COP28 aux Émirats arabes unis

Une nomination controversée à la présidence de la COP28

Il est ministre, PDG d’une société pétrolière et envoyé spécial de son pays pour le climat. La nomination de Sultan Ahmed al-Jaber à la présidence de la COP28 compromet-elle les chances de succès du prochain grand rendez-vous climatique qui se tiendra aux Émirats arabes unis à la fin de l’année ?

Qui est Sultan Ahmed al-Jaber ?

La nomination a été confirmée jeudi. Sultan Ahmed al-Jaber assurera la présidence de la COP28 qui se déroulera aux Émirats arabes unis en novembre prochain. L’homme de 49 ans porte plusieurs chapeaux dans son pays. Il siège au Conseil des ministres depuis 2013 et occupe la fonction de ministre de l’Industrie et des Technologies avancées depuis 2020. Depuis 2016, il est aussi le PDG de l’Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC), société pétrolière appartenant à l’État où il a commencé sa carrière comme ingénieur. Il dirige également une entreprise publique, Masdar, qui se spécialise dans les énergies renouvelables. « Nous apporterons une approche pragmatique, réaliste et axée sur les solutions, a-t-il promis. L’action climatique est une immense occasion économique d’investissement dans la croissance durable. Le financement est la clé. »

Une nomination qui passe mal

Le choix d’une personnalité issue « d’une industrie qui est elle-même responsable de la crise » crée un « conflit d’intérêts », a déclaré la directrice de l’organisation Climate Action Network International Tasneem Essop. « La COP28 doit se conclure par un engagement sans compromis sur une sortie de tous les combustibles fossiles : charbon, pétrole et gaz », a ajouté Tracy Carty, de Greenpeace International, estimant qu’il « n’y a pas de place » pour cette industrie dans les négociations. Selon Caroline Brouillette, directrice générale du Réseau action-climat au Canada, l’homme doit quitter la direction de l’ADNOC s’il veut présider la COP. « C’est tellement grossier et loufoque, un PDG pétrolier à la présidence d’une COP. »

Un habitué des conférences sur le climat

« Sultan al-Jaber a été le fer de lance de l’action climatique des Émirats bien avant, et pendant, son mandat à l’ADNOC », a affirmé à l’Agence France-Presse l’expert climatique du groupe de réflexion Chatham House, Karim Elgendy. L’homme a été nommé en 2009 au sein du groupe consultatif sur l’énergie et le changement climatique à l’ONU par le secrétaire général de l’époque, Ban Ki-moon. Il est un habitué des COP. Il en sera à sa 10e conférence, signale Hugo Séguin, fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM) et spécialiste des négociations climatiques. Sultan Ahmed al-Jaber a d’ailleurs dirigé la délégation des Émirats arabes unis à la COP27, en Égypte.

Le 8e producteur mondial de pétrole accueille une COP...

Les COP sont régies par des règles de l’ONU qui prévoient une rotation entre cinq groupes régionaux : l’Europe de l’Ouest, l’Afrique, l’Asie-Pacifique, l’Europe de l’Est et finalement l’Amérique latine et les Caraïbes. Des pays proposent leur candidature qui doit être approuvée par tous les membres. « Elle est importante, cette rotation », précise Caroline Brouillette, du Réseau action-climat Canada, qui ne remet pas en question le choix des Émirats arabes unis comme pays hôte. « Les COP ont cette capacité d’exposer les contradictions [de chaque pays] », ajoute Eddy Perez, chargé de cours à l’Université de Montréal et spécialiste des négociations climatiques.

N’est-ce pas incompatible avec les objectifs de carboneutralité ?

« Le choix de Sultan Ahmed al-Jaber est absolument représentatif de l’approche des Émirats en matière d’action climatique, qui s’engagent à décarboner leur économie […], mais défendent leur droit moral à exporter chaque molécule de combustible fossile », a rappelé Karim Elgendy, de Chatham House. « Ils [les Émirats] sont incohérents, comme tout le monde, comme le Canada », affirme Hugo Séguin.

La COP28 est-elle menacée ?

Plusieurs groupes environnementaux dénoncent déjà l’influence croissante des lobbyistes du secteur pétrolier et du gaz dans le cadre de ces rencontres internationales. Considérant l’importance de la présidence, qui est le chef d’orchestre d’une COP, la nomination du patron de l’industrie du pétrole ne rassure guère. « Comment s’assurer que la COP28 ne soit pas capturée par l’industrie ? », demande Caroline Brouillette, d’autant que cette rencontre doit servir à faire le bilan des actions depuis l’accord de Paris en 2015. « Ça serait préférable qu’il démissionne [de son poste de PDG], soutient Hugo Séguin. Mais on ne peut pas présumer qu’il ne sera pas capable de s’investir dans son rôle. C’est un peu court comme argument. »

Des COP de plus en plus critiquées

Dans un éditorial publié mercredi, la prestigieuse revue Nature a sévèrement critiqué ces rencontres internationales. « Les COP ont créé une dynamique et une pression pour une action coordonnée, mais l’influence des intérêts pétroliers et gaziers continuera de limiter leur ambition. C’est pourquoi davantage de pays doivent s’engager à mettre fin aux nouveaux développements pétroliers et gaziers, de manière indépendante ou collective, par l’entremise de partenariats comme l’Alliance Beyond Oil and Gas », plaide la revue scientifique.

— Avec l’Agence France-Presse

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Nombre de représentants de l’industrie des énergies fossiles à la COP27, en Égypte, en hausse de plus de 25 % par rapport à l’année précédente. Les Émirats arabes unis comptaient sur le plus important contingent de lobbyistes de l’industrie en Égypte.

Source : AGENCE FRANCE-PRESSE

50 °C

Dans certaines régions du golfe Persique, les températures frôlent parfois les 50 °C en été. Certains secteurs pourraient devenir inhabitables d’ici la fin du siècle.

Source : AGENCE FRANCE-PRESSE

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