SARS-CoV-2

La quête de l’origine

L’hypothèse voulant que la pandémie de COVID-19 ait pu découler de la fuite accidentelle d’un virus étudié dans un laboratoire de Wuhan, d'abord écartée comme un délire « conspirationniste », est désormais évoquée par des chercheurs comme une piste de rechange possible au scénario voulant que le SARS-CoV-2 se soit transmis naturellement de l’animal à l’homme. Beaucoup de pays déçus des travaux de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont le Canada, demandent la tenue d’une enquête réellement indépendante, laquelle a peu de chances d’aboutir.

UN DOSSIER DE MARC THIBODEAU ET D'ALICE GIRARD-BOSSÉ

SARS-CoV-2

L’hypothèse d’une fuite de laboratoire suscite un regain d’intérêt

Alors que la pandémie de COVID-19 est encore dans ses premiers stades au début de 2020, le gouvernement chinois se montre catégorique sur l’origine du virus en voie de déferler sur la planète, arguant qu’il est passé naturellement de l’animal à l’homme comme d’autres l’ont déjà fait.

L’hypothèse, avancée par certains élus américains, qu’il ait pu s’échapper d’un laboratoire de recherche de haute sécurité de l’Institut de virologie de Wuhan, la ville où les premiers cas d’infection sont recensés, est alors écartée comme étant « totalement folle » par Pékin.

Une trentaine de chercheurs font paraître en février dans la revue médicale The Lancet une déclaration dans laquelle ils appuient leurs collègues chinois et s’alarment de la circulation de théories « conspirationnistes » pouvant compromettre « la collaboration globale en cours pour lutter contre le nouveau fléau ».

Quelques mois plus tard, les saillies antichinoises de l’administration de l’ex-président Donald Trump, qui va jusqu’à évoquer sans preuve la possibilité que le nouveau coronavirus soit une arme biologique résultant de recherches militaires chinoises, soulèvent l’opprobre et freine l’intérêt pour le scénario de fuite.

La sortie la semaine dernière du nouveau chef d’État américain, Joe Biden, qui a demandé publiquement aux services de renseignement de son pays de mettre les bouchées doubles pour voir clair quant à l’origine de la pandémie, montre que les interrogations ont maintenant repris de plus belle.

Le président américain a précisé qu’il était impossible actuellement de trancher entre les scénarios de transmission naturelle et de fuite accidentelle d’un virus étudié dans le laboratoire.

Ses propos font écho aux interventions de deux groupes de chercheurs qui ont réclamé ce printemps, notamment dans la revue Science, la tenue d’une enquête véritablement indépendante à ce sujet, tout en écartant catégoriquement l’hypothèse de l’arme biologique.

Richard Ebright, microbiologiste de l’Université Rutgers, au New Jersey, qui figure parmi les signataires, pense que l’arrivée d’une nouvelle administration aux États-Unis dont la crédibilité est intacte facilite une nouvelle exploration de l’hypothèse d’une fuite accidentelle.

Des lacunes de l’OMS

Le moteur premier du regain d’intérêt actuel vient cependant, dit-il, des lacunes de l’enquête menée en début d’année par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en collaboration avec la Chine, qui écartait l’hypothèse d’une fuite comme étant « extrêmement improbable ».

« Les mandats pour l’enquête ne mentionnaient même pas la possibilité d’une fuite de laboratoire », relève M. Ebright en entrevue.

Il reproche à Pékin d’avoir profité de l’« à-plat-ventrisme » des dirigeants de l’OMS pour verrouiller le processus en s’arrogeant un droit de veto sur la composition du comité d’enquête et en restreignant de façon draconienne l’accès de ses membres aux données, aux acteurs chinois de la crise et aux lieux d’intérêt, y compris le laboratoire de virologie.

L’OMS a par ailleurs transformé « la charade en farce », accuse M. Ebright, en acceptant qu’un chercheur américain, Peter Daszak, qui a subventionné des recherches sur les coronavirus au laboratoire de Wuhan et cosigné des articles à ce sujet, figure parmi les enquêteurs alors qu’il avait un intérêt direct à nier la possibilité d’une fuite de laboratoire.

M. Daszak, qui dirige EcoHealth Alliance, organisme new-yorkais voué à la lutte contre les pandémies, était l’un des instigateurs de la lettre parue dans The Lancet au début de 2020.

