Littérature québécoise

Gabrielle Filteau-Chiba, Bivouac
Kamouraska, mon amour

Bivouac
Gabrielle Filteau-Chiba
XYZ
384 pages

Cette année, nombreux ont été les auteurs d’ici à camper l’action de leurs romans dans les grands espaces québécois. Nous avons demandé à quatre d’entre eux de nous rédiger une petite missive expliquant leur attachement au coin de pays où se déroule leur plus récent opus. De quoi inspirer au voyage.

« Kamouraska est ma plus longue histoire d’amour. J’y suis partie camper une semaine et y suis restée huit ans, finalement. Je rêvais depuis l’enfance de grands espaces, d’une cabane en territoire sauvage, de feux de joie et d’aurores boréales. Alors quand j’ai abouché au village de Kamouraska et aperçu ses battures miroitant l’azur, j’ai su que j’avais enfin trouvé, au Québec, ce que j’avais souvent cherché tout au bout du monde, sac au dos : un îlot coloré avec une communauté vibrante, un accueil des plus chaleureux, et surtout, des rivières bordées de forêts qui me semblaient... infinies.

« Séduite, j’ai eu la chance de partir au large et d’observer, les larmes aux yeux, des bélugas, des oiseaux migrateurs par milliers, et de découvrir des chapelets d’îles, dont certaines sont même accessibles à pied de la côte, à marée basse. Puis, j’ai arpenté le Haut-Pays. Sous les épinettes blanches, j’ai cueilli des chanterelles, des bleuets, et mangé quantité de mouches ! Pour une fille de la ville, j’étais dépaysée à souhait et j’ai eu envie de me réinventer, ici, sous le couvert des arbres.

« Sans ces années magiques passées en région, je ne crois pas que j’aurais eu l’inspiration d’écrire mes trois premiers romans. J’étais investie d’une mission plus noble que toutes mes aspirations précédentes : me placer en vigie pour sensibiliser autrui à la protection de la Nature.

« J’ai quitté le Kamouraska pour d’autres sommets, avec le sentiment que le territoire où je m’étais enracinée m’avait permis de grandir et de donner un sens à ma vie.

« Encabanée, Sauvagines et Bivouac, c’est un triptyque écoféministe qui témoigne de tout l’amour que j’ai pour ce coin de paradis. À lire sur un quai, les pieds dans l’eau, ou sous la tente, en guettant le hurlement des coyotes. »

— Gabrielle Filteau-Chiba

Extrait de Bivouac :

« Je souffle sur les braises, ravive les flammes, dépose sur le tipi de branches de nouvelles bûches bien sèches. Le feu est un ami exigeant. [...] La Lune se présente à nous, jette un éclairage sublime sur les bouleaux au bord de l’eau. Clair-obscur. Jeux d’ombres entre fuseaux blancs. Anouk se tient debout, flambant nue, les orteils ras les tisons. Son regard me lance un défi. Éprises par la fièvre du solstice, nous nous lançons à l’eau glacée de la rivière baignée d’étoiles. Et bientôt nous courons nous réchauffer sur ma catalogne, roulant l’une sur l’autre comme des lionnes avant de nous blottir sous une petite montagne de couvertures.

« Les mains derrière la tête, les yeux plongés dans la Voie lactée, j’écoute le souffle lent d’Anouk et je n’ai plus peur de rien. Plus peur de lui déplaire, ni de la perdre. Elle m’a ouvert les bras, comme si nous ne nous étions jamais séparées. »

À visiter :

Le parc côtier Kiskotuk (qui signifie, en malécite, les terres qui se révèlent à marée basse) pour : contemplation de la faune, randonnée et nuitée en cabane.

Littérature québécoise

Mireille Gagné, Le lièvre d’Amérique
L’Isle-aux-Grues, un trésor caché

Le Lièvre d’Amérique
Mireille Gagné
La Peuplade
160 pages

Cette année, nombreux ont été les auteurs d’ici à camper l’action de leurs romans dans les grands espaces québécois. Nous avons demandé à quatre d’entre eux de nous rédiger une petite missive expliquant leur attachement au coin de pays où se déroule leur plus récent opus. De quoi inspirer au voyage.

