Patinage artistique

Montréal, épicentre de la danse sur glace

En quelques années, le quartier Côte-Saint-Paul est devenu la plaque tournante mondiale de l’épreuve de danse sur glace en patinage artistique. Tout cela grâce à la vision de deux entraîneurs québécois. Incursion dans l’un des secrets les mieux gardés du sport montréalais.

À première vue, le complexe sportif Gadbois n’est pas l’endroit le plus invitant de Montréal. À l’ombre de l’échangeur Turcot, de ses travaux, de ses cônes, de ses détours et de sa voie ferrée, enclavé au creux du quartier Côte-Saint-Paul, l’édifice abrite pourtant la plus grande école de danse sur glace au monde.

Des couples des quatre coins du monde s’y entraînent sur les deux patinoires George et Sylvio-Mantha. En février prochain, les mêmes athlètes se battront pour les trois médailles en danse aux Jeux olympiques de PyeongChang.

« Notre but est de mettre trois couples – quelle que soit leur nationalité – sur le podium », avance Marie-France Dubreuil, cofondatrice avec son conjoint Patrice Lauzon de l’école de patinage Montréal international. « Si on vise en bas de ça, on ne fait pas notre job ! »

L’objectif n’est pas farfelu. Après le programme court aux derniers Championnats du monde d’Helsinki, les duos de l’école occupaient les trois premières places. En conférence de presse, les trois couples ont vanté l’encadrement reçu à l’aréna Gadbois. « Un moment de bonheur incroyable », résume Dubreuil, qui ne « pensait jamais vivre ça un jour ».

Au programme libre, les Américains Madison Hubbell et Zachary Donohue ont trébuché du troisième au neuvième rang. Mais les Canadiens Tessa Virtue et Scott Moir et les Français Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron, tenants du titre, ont confirmé leur statut de favoris, remportant respectivement l’or et l’argent à l’issue d’une chaude lutte.

Si tout se passe comme prévu, les deux mêmes duos se disputeront l’or olympique en Corée du Sud. « Ce sera très serré », anticipe Lauzon en réprimant une grimace. Forcément, deux de ses élèves seront déçus.

Succès foudroyants

Fondée modestement en 2010, l’école Montréal international a produit les trois derniers champions du monde en danse. Les jeunes Français Papadakis et Cizeron ont d’abord causé la surprise en 2015 avant de répéter l’exploit l’année suivante. Deuxièmes l’an dernier à Helsinki, ils ont donc cédé le trône à Virtue et Moir, sortis de leur retraite pour venir s’entraîner à Montréal en 2016.

Pour Dubreuil et Lauzon, c’est le monde à l’envers. À la retraite de leur entraîneuse Sylvie Fullum en 2002, ils avaient eux-mêmes dû s’expatrier pour trouver un lieu d’entraînement à leur niveau. Ils avaient le choix entre Detroit et son école russe ou l’Europe. Ils ont opté pour Lyon, où ils avaient déjà effectué des stages.

« On ne pouvait pas croire qu’on devait partir de Montréal pour s’entraîner ailleurs », se souvient Lauzon.

« Il y a plus d’arénas dans l’île de Montréal que dans la France au complet. Le patinage artistique n’est pas leur sport national. La question était : pourquoi ? »

— Patrice Lauzon

Le duo québécois a passé cinq ans à Lyon sous la gouverne de l’entraîneuse Muriel Boucher-Zazoui. Il a progressé jusqu’à devenir un prétendant au podium aux JO de Turin en 2006. Dubreuil avait alors subi une terrible chute sur un porté lors du programme court. Malgré une douleur aiguë, elle a rebondi quelques semaines plus tard aux Mondiaux de Calgary, où les Québécois ont gagné l’argent.

Dubreuil et Lauzon ont conclu leur carrière avec une autre médaille d’argent aux Mondiaux de 2007. Après trois années de tournées professionnelles, ils se sont posés pour de bon à Montréal à la naissance de leur fille Billie-Rose, à la fin de 2010.

Lauzon rêvait d’ouvrir une école de danse sur glace à Montréal, inspirée du caractère multinational de celle de Lyon. Encore fallait-il trouver des patinoires… ouvertes le jour. À la Ville de Montréal, un fonctionnaire leur a proposé l’aréna Maurice-Richard et son éventuelle deuxième glace, projet qui n’a jamais abouti.

Le Regroupement élite de patinage artistique de Montréal (REPAM) a aiguillé les deux entrepreneurs vers le centre Gadbois, où un club vivotait. « Au début, on avait seulement [une patinoire] de midi à 16 h, raconte Dubreuil. Petit à petit, on a fait ouvrir à partir de 7 h. Maintenant, on a les deux glaces qui marchent presque toute l’année, de 7 h à 16 h 30. »

15 couples en résidence

Entre deux séances, Dubreuil et Lauzon s’affairent dans leur bureau près des vestiaires. Avec ses murs turquoise et ses meubles défraîchis, l’endroit ne paie pas de mine. « Le centre a un peu d’âge, mais il est quand même assez bien entretenu », dit Lauzon en tartinant deux craquelins de beurre d’amandes.

En l’absence de deux autres entraîneurs partis en compétition à l’étranger, leur temps est compté. Chaque couple reçoit environ trois heures et demie de leçons quotidiennes sur la glace, divisées en deux séances. Un calendrier bien rempli détaille l’horaire des compétitions.

