Opinion 

Il faut qu’on parle de liberté universitaire

Les professeurs et étudiants ont le droit et même la responsabilité de critiquer les décisions de leurs institutions

Dans l’adaptation cinématographique du Seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien, tout a commencé par : « une ombre à l’Est [qui] engendra une rumeur, murmure d’une peur sans nom ». Transposée dans le contexte universitaire québécois actuel, cette ombre et les inquiétants murmures qu’elle provoque concernent les choses qu’il ne faudrait pas dire et les personnes/institutions qu’il ne faudrait pas critiquer (ou froisser).

Ces sujets, tout comme les conséquences qui pourraient en découler pour ceux qui briseraient le tabou, sont insaisissables mais on entend de plus en plus fréquemment, dans les couloirs, des rumeurs de collègues (professeurs ou chargés de cours) qui auraient vu leur carrière entachée ou compromise parce qu’ils auraient osé transgresser l’interdit.

L’accroissement de ces inquiétants murmures dans la Terre du Milieu universitaire québécoise se produit dans un contexte où nous sommes confrontés à la montée de forces travaillant à modifier en profondeur la gouvernance des universités en écartant le principe de collégialité au profit d’une approche managériale hiérarchisée, plus généralement associée aux entreprises. La modification de la Charte de l’Université de Montréal par l’entremise du projet de loi 234 et la saga entourant le récent lock-out décrété par la haute administration de l’UQTR ne sont que les deux plus récents exemples de cette tendance qui tend malheureusement à s’alourdir de plus en plus au Québec.

Or, pour certains, cette modification de la gouvernance universitaire viendrait avec les mêmes obligations que celles qui pèsent sur les épaules de salariés du secteur privé, notamment la fameuse obligation de loyauté qui limite de manière presque totale le droit de critiquer son employeur – ou ses décisions – sur la place publique.

C’est cette impression – fausse comme on le verra plus loin – qui contribue selon moi à donner autant de résonnance aux histoires de Bonhomme Sept Heures qui circulent actuellement et qui visent toutes le même objectif : effrayer les personnes auxquelles on les raconte pour s’assurer de leur obéissance.

Il est fondamental de le rappeler ici haut et fort : peu importe le mode de gouvernance qui est ou sera mis en place au sein des différents établissements universitaires, la nature même des universités exige le respect de la liberté universitaire de l’ensemble des membres de sa communauté. Cette liberté implique le droit – qui devient parfois responsabilité – des membres de la communauté universitaire (qu’ils soient professeurs, chargés de cours ou étudiants) de discuter, critiquer et remettre en cause les décisions, politiques ou orientations de leurs institutions.

Pour reprendre les termes prévus à l’article 27 de la Recommandation concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur, adoptée par l’UNESCO le 11 novembre 1997, la liberté universitaire comprend : « …la liberté d’enseignement et de discussion en dehors de toute contrainte doctrinale, la liberté d’effectuer des recherches et d’en diffuser et publier les résultats, le droit d’exprimer librement leur opinion sur l’établissement ou le système au sein duquel ils travaillent, le droit de ne pas être soumis à la censure institutionnelle et celui de participer librement aux activités d’organisations professionnelles ou d’organisations académiques représentatives. »

La définition de l’Association canadienne des professeures et professeurs d'université (ACPPU) va dans le même sens en reconnaissant également : « …la liberté d’exprimer ses opinions au sujet de l’établissement d’enseignement, de son administration et du système au sein duquel une personne travaille ».

Pas une entreprise

Non seulement l’université n’est pas, ni ne doit être, une entreprise, mais elle est au contraire une institution dont la raison d’être est justement de participer, par l’enseignement et la recherche, à la vitalité de la vie démocratique d’une société en fournissant à l’ensemble de la population des données probantes et opinions éclairées sur un très vaste éventail de domaines de connaissances.

En tant qu’universitaires, c’est justement notre loyauté envers la mission fondamentale des institutions pour lesquelles nous travaillons qui est la source de notre responsabilité de discuter, critiquer et remettre en question les décisions prises par les collègues qui occupent, temporairement, les fonctions de direction administratives au sein de ces mêmes institutions. Ce large droit de critique et de discussion octroyé aux membres de la communauté universitaire a justement pour but d’assurer la pérennité de sa mission et d’éviter d’éventuels détournements au profit d’un nombre restreint d’individus ou de groupes d’intérêts.

Pour Alain Deneault, avec qui j’ai eu la chance de réaliser une entrevue dans le cadre du projet Paroles de chercheur-es : « La question de la recherche relève certes du travail, de la curiosité et de la lecture, mais elle relève aussi beaucoup du courage, simplement. Souvent la recherche comme on dit consiste à rappeler des évidences ; à appeler un chat un chat. » Ce courage, car il en faut toujours pour formuler publiquement une critique à l’encontre de personnalités ou d’institutions de pouvoir (en particulier celle au sein de laquelle on travaille), doit continuer d’être valorisé comme l’un des piliers de l’université, pour assurer son indépendance des pressions externes et assurer qu’elle demeure le lieu de débats intellectuels par excellence. Le jour où les administrateurs universitaires pourront décider de ce qui peut ou ne peut pas se dire à l’université, l’université ne sera plus l’université.

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