La commission Charbonneau

Le docu avant la fiction

En 2020, Alain Roy et André Noël écrivaient une série de fiction inspirée par l’emblématique commission Charbonneau quand leur producteur a suggéré qu’ils revisitent l’évènement autrement : dans une série documentaire.

Deux ans plus tard, le tandem propose Corruption – Les révélations choc de la commission Charbonneau, qui atterrit sur Crave vendredi.

Réalisé par Sébastien Trahan (Le dernier vol de Raymond Boulanger, Présumé innocent – L’affaire Michelle Perron), cette docusérie en cinq épisodes repasse au peigne fin l’enquête sur l’octroi illicite de contrats publics en construction, qui célèbre son 10anniversaire.

D’entrée de jeu, soulignons qu’Alain Roy et André Noël connaissaient la Commission de fond en comble puisqu’ils ont rédigé son rapport final, déposé en novembre 2015.

« On avait exactement la même vision des choses, indique l’enquêteur et journaliste André Noël. La Commission, son utilité, l’importance de certains témoins… On était sur la même longueur d’onde. »

Thriller politique

La Presse a visionné les deux premiers épisodes de Corruption – Les révélations choc de la commission Charbonneau. Contenant des informations de notoriété publique, ils brossent un portrait détaillé, compréhensif – et surtout désolant – des pratiques qui souillaient la fonction publique en matière de construction. Collusion, favoritisme, magouilles, dépassement de coûts, pots-de-vin, mafia… Tout était permis.

Le nombre de témoignages recueillis est impressionnant. Entre deux images d’archives, on trouve des extraits d’entretiens avec Lino Zambito (ex-entrepreneur d’Infrabec Construction), Ken Pereira (ancien directeur, section locale 1981 FTQ-Construction), Sonia LeBel (procureure en chef) et autres Marie-Maude Denis et Kathleen Lévesque (journalistes). Au total, l’équipe derrière la série a mené une cinquantaine d’entrevues d’une durée moyenne de 90 minutes chacune. Sans surprise, l’étape du montage s’est étirée sur six mois.

« Le défi, c’était de rendre ce sujet, au départ très aride, comestible. On voulait lui donner des airs de thriller politique. »

— Sébastien Trahan, réalisateur

Au dire d’Alain Roy et d’André Noël, la recherche d’intervenants s’est extrêmement bien déroulée. La clé, c’était d’obtenir le vote de confiance d’une personne en particulier : la juge France Charbonneau. « Au départ, elle était très nerveuse, d’autant qu’elle doit respecter un devoir de réserve, explique André Noël. Mais quand elle a réalisé qu’il n’y aurait pas de sparages et qu’elle s’est sentie en confiance, les autres ont suivi. »

Quelques personnes clés ont néanmoins refusé de collaborer au documentaire, révèlent Alain Roy et André Noël. Parmi elles, mentionnons l’ancienne ministre libérale des Affaires municipales Nathalie Normandeau. Des perches ont également été lancées au commissaire Renaud Lachance. Mais l’ex-vérificateur général du Québec, qui s’était dissocié du rapport sur l’existence d’un lien direct entre le versement d’une contribution politique et l’obtention d’un contrat public, a décliné l’invitation. Dommage, parce qu’en entrevue avec La Presse, André Noël qualifie sa dissidence de « malheureuse distraction ». Inscrite au rapport, elle fait partie des raisons qui l’ont poussé à mener ce projet de série à terme, histoire de recadrer le débat.

« Après la sortie du rapport, tous les projecteurs étaient braqués là-dessus. C’est devenu la nouvelle : une dissidence de quelques lignes dans un rapport d’une centaine de pages », déplore le journaliste.

Comme O. J.

Produite par Zone 3 (Deuxième chance, Infoman) en collaboration avec Bell Média, Corruption permettra à de nombreux Québécois de comprendre comment la situation a dégénéré, estime Alain Roy.

« Les gens suivaient la Commission au jour le jour, mais peu d’entre eux ont pris le temps de lire le rapport. La série montre comment la corruption s’est installée un peu partout. C’est une synthèse du rapport. »

Même son de cloche chez Sébastien Trahan qui, contrairement au duo Noël-Roy, était loin d’être un expert avant d’entamer le travail. Le réalisateur souhaite que Corruption entraîne le même effet qu’une série comme O. J. : Made in America, qui retrace le parcours du joueur de football accusé de double meurtre au cœur des années 1990.

« Pour moi, la Commission, c’est comme l’affaire O. J. Simpson : c’est une histoire qu’on a tous l’impression de connaître, mais qu’au bout du compte, on connaît seulement en surface. »

— Sébastien Trahan, réalisateur

Selon André Noël, la Commission a levé le voile sur l’un des plus grands scandales de l’histoire du Québec. Elle a également « remis les choses à l’endroit », notamment par rapport au financement des partis politiques.

« Ça a marqué les esprits, déclare le journaliste. Ç’a été un coup de balai total à la Ville de Montréal, qui était archicorrompue de haut en bas. Ç’a été un balayage complet à Laval. Et dans les firmes d’ingénieurs, ça doit marcher les fesses serrées aujourd’hui. »

Alain Roy croit également qu’en remettant de l’avant certaines recommandations qui tardent à être adoptées, Corruption pourrait faire œuvre utile.

« La Commission a fait plusieurs recommandations. La plus importante a été mise en place, la création de l’Autorité des marchés publics, mais d’autres n’ont toujours pas été appliquées. Sachant qu’il y a encore des personnes qui travaillent dans l’ombre pour réinstaller des systèmes de corruption, il faut appliquer toutes les mesures pour empêcher que d’autres fonds publics soient détournés. La corruption, c’est un combat éternel. Il ne faut pas baisser la garde. »

Et cette série de fiction sur laquelle Alain Roy et André Noël planchaient avant qu’ils décident d’emprunter l’avenue du documentaire, est-ce qu’elle verra éventuellement la lumière du jour ?

« C’est une question qu’on doit examiner », répondent les principaux intéressés.

La série documentaire Corruption – Les révélations choc de la commission Charbonneau atterrit sur Crave vendredi.

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