Ça arrive rien qu’une fois par année

Je ne peux pas croire que Ciné-cadeau a 40 ans. Je peux encore moins croire que je vais une fois de plus regarder sa programmation, alors que je n’ai même pas d’enfants. Les nullipares sont plus nombreuses qu’on peut le penser à zapper vers Télé-Québec dans le temps des Fêtes, par nostalgie ou par tradition. Sinon, Ciné-cadeau n’aurait pas traversé quatre décennies, quand on sait que les jeunes délaissent de plus en plus la télé traditionnelle.

Parfois, je ne regarde même pas l’écran, je laisse le son en toile de fond pendant que je prépare mon menu de Noël. Ciné-cadeau fait partie de l’ambiance des Fêtes, et je m’étire le cou quand arrivent mes passages préférés, comme la quête pour le laissez-passer A38 dans la maison des fous des 12 travaux d’Astérix, qui est tellement entré dans la culture populaire qu’on le cite dès qu’on veut dénoncer le moindre dérapage bureaucratique, et tout le monde comprend.

Avec le Bye bye, Ciné-cadeau est vraiment une tradition télévisuelle en ce qui me concerne, qui s’insère dans mon petit programme annuel de décembre. Ça me rappelle le côté évènementiel des périodes de grands débrouillages des premiers postes de télé payante ou les soirées de vidéoclips, quand on diffusait Thriller de Michael Jackson à minuit tapant. Chaque année, je regarde Une histoire de Noël de Bob Clark, Le père Noël est une ordure de Jean-Marie Poiré, la trilogie du Seigneur des anneaux de Peter Jackson (les versions longues), Gremlins de Joe Dante et… Ciné-cadeau.

Mais, entre vous et moi, rien qui n’a été produit après les années 1990. Je m’en tiens à mon petit catalogue, c’est-à-dire les Astérix, les Lucky Luke et les Contes pour tous – La guerre des tuques en premier –, mais pas les Tintin, que j’ai toujours trouvés ennuyants. Quand je pense que j’aurais peut-être pu jouer dans l’adorable film d’André Melançon si je n’avais pas eu la picote le jour où ils ont fait les auditions à mon école ! Plusieurs de mes petits camarades de classe ont eu des rôles dans La guerre des tuques, dont la charmante Maripierre D’amour, qui se fait dire depuis presque 40 ans : « T’as de la neige sur l’épaule. »

Quoi de mieux que de regarder Astérix et Cléopâtre en lendemain de brosse, tout en mangeant les restes de dinde ? C’est l’image même de Noël, il me semble.

Mon chum connaît les répliques par cœur et il aime bien prendre la voix de César pour me faire rire. Ce qu’il y a de particulier avec Ciné-cadeau est que cette émission a toujours offert un chemin hors des sentiers de Disney. Nous avons été initiés à d’autres types de dessins, de voix et de références culturelles avec ça – mon chum adore le film Le roi et l’oiseau, tandis que de mon côté, j’ai pleuré ma vie la première fois que j’ai découvert Les cygnes sauvages, dans lequel une petite fille doit tricoter sans émettre un son, pendant des années, des chandails de laine pour sauver ses frères transformés en cygnes par un mauvais sort. On ne saura jamais combien les dessins animés japonais des années 1970 ont développé le sens de la tragédie de toute une génération…

Existe-t-il quelque chose d’équivalent dans le monde à Ciné-cadeau, cette espèce de calendrier de l’avent qui fait patienter les enfants avant le grand soir du déballage des paquets colorés au pied du sapin ?

Je me souviens qu’il n’y avait que ça pour me faire oublier la torture de l’attente quand j’étais petite.

À l’heure de la multiplication des plateformes et de l’atomisation des publics, il y a quelque chose de très sympathique à l’idée qu’une programmation puisse rallier autant de gens de tous les âges depuis presque un demi-siècle, sans aucun signe de lassitude. Pour cette raison, j’ai l’impression que Télé-Québec ne pourra jamais tirer la plogue de Ciné-cadeau, sous peine d’être accusé de tuer l’esprit de Noël.

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