À la sortie du rapport de l’OMS, de nombreux pays, dont les États-Unis et le Canada, ont manifesté leurs « préoccupations communes » envers ses conclusions et réclamé une enquête « sans ingérence ni influence indue », critiquant à mots couverts les pressions chinoises.

Question de compliquer la donne, des médias américains ont révélé que les Instituts américains de santé (NIH) ont accordé de 2014 à 2019 des subventions de plusieurs millions de dollars à l’Institut de virologie de Wuhan par l’entremise d’EcoHealth Alliance.

Selon Newsweek, l’argent a permis notamment aux chercheurs chinois de recueillir dans la nature des centaines de coronavirus provenant de chauves-souris.

Le magazine Newsweek a relevé par ailleurs que les NIH avaient aussi financé des recherches à Wuhan visant à augmenter par divers mécanismes la contagiosité de certains coronavirus pour être en mesure de mieux comprendre les mécanismes en jeu, une pratique controversée.

M. Ebright pense que ce type de recherche est risqué puisqu’il peut mener à la libération accidentelle d’un virus modifié à la dangerosité accrue et n’apporte pas de « bénéfice véritable » en matière de lutte contre les pandémies.

Le directeur des Instituts américains de la santé (NIH), Francis Collins, a assuré cette semaine au magazine The Atlantic que l’organisation n’avait financé aucune recherche à Wuhan permettant d’augmenter la contagiosité d’un virus transmissible chez l’homme.

Il souligne que l’hypothèse de la transmission naturelle est « de loin » la plus crédible pour expliquer la pandémie actuelle, mais note qu’il n’est pas possible à ce stade d’écarter la possibilité d’une fuite de laboratoire.

Ratés en matière de biosécurité

Le Washington Post a révélé que des responsables américains s’étaient inquiétés, il y a quelques années après une visite au laboratoire de Wuhan, du manque de personnel qualifié pour assurer l’application stricte des protocoles de sécurité.

Des ratés en matière de biosécurité augmentent la possibilité qu’un chercheur puisse être infecté à son insu et transporte un virus hors du laboratoire. Des fuites de cette nature se sont déjà produites en Chine et ailleurs.

Les services de renseignements américains affirment que trois chercheurs du laboratoire de Wuhan sont tombés malades en novembre 2019 et ont été hospitalisés avec des symptômes similaires à ceux de la COVID-19, une information démentie par Pékin.

Les tenants de l’hypothèse de la fuite de laboratoire relèvent par ailleurs que les coronavirus se rapprochant le plus génétiquement du SARS-CoV-2 proviennent du sud du pays, à des centaines de kilomètres de Wuhan, situé en Chine centrale.

La responsable des études à ce sujet au sein du laboratoire de Wuhan, Zheng-Li Shi, a confié au magazine Scientific American qu’elle s’était demandé, lorsque la pandémie avait commencé, s’il avait pu y avoir une fuite au laboratoire de l’un des virus prélevés sur le terrain. Mais elle rejette catégoriquement aujourd’hui cette hypothèse.

La quête d’un animal intermédiaire ayant pu permettre au coronavirus de passer naturellement de la chauve-souris à l’homme n’a toujours pas donné de résultats concluants, ce qui alimente les interrogations.

M. Ebright prévient que toutes les informations disponibles à ce jour constituent des éléments circonstanciels qui ne permettent pas de trancher entre les deux hypothèses considérées.

Une « bonne théorie conspirationniste »

Nombre de chercheurs insistent sur le fait que la transmission naturelle demeure, à défaut d’une preuve concluante sur la fuite, l’hypothèse la plus sérieuse.

Angela Rasmussen, virologue de l’Université de la Saskatchewan, pense que l’attention accrue accordée actuellement à l’hypothèse de la fuite de laboratoire fait écho à des informations déjà connues et tend à créer une « fausse équivalence » avec l’hypothèse de la transmission naturelle alors que la seconde demeure bien plus probable que la première en considérant les données disponibles.

Aucun des coronavirus connus sur lesquels travaillait le laboratoire de virologie de Wuhan ne présente avec le SARS-CoV-2 des similarités génétiques telles que l’on peut imaginer que l’un ait pu mener à l’autre, dit la chercheuse Angela Rasmussen, virologue de l’Université de la Saskatchewan.

