4 DE 10 LES IMPACTS SOCIAUX DE LA COVID-19 OPINION

On ne peut pas lutter contre la désinformation avec de la mauvaise science

Voici le quatrième d’une série de textes d’opinion sur les effets sociaux à long terme de la pandémie, rédigé par des membres du Comité sur les impacts de la COVID-19 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau

Une vague de désinformation a enveloppé tous les aspects de cette pandémie. L’appui pour des remèdes pseudoscientifiques a entraîné la confusion du public, des décès et des pertes financières. Des histoires de conspiration sur l’origine du virus – de l’idée qu’il est une arme biologique à la croyance qu’il est causé par la technologie 5G – ont permis une polarisation idéologique du discours public, et ont contribué à éroder la confiance du public dans les autorités de santé publique, qui cherchent à promouvoir les stratégies de prévention nécessaires.

La lutte agressive contre la diffusion de désinformation est devenue une priorité de santé publique. Un nombre croissant de recherchesmontrent que cette lutte peut être efficace si elle est bien menée. Mais nous ne pouvons pas lutter contre la désinformation si le public ne fait pas confiance aux données scientifiques pertinentes et aux entités publiques qui utilisent ces données pour élaborer des politiques.

Hélas, il y a eu récemment une foule de controverses scientifiques et de problèmes de communication qui ont rendu de plus en plus difficile de se fier à la « bonne science » comme remède contre l’infodémie.

Il est donc urgent que les chercheurs, les institutions de recherche, les cliniciens, les autorités de santé publique et les médias accordent une plus grande attention à trois éléments fondamentaux (plutôt évidents, mais apparemment oubliés) de la politique scientifique.

Premièrement, il faut que la science soit bien faite. L’un des moyens les plus rapides de créer la confusion et de perdre la confiance du public, est de publier des études faibles, de mauvaise qualité ou, pire encore, frauduleuses. Malheureusement, cela s’est produit trop souvent en cette ère de publication panique – comme l’illustre la récente recherche très médiatisée sur les dangers de l’hydroxychloroquine. L’étude, qui était basée sur des données douteuses et invérifiables, était publiée dans la célèbre revue The Lancet. Elle a rapidement été rétractée, mais il était trop tard pour éviter le préjudice causé à la confiance du public.

Bref, le désir de résultats rapides et d’un impact élevé lors d’un état de crise ne doit pas permettre d’abaisser ou d’éroder les normes scientifiques.

Deuxièmement, il faut aussi que la science soit bien communiquée. Une grande partie des preuves entourant la pandémie reste incertaine. Compte tenu de cette réalité, il est essentiel que les représentations publiques – que ce soit dans une recommandation de santé publique, dans la presse populaire ou sur les médias sociaux – soient honnêtes quant à l’état réel des preuves et aux limites des méthodologies utilisées.

Exagérer la capacité de la science est presque toujours une erreur. En effet, une grande partie de l’agitation autour de l’hydroxychloroquine est le résultat de l’emballement du président américain pour une petite étude imparfaite sur le plan méthodologique. Le bruit sur les prétendus bienfaits qui a suivi a conduit à des attentes injustifiées et accrues de la part du public. (Au Canada, par exemple, malgré le manque de bonnes données cliniques, 23 % des Canadiens – et 30 % des Québécois – croient à tort que le médicament est efficace.) Le battage scientifique a également contribué à alimenter des prescriptions inutiles et potentiellement nuisibles, ainsi que des investissements publics douteux dans la poursuite de la recherche, y compris dans les essais cliniques.

La recherche2 a montré que le public peut bien accepter la vérité sur l’incertitude scientifique, qu’elle concerne le port du masque, la transmission asymptomatique ou les thérapies potentielles. En effet, le fait d’être explicite sur les inconnues et les limites de la connaissance peut en fait renforcer la crédibilité des informations scientifiques, et la confiance et la compréhension du public. Le manque de transparence entraînera inévitablement une confusion et une perte de confiance.

Enfin, nous devons clarifier que la science est un processus, et non une liste de faits immuables. Elle est en constante évolution et, par conséquent, les recommandations en matière de santé publique évolueront (et devraient évoluer) aussi.

En évitant un langage trop dogmatique sur les politiques fondées sur la science – comme celles qui concernent le port du masque – nous pouvons modérer la frustration du public (et la perte de confiance qui en découle) si la science et les recommandations changent.

La bonne science est essentielle dans la lutte contre la diffusion de désinformation. Mais elle doit également être présentée au public de manière sensée et respectueuse. Comme l’indique une étude récente3, la manière dont nous gérons la diffusion de la science pendant la pandémie aura des répercussions à long terme sur la relation du public avec la science. Il faut réfléchir davantage comment communiquer la confiance et l’honnêteté.

*Timothy Caulfield est l’auteur de The Science of Celebrity… or Is Gwyneth Paltrow Wrong About Everything ? (Penguin Random House, 2020).

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