Hausses hypothécaires

S’y prendre à l’ avance

Il est possible d’amortir les coups, si on a la chance d’avoir un petit coussin sur ses arrières et un peu de temps devant soi.

Joëlle Saint-Pierre l’a fait. Elle le reconnaît : elle est chanceuse. Elle a mené une partie de sa carrière dans le secteur de la santé, avant de devenir cadre dans la fonction publique.

Elle a acquis une jolie maison jumelée sur la Rive-Sud de Québec en 2015, trois ans avant de prendre sa retraite à l’âge de 55 ans, en 2018.

Pendant quelque temps, elle a accepté des contrats autonomes qui lui ont permis d’arrondir ses revenus de retraite. Elle a mis en réserve ce revenu d’appoint pour des projets spéciaux. Ils n’ont pas pris la forme attendue.

Hausse des taux : pas grave

Joëlle Saint-Pierre avait renouvelé son prêt hypothécaire en 2019 pour un nouveau terme de cinq ans.

« J’avais un taux fixe de 2,54 %, ce qui est quand même assez bien », confie-t-elle.

La montée des taux hypothécaires ne l’a d’abord pas inquiétée.

« Je me disais : moi, mon renouvellement est seulement en décembre 2024, ce n’est pas grave. »

Au printemps 2023, toutefois, elle a pris conscience que les taux montraient une désagréable persévérance dans leur ascension.

« Là, je me suis dit : oh là là ! Je vais quand même regarder combien j’aurais à payer au renouvellement ! »

Ces projections se sont révélées éloquentes.

« J’ai calculé comme si je renouvelais en décembre 2024 à un taux de 7 %, décrit-elle. J’ai évalué que ça allait me coûter environ 210 $ par mois de plus. »

Le surcoût de 12 600 $ sur cinq ans était préoccupant pour une retraitée qui maintient fermement les cordons de sa bourse.

« Je me suis dit : si j’accepte cette augmentation, c’est un peu embêtant. Qu’est-ce que ça donnerait si je faisais un remboursement anticipé ? »

— Joëlle Saint-Pierre

Son contrat hypothécaire lui permettait d’effectuer chaque année un versement de capital équivalant à 15 % de l’emprunt au début du terme. Elle pouvait donc effectuer un premier remboursement de 27 000 $ en 2023. Elle en a planifié un second de 20 000 $ dès le début de la cinquième année du terme, en décembre 2023.

Avec cette stratégie, ses calculs montraient que le solde hypothécaire se trouverait réduit à 69 000 $ au moment du renouvellement, en décembre 2024.

En supposant alors un taux fixe de 7 % et un amortissement de cinq ans, « les paiements demeurent autour de 1380 $ par mois et le solde est à 0 en décembre 2029 », constate-t-elle.

À cette date, « ma maison est à moi ! »

Passer à l’action

« Je suis très privilégiée d’avoir la disponibilité financière pour recourir à cette solution. »

Une disponibilité à laquelle sa prévoyance n’est pas étrangère, tout de même.

L’argent provient en large partie des revenus d’appoint accumulés durant les premières années de sa retraite.

« C’est une question de priorité. Je pourrais dire que je veux voyager plutôt, c’est sûr, mais je me dis qu’à 66 ans, je vais avoir fini de payer ma maison. Je trouve que c’est quand même bien. »

— Joëlle Saint-Pierre

Le facteur temps est lui aussi primordial. Elle a fait ses calculs 20 mois avant l’échéance. « Si j’avais attendu de rencontrer un conseiller à la banque, je serais toute surprise, mais là, je suis toute préparée », se réjouit la retraitée rassérénée.

« Je sais que ce n’est pas à la portée de tout le monde. Je suis privilégiée d’avoir une rente à prestations déterminées. Mais moi, c’est mon moyen. Depuis que j’ai fait ça, je ne suis pas stressée et je dors bien. »

Le sommeil du juste. Du juste à temps.

Stratégies pour desserrer l’étreinte

Quelques stratégies pour réduire la pression des taux… dans la mesure du possible.

