Liban

Salafiste et comique

Souvent représentés comme de violents extrémistes par les médias internationaux, les salafistes, adeptes d’un islam rigoriste, sont également accusés de soutenir l’expansion d’un islam radical. Au Liban, l’un d’entre eux a décidé de combattre à sa manière les préjugés qui dénigrent sa communauté. Son arme : l’humour.

TRIPOLI, Liban — « Un garçon ajoute une fille sur Facebook, puis, cinq minutes plus tard, il lui demande d’enlever les photos sur lesquelles elle pose avec d’autres garçons parce que cela le rend jaloux », lance Bilal Mawas, au milieu de la scène. Dans la salle, le public éclate de rire.

L’été dernier, Bilal Mawas, un salafiste de 37 ans originaire de Tripoli, dans le nord du Liban, faisait ses débuts comme humoriste. L’homme corpulent à la barbe grisonnante qui travaille comme producteur à la radio Irtiqaa Way, une radio salafiste locale, ne se destinait pourtant pas à la scène.

« J’avais pris l’habitude de critiquer la politique et la société de façon humoristique sur les réseaux sociaux. Un jour, un de mes amis, qui n’est pas religieux, m’a invité à prendre la parole lors d’un spectacle organisé dans un restaurant de Tripoli. Au début, je n’ai pas accepté. Je me suis dit qu’en tant que salafiste, je ne devais pas prendre part à ce genre d’évènement où il y a des femmes et de la musique. J’ai donc demandé l’opinion d’un sheikh, qui m’a encouragé à participer pour changer la perception qu’ont les gens des salafistes », raconte-t-il.

ISLAM RIGORISTE

Les salafistes comme Bilal Mawas sont des musulmans sunnites qui prônent un islam rigoriste tel qu’il était pratiqué, selon eux, à l’époque du Prophète. Comme la plupart des membres de sa communauté, l’homme de 37 ans n’écoute pas de musique et ne doit pas avoir de contacts physiques avec des femmes qui ne sont pas de sa famille. Il ne fume pas et ne boit pas d’alcool non plus.

« Lorsque les gens dans la salle m’ont vu avec mon abaya [sorte