Malgré son nom, l’école de patinage Montréal international n’avait pas de grandes prétentions à ses débuts. « On ne faisait pas du très haut niveau, relate Dubreuil. Puis, des Espagnols nous ont appelés. Ils ont dit : “Vous étiez nos idoles, on veut vraiment venir s’entraîner avec vous.” Ils étaient comme 28es mondiaux. Puis, un Danois est arrivé. »

Aujourd’hui, ils sont 15 couples. Des Canadiens, des Espagnols, des Américains, des Français, des Britanniques, des Bulgares, des Japonais, des Arméniens. Un fichier Excel permet à Lauzon de gérer l’horaire de chacun. Il y consacre au moins une heure chaque soir et quelques heures les fins de semaine. Tous les athlètes vivent dans le quartier, dans des condos en bordure du canal de Lachine, ce qui fait dire à Marie-France que son école contribue à l’essor économique de Saint-Henri.

Papadakis et Cizeron se sont installés en 2014, à la suite de Romain Haguenauer, leur entraîneur à Lyon qui a décidé de rejoindre ses amis canadiens. Alors âgés de 19 ans, ils ont progressé de façon fulgurante. Treizièmes à leurs premiers Championnats du monde, les Français ont remporté le titre l’année suivante à Shanghai. Pratiquement du jamais-vu en danse sur glace.

« Quand on s’est assis dans le “kiss and cry” et qu’on a vu le “1” apparaître sur le tableau, on se demandait ce qui venait d’arriver, raconte Dubreuil. On n’y croyait pas trop. Ils ont vraiment pris le sport par surprise. »

Retour délicat

Tessa Virtue et Scott Moir ont causé leur propre surprise en annonçant leur retour à la compétition quelques semaines avant le deuxième titre de Papadakis et Cizeron, en 2016. « Ils avaient complètement décroché : elle était retournée à l’école, lui s’était mis à rénover une maison », souligne Dubreuil.

Dubreuil et Lauzon leur avaient servi de mentors à leurs débuts dans l’équipe canadienne. Après leur médaille d’argent aux Jeux de Sotchi en 2014, Virtue et Moir avaient laissé entendre qu’ils s’entraîneraient avec eux et personne d’autre s’ils reprenaient le collier.

« C’est sûr qu’on ne pouvait pas dire non à Tessa et Scott. Mais c’était un retour. Pouvaient-ils avoir du succès ? C’était un risque pour nous aussi. »

— Marie-France Dubreuil

La cohabitation n’a rien d’exceptionnel dans l’univers de la danse sur glace. Durant leur exil lyonnais, Dubreuil et Lauzon s’entraînaient avec leurs rivaux français Isabelle Delobel et Olivier Schoenfelder. À Detroit, Virtue et Moir ont pour leur part côtoyé les Américains Meryl Davis et Charlie White, qui les ont privés d’une deuxième médaille d’or olympique à Sotchi.

« On croit vraiment que les meilleurs doivent s’entraîner avec les meilleurs », affirme Dubreuil.

Les entraîneurs québécois ont néanmoins dû préparer le terrain auprès de leurs doubles champions mondiaux déjà en résidence. « Une dynamique pas si évidente à gérer au début, surtout pour les jeunes [Français] et les fédérations », admet Dubreuil.

Favorisaient-ils leurs compatriotes au détriment d’un couple étranger ? La question a surgi à mots couverts la saison dernière. À un certain moment, Marie-France Dubreuil a refusé les interviews sur le sujet, craignant que des propos cités « hors contexte » ne la mettent « dans le trouble ». « Quand je travaille, je ne suis pas canadienne, plaide-t-elle. Je travaille pour tous les pays. »

Les deux entraîneurs se voient comme des parents qui ne voudraient pas favoriser un enfant au détriment d’un autre. « Mais c’est sûr que ce n’est jamais facile d’aller en compétition sachant qu’un va gagner et l’autre va perdre », concède Dubreuil.

La séance de Papadakis et Cizeron se termine. Dans les gradins du centre Gadbois, Virtue et Moir arrivent pour leur deuxième entraînement. En sortant de la glace, Guillaume envoie la main à Tessa. Dans quelques mois, à PyeongChang, ils auront probablement l’occasion de se faire l’accolade sur le podium. Pour autant, espèrent leurs entraîneurs, que l’un des deux couples soit sur la plus haute marche.

Virtue et Moir lancent leur saison

Tessa Virtue et Scott Moir ont lancé hier leur saison à Regina aux Internationaux Patinage Canada, deuxième volet de la série Grand Prix, en assommant la concurrence avec un pointage de 82,68 points. Ils ont devancé leurs compatriotes Kaitlyn Weaver et Andrew Poje (77,47 points) et les Américains Madison Hubbell et Zachary Donohue (76,08 pts). Papadakis et Cizeron s’élanceront pour leur part la semaine prochaine à Pékin. Seul affrontement potentiel entre les duos avant PyeongChang : la finale des Grands Prix au Japon, en décembre.

— Avec La Presse canadienne

Patinage artistique

Kaetlyn Osmond reprend là où elle avait laissé

Kaetlyn Osmond a fait un premier pas vers un deuxième titre des Internationaux Patinage Canada. La patineuse artistique de Marystown, à Terre-Neuve-et-Labrador, a réussi trois sauts à rotation triple lors de la présentation des programmes courts, hier après-midi. La Russe Anna Pogorilaya occupe le deuxième rang, devant sa compatriote Maria Sotskova. Âgée de 21 ans, Osmond a donc amorcé sa saison olympique là où elle avait laissé au printemps. Elle avait alors décroché l’argent aux Championnats mondiaux en Finlande, signant la meilleure performance canadienne chez les femmes depuis la deuxième place de Joannie Rochette en 2009. Alaine Chartrand, de Brockville, en Ontario, a pris le 11e rang. Larkyn Austman, de New Westminster, en Colombie-Britannique, a fermé la marche en 12e place.

— La Presse canadienne

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