Agir tôt sur ce taux

« La première des choses, c’est d’anticiper votre période de renouvellement. Poser des questions, ça vous permet de protéger un taux, de rééquilibrer votre budget pendant quelques mois, ou si nécessaire, de prendre le temps de le restructurer », indique Patrick Dumond, courtier hypothécaire chez Multi-Prêts Hypothèques. « Quand les clients sont proactifs, quand ils vont anticiper leur échéance hypothécaire ou leur financement, on remarque qu’ils vont être beaucoup plus zen vis-à-vis de ces augmentations. »

protéger un taux

« Avec la majorité des institutions financières, il est possible de protéger un taux d’intérêt jusqu’à quatre mois d’avance, donc 120 jours, souligne Patrick Dumond. Ça permet premièrement au client de bien préparer son budget. Et deuxièmement, il profite du meilleur taux entre celui à l’échéance du renouvellement et le taux qu’il aura réservé initialement. Au cours des derniers mois, les clients qui ont utilisé cette stratégie ont gagné beaucoup au change. »

Comparer et réviser

« Comparez ! lance encore Patrick Dumond. Il y a eu des temps où les taux étaient assez égaux d’une institution financière à l’autre. En ce moment, ça vaut vraiment la peine de comparer. » Et deux fois plutôt qu’une. « Donc quatre mois à l’avance, on protège un taux d’intérêt et 30 jours avant l’échéance, on révise avec l’institution financière existante et avec les autres institutions financières : est-ce que le marché est plus favorable à un changement d’institution financière ou à une renégociation avec l’institution initiale ? »

Se fixer sur 3 ans ou 5 ans ?

Les propriétaires sont déchirés entre les taux fixes de trois ans (6,14 % en date du 2 novembre chez Multi-Prêts) et cinq ans (5,74 %). « Les gens sont hésitants entre le taux et la mensualité plus faible d’un 5 ans et un terme plus court qui leur permettrait de profiter éventuellement d’une potentielle baisse », constate Patrick Dumond. « Pour une hypothèque de 300 000 $, un écart de 0,4 % peut représenter 3500 $ d’intérêts en trois ans, indique le courtier. Est-ce qu’on préfère sauver de l’argent pendant trois ans et prendre une chance les deux années suivantes ? Ou bien payer 3500 $ d’intérêts de plus en espérant que les taux seront plus bas après trois ans ? » La décision se prendra « en fonction de leur situation financière, en fonction de leur tolérance au risque, mais aussi en fonction de leurs besoins ».

Prévoir l’impact sur le budget

« Il faut connaître l’effet sur son budget pour qu’on puisse voir ensemble quelles sont les façons de minimiser l’impact de la hausse sur la mensualité hypothécaire et sur les autres engagements du client », recommande le courtier hypothécaire de Multi-Prêts. « Si le paiement calculé ne convient pas à la situation financière actuelle, une analyse approfondie du portait financier est enclenchée », confirme Jean-Benoit Turcotti, porte-parole du Mouvement Desjardins.

Solutions proposées par Jean-Benoit Turcotti, du Mouvement Desjardins :

• Revoir le budget et fixer des limites de dépenses

• Réévaluer les dépenses ou charges essentielles

• Rembourser une dette pour alléger le budget

• Refinancer ou consolider des dettes pour réduire les paiements

• Évoquer la possibilité d’alléger son budget en vendant un bien

Utiliser le levier domestique

« On peut en profiter en même temps pour évaluer l’opportunité d’utiliser le levier de la maison, parce qu’elles ont pris beaucoup de valeur dans les dernières années, soulève Patrick Dumond. On pourra peut-être payer certaines autres dettes personnelles ou les réamortir, pour permettre au client de souffler un peu. »

Étirer l’amortissement

« Si aucune solution n’est possible, le dépassement de l’amortissement au-delà de 30 ans de la date d’ouverture initiale est une option envisageable, de dernier recours et à certaines conditions », informe Jean-Benoit Turcotti. L’emprunteur « doit être conscientisé que plus l’amortissement est long, plus il y aura des intérêts à payer, ajoute-t-il. Finalement, l’utilisation de cette solution doit être offerte en respectant les lignes directrices de l’AMF [Autorité des marchés financiers] et les conditions des assureurs ».

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