M. Daszak, dans une rare entrevue accordée récemment à un site américain spécialisé sur les questions de santé, a encore moqué l’hypothèse de la fuite comme une « bonne théorie conspirationniste ».

La Chine non plus ne veut rien entendre de cette possibilité et accuse avec colère les États-Unis de mener une campagne de désinformation motivée par des considérations politiques.

« S’il y avait des interrogations sur une fuite dans un laboratoire américain ayant pu causer une pandémie, je pense que les États-Unis ne seraient pas plus transparents », note Mme Rasmussen.

La recherche d’une réponse claire à la question de l’origine de la pandémie n’en demeure pas moins essentielle, souligne M. Ebright.

Comme après un accident de train ou toute catastrophe d’envergure, le but est de « comprendre ce qui s’est passé » pour pouvoir mettre en place collectivement les correctifs qui s’imposent et éviter une répétition du même scénario, souligne le chercheur.

« Le but n’est pas de blâmer le régime chinois. Si c’est présenté comme le monde contre la Chine, nous n’aurons jamais la collaboration qu’il faut pour obtenir les réponses que nous cherchons », croit-il.

SARS-CoV-2

Des chercheurs québécois sceptiques

La Presse a demandé à quelques chercheurs québécois de dire ce qu’ils pensaient des scénarios évoqués pour expliquer l’origine de la pandémie.

« Je demeure très sceptique quant aux [conjectures] sur l’origine de la COVID-19 voulant que la pandémie soit rattachée à un évènement grave lié au laboratoire P4 de Wuhan. Ce n’est pas impossible, mais très peu probable. Cette théorie surgit dans un contexte où le sentiment antichinois s’est accentué au fil des mois de confinement de la population durant la pandémie. Cette théorie doit être démontrée sur le plan scientifique en toute transparence et faire l’objet d’études sérieuses publiées. Personnellement, je remets fermement en question toute tentative de recherche d’un coupable [...] La pandémie ne devrait pas être un cautionnement pour déployer des forces géostratégiques contre la Chine. Nous avons vu avec l’invasion de l’Irak combien les fausses accusations de recours à des laboratoires clandestins mobiles d’anthrax [bacille du charbon] ont servi de justification narrative pour s’engager dans un conflit armé après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Le spectre des risques biologiques ne devrait pas être brandi à la légère et nous devons tirer des leçons du passé. »

— Laurence Bernard, professeure à la faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal et spécialiste en prévention des infections, biosécurité et gestion des risques

« C’est vraiment très peu probable. Le niveau de sécurité est tellement élevé qu’il faudrait qu’il y ait eu de grosses défaillances en matière de biosécurité pour que ça sorte du laboratoire. Ils sont dans des combinaisons complètement étanches, ils travaillent sous des hottes de biosécurité. Nous, on a travaillé avec le SARS-CoV-2 dans un laboratoire de niveau 3. On a de grosses protections respiratoires, mais ça n’a rien à voir avec le niveau 4. Ce serait possible qu’ils aient isolé le virus d’un animal, qu’il l’ait cultivé dans des cellules humaines et qu’il y ait eu un accident. Par contre, je [rejette] complètement l’hypothèse que le virus ait été construit de toutes parts pour devenir pathogène chez l’homme. Je n’y crois pas du tout, du tout, du tout. »

— Laurent Chatel-Chaix, professeur à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et directeur du nouveau laboratoire de niveau de confinement 3 situé au Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologie (AFSB) depuis mars 2021

« Bien que, pour l’instant, il ne semble pas possible d’éliminer la possibilité d’une fuite d’un laboratoire, selon moi, l’hypothèse d’un passage du virus de la chauve-souris vers l’homme en passant par un hôte animal intermédiaire est la plus plausible en fonction des données génomiques des coronavirus de chauve-souris circulant dans la région de Wuhan, en Chine. Comme aucun des coronavirus connus ne correspondait au SARS-CoV-2, on présuppose que l’un d’eux s’est adapté dans l’animal intermédiaire pour pouvoir ensuite infecter l’homme. »

— Alain Lamarre, spécialiste en immunologie rattaché à l’INRS

— Propos recueillis par Alice Girard-Bossé et Marc Thibodeau, La Presse

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