaires bien meilleurs plutôt qu’embaucher des travailleurs latino-américains spécialisés, employés au salaire minimum et qui représentent déjà le principal coût des producteurs locaux.

Nous doutons que l’on puisse trouver de nombreux entrepreneurs pour prendre de tels risques, des banques pour les financer et des consommateurs pour acheter leurs produits.

Et que dire des carences de notre propre industrie de transformation alimentaire dont les abattoirs ferment quand leurs employés, encore souvent étrangers, sont frappés par le virus ?

La solution n’est donc pas de produire davantage localement ni de nationaliser les chaînes d’approvisionnement, mais préférablement de se doter de moyens pour minimiser l’impact de défaillances en misant sur la diversification de nos sources d’approvisionnement alimentaire et le renforcement de nos partenariats dans les chaînes d’approvisionnement agricoles.

Prenons l’exemple d’un boulanger montréalais. Ses affaires sont simples en apparence, mais dépendent en fait d’un système d’approvisionnement complexe : employés, farine, eau, fourneaux, transport, énergie et autres matériaux ainsi que divers services (comptabilité, sécurité, assurance, communications, marketing, informatique).

De plus, tous ces produits et services dépendent de chaînes d’approvisionnement complexes. Il faut des pièces pour les fourneaux, du métal pour fabriquer ces pièces, des fonderies pour le métal et des mines pour fournir le minerai. Ça prend aussi un fabricant de farine qui a besoin de machinerie et de blé. Et le fournisseur de blé utilise des tracteurs composés de pièces faites de ressources naturelles transformées.

On l’aura compris, pour assurer la croissance, notre système économique appelle à la spécialisation et à la multiplication des canaux d’échanges internationaux, pas à un repli sur soi-même.

La Banque Mondiale soutient d’ailleurs que l’automatisation – qui s’accélérera sûrement pour réduire les risques pandémiques futurs – favorisera le développement de chaînes d’approvisionnement mondiales*.

On invoque souvent leurs coûts environnementaux pour justifier l’autarcie. Mais il vaut mieux trouver un prix aux émissions nocives pour favoriser les technologies propres et la capture du carbone plutôt que de succomber aux sirènes du protectionnisme et de l’autosuffisance.

Comme pour toute innovation, la mondialisation des chaînes d’approvisionnement entraîne nécessairement des risques. Toutefois, encourager naïvement leur démantèlement ignore les bases de la science économique. Une telle transformation mènerait sans équivoque à une augmentation des coûts, un déclin de la productivité et une chute de la croissance.

Plutôt que d’investir davantage dans des programmes d’urgence et de soutien ou en santé, comme cela semble être la priorité actuelle, la baisse de nos revenus – et ceux de l’État – forcerait nos élus à réduire la quantité et la qualité des services offerts aux Québécois dans un contexte d’austérité prolongée. La reprise sera déjà difficile après la pandémie, veut-on en rajouter ?

Et les risques d’approvisionnement ? Les maillons faibles des chaînes se déplaceraient simplement au niveau local. Et comme nous nous serions appauvris collectivement et serions moins productifs, ces maillons se fragiliseraient et notre capacité à y remédier diminuerait vraisemblablement.

Il est bon ici de se rappeler que ce sont les économies les plus riches et les plus avancées technologiquement qui se sortiront le mieux de la pandémie. Plus de 40 % de la population mondiale affronte la pandémie sans accès à l’internet et nombreux seront ceux qui seront privés de programmes de soutien à l’économie ou de soins, de médicaments et de vaccins.

Le libre-échange ajoute aussi de la flexibilité au système économique. Lorsque, pour diverses raisons, la production locale fléchit ou la demande intérieure bondit, il permet plus facilement de combler la demande excédentaire par des importations sans faire subir aux consommateurs des hausses de prix.

Alternativement, lorsque la demande intérieure chute ou la production locale surpasse les besoins nationaux, le libre-échange permet d’écouler la production nationale excédentaire plus rapidement et à meilleur prix que dans un système protectionniste.

La clé pour que ces mécanismes fonctionnent est évidemment d’avoir développé des chaînes d’approvisionnement efficaces et des canaux d’échange fluides avec nos partenaires afin de permettre aux producteurs locaux d’écouler leurs produits et services à des prix compétitifs et aux consommateurs d’acheter à des prix concurrentiels et de ne pas subir de pénurie.

En conclusion, des marchés diversifiés et ouverts au libre-échange, des chaînes d’approvisionnement fiables, des canaux de commerce internationaux fluides et une gestion améliorée des stocks demeurent les meilleurs moyens de minimiser les risques pour les consommateurs et les entreprises et de maximiser le bien-être collectif.

* Rapport sur le développement dans le monde 2020 : Le commerce au service du développement à l’ère de la mondialisation des chaînes de valeur

Demain : L’évolution de la balance commerciale est muette quant aux bénéfices du libre-échange

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