« L’Isle-aux-Grues est un des endroits les plus merveilleux à découvrir au Québec, et même au-delà. Elle est située dans l’archipel du Saint-Laurent à la hauteur de Montmagny. On y accède grâce à un traversier gratuit qui fait la navette en fonction des marées. Attention : pour s’assurer d’embarquer avec son véhicule, il faut arriver tôt pour réserver sa place dans une file (au moins une à deux heures, selon le moment dans la semaine).

« J’y suis née et y ai passé ma petite enfance en plus de revenir régulièrement pendant les vacances estivales. En plus des couchers de soleil grandioses, des gens accueillants et des nombreuses espèces d’oiseaux rares à observer, on y découvre une nature sauvage et apaisante qui nous rapproche de la liberté. J’en garde un souvenir puissant et profond comme les marées.

« Mon lieu préféré est Pointe-aux-Pins, la réserve naturelle Jean-Paul-Riopelle, qui se trouve à l’extrémité ouest de l’île en empruntant le chemin de la Haute-Ville. C’est une zone écologique protégée de 48 hectares qui abrite de nombreuses espèces menacées. Un réseau de sentiers pédestres y est aménagé et offre un panorama saisissant. Le parcours forme une boucle et offre des haltes en forêt où il est possible de pique-niquer et d’observer le fleuve et les îles environnantes. »

— Mireille Gagné

Extrait du Lièvre d’Amérique :

« Tu ne t’attendais certainement pas à ça. La grandeur, surgir de nulle part. Après avoir dévalé une colline, nous avons pris un embranchement à gauche et, à cet instant précis, tu as découvert pour la première fois le fleuve dans toute sa splendeur. C’était le montant. La mer était grosse et gagnait rapidement du terrain. Elle moutonnait. La houle nous rappelait notre petitesse. Je t’ai pointé du doigt les roches qui étaient sur le point d’être englouties en face de nous.

— L’eau coupe carré au bout. Il faut se méfier. On appelle ça la petite écore.

Tu as regardé dans cette direction. Puis tu as contemplé la vue panoramique, balayant l’horizon d’ouest en est. [...] Tu as souri et tu t’es avancé le plus près possible de l’eau. Tu as regardé droit devant toi, moi à tes côtés, nos pieds enfoncés dans les galets. En regardant le fleuve qui montait rapidement au loin, ça donnait une drôle d’illusion de mouvement.

— Tu penses que c’est le fleuve ou l’île qui bouge ?

— Je suis certain que c’est nous. On dérive...

J’ai compris que tu étais ici pour rester. »

À visiter :

Pointe-aux-Pins, dans la réserve naturelle Jean-Paul-Riopelle, est un des endroits préférés de Mireille Gagné à l’Isle-aux-Grues.

Littérature québécoise

Paul Serge Forest, Tout est ori
Côte-Nord : échapper à tout cliché

Tout est ori
Paul Serge Forest
VLB éditeur
456 pages

Cette année, nombreux ont été les auteurs d’ici à camper l’action de leurs romans dans les grands espaces québécois. Nous avons demandé à quatre d’entre eux de nous rédiger une petite missive expliquant leur attachement au coin de pays où se déroule leur plus récent opus. De quoi inspirer au voyage.

« La Côte-Nord a une histoire immémoriale – celle des Innus et du Nitassinan – et une histoire plus récente, rude, industrielle. Elle échappe à tout cliché. Sur la route 138, aucun panneau n’indique, le long de son littoral presque infini, l’endroit exact qui vous bouleversera. C’est ma région natale, et c’est son caractère inédit et inépuisable qui m’a fait y situer l’action de Tout est ori.

