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Les leçons d’un médecin devenu patient

« La seule personne qui peut comprendre les effets secondaires, c’est celle qui les subit », témoigne le docteur montréalais Philip Gordon.

Pendant 42 ans, le docteur Philip Gordon a traité et opéré des patients atteints du cancer. Il pensait trouver les bons mots pour les accompagner. Jusqu’à ce qu’il se retrouve « de l’autre côté de la clôture » et soit frappé à son tour par le cancer.

Dans un témoignage poignant publié aujourd’hui dans la revue Diseases of the Colon & Rectum, celui qui dirige la division de chirurgie colorectale à l’Hôpital général juif et à l’Université McGill dit réaliser à quel point il mesurait mal la souffrance de ses patients. Il incite maintenant ses collègues à mieux se documenter sur les effets secondaires des médicaments qu’ils prescrivent.

« J’ai parlé aux patients, mais en rétrospective, je comprends que je n’ai pas fait un très bon travail, écrit l’homme de 75 ans. Ce n’était pas par manque de compassion envers les patients, parce que j’étais compatissant. Ce n’était pas parce que je ne consacrais pas suffisamment de temps à chaque patient, parce que je consacrais le temps nécessaire. Ce n’était pas parce que j’étais mal à l’aise devant cette maladie, parce que je ne l’étais pas. C’était simplement parce que je n’étais pas dans la peau de ces patients, et la seule personne qui peut comprendre les effets secondaires, c’est celle qui les subit. »

Frappé en 2016 par un cancer du pancréas avec des métastases au foie, aux poumons et à la paroi abdominale, le Dr Gordon raconte avoir vu sa vie « changer en un clin d’œil ». Il a subi plusieurs traitements de chimiothérapie, dont certains expérimentaux et très invasifs, jusqu’à en trouver un auquel ses tumeurs semblaient finalement répondre.

« Les chirurgiens sont habitués à se sentir en contrôle dans la plupart des situations, mais ce n’est plus vrai lorsqu’on est le patient. »

— Le Dr Philip Gordon

« On ne sait pas tout »

Dans son article, le Dr Gordon parle de la fatigue « écrasante, totalement dévorante, presque indescriptible » qui l’a frappé et qui l’a obligé à aborder la vie un jour à la fois. Il raconte ses nausées, ses diarrhées, sa perte d’appétit et ce goût métallique « agaçant » qu’il avait sans cesse dans la bouche. Seule la perte de cheveux ne l’a pas trop affecté.

« Ma femme m’a dit que j’avais l’air très à la mode. Vous aimez ma coupe de cheveux ? C’est mon oncologue qui l’a faite ! », blague-t-il.

En entrevue à La Presse, le Dr Gordon explique avoir livré son témoignage comme un « rappel de l’importance de l’empathie ».

« Évidemment, on ne peut pas demander aux médecins d’attraper le cancer pour qu’ils comprennent leurs patients. Mais je les incite à mettre le temps, ce temps en extra, pour s’informer et mieux comprendre. » 

— Le Dr Philip Gordon

Il invite par exemple les médecins à parler aux infirmières, qui « sont dans les tranchées et voient directement les réactions des patients aux médicaments ». Les diététistes et les pharmaciens sont aussi des sources précieuses, dit-il.

« On ne sait pas tout », rappelle le Dr Gordon, qui refuse toutefois de parler d’arrogance. « Je ne me suis jamais considéré comme quelqu’un d’arrogant, dit-il. C’est simplement qu’il faut parfois marcher un mille dans les souliers de quelqu’un pour le comprendre. »

Selon lui, des médecins qui comprennent réellement les effets secondaires de traitements comme la chimiothérapie seront mieux à même de bien conseiller leurs patients et de savoir quand le temps est venu de cesser un traitement.

« Vous savez pourquoi ils mettent des clous dans les cercueils ? C’est pour que les oncologues ne puissent pas donner de chimiothérapie », écrit-il dans l’article, reprenant une vieille blague.

« Les médecins devraient fournir l’espoir sans être irréalistes, dit-il. Et les mots sont importants. Les mots comptent. »

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