« Je parle, dans le roman, d’un point précis où le fleuve Saint-Laurent devient sérieux et commence à offrir des perspectives bleues à perte de vue. À cet emplacement se dresse le phare de Pointe-des-Monts avec sa tour rayée blanc et rouge. Les paysages autour du phare valent assurément le détour. Quand je visite la Côte-Nord, j’aime aussi m’arrêter aux Escoumins, l’un des plus beaux villages du Québec, pour marcher sur la plage aux rochers couverts de petits bigorneaux. J’en profite pour remplir la glacière à la poissonnerie des Pêcheries Manicouagan, un établissement bien célèbre dans le coin et qui mérite toute sa renommée. »

— Paul Serge Forest

Extrait de Tout est ori :

« Sur la 138, un peu après la fourche de Sacré-Cœur, Mori Ishikawa avait cru mourir. La conduite à droite ne lui venait pas naturellement et il se retrouvait, à chaque courbe, proche du face-à-face. [...] Il avait trouvé la brise saline et froide, mais anormalement peu iodée. Il se rappellerait plus tard avoir douté de l’estuaire, du golfe, et de ce qu’on pourrait en sortir. À marée basse, il s’avançait loin et se retournait pour voir le village. Il n’y avait pas que là que s’échancrait la côte et pourtant, à des kilomètres à la ronde, c’était le seul endroit où des humains avaient choisi de vivre. Sur les falaises, les forêts de conifères regorgeaient d’arbres mort-nés, gris et secs, encore porteurs d’épines roussies. Le vent les dégarnirait. Tout donnait à Mori l’impression d’une rudesse domptée sans méthode, mais domptée néanmoins. Il n’était pas chez lui, mais il se sentait bien. »

À visiter :

Le phare de Pointe-des-Monts et le village des Escoumins

Littérature québécoise

Julien Gravelle, Les cowboys sont fatigués
Lac Saint-Jean : une beauté à apprivoiser

Les cowboys sont fatigués
Julien Gravelle
Leméac
186 pages

Cette année, nombreux ont été les auteurs d’ici à camper l’action de leurs romans dans les grands espaces québécois. Nous avons demandé à quatre d’entre eux de nous rédiger une petite missive expliquant leur attachement au coin de pays où se déroule leur plus récent opus. De quoi inspirer au voyage.

« Le Lac-Saint-Jean est un pays plat comme la paume d’une main. Les grandes rivières ont creusé de profonds sillons dans les terres sablonneuses et ce que les gens de la place appellent montagnes n’est en fait guère plus que des cales formées par le lent travail des glaciers.

« Ce pays ne se donne pas immédiatement aux premiers venus, et pour percevoir la beauté sous l’âpreté du paysage, il ne suffit pas toujours d’aller se tremper les pieds dans l’eau du Pekuakami. Je recommanderais d’aller user ses propres paumes de mains sur l’olive d’une pagaie, par exemple. C’est en tout cas sur le banc arrière d’un canot, ou en hiver les pieds plantés sur des patins de traîneau, que j’ai appris à voir le territoire sous l’apparente homogénéité de la forêt boréale. Tout ici est affaire de nuances, de présences presque invisibles et de traces de pattes sur le sable blond.

« Au cours de mes 12 années de guide, j’ai appris à nouer des liens avec les petites choses qui m’entourent et c’est ce que j’essaie de restituer dans mes romans. Un certain sens du lieu, disons. Mes personnages ont les pieds bien plantés dans la terre forte et dans cette culture jeannoise, ce qui donne toujours plus ou moins, à la fin, une littérature de survie. »

— Julien Gravelle

Extrait des Cowboys sont fatigués :

« La nuit était tombée, une nuit noire mitée d’étoiles scintillantes, comme des coquerelles aux dos argentés. J’étais dehors parce que les chiens aboyaient si fort dans leur chenil que je les avais entendus depuis le fond de mon trou. J’avais monté l’échelle à toute vitesse et soulevé la trappe pour regarder dehors. Je jette toujours un coup d’œil avant de sortir, histoire qu’il n’y ait pas un comité d’accueil caché quelque part. Le système de vidéosurveillance que je me suis patenté me permet de voir qui vient sur le chemin, mais tout autour de ma propriété, c’est le bois. Un bois sombre et sans fond quand tombe la nuit, et qui avale les ombres qui passent. »

À visiter :

En canot, seul ou guidé sur la Mistassini ou l’Ouasiemisca, pour les plus méditatifs, ou pour les plus aventuriers, en raft sur la Mistassini. On peut joindre l’accueil du parc régional des Grandes-Rivières du lac Saint-Jean pour avoir les contacts des prestataires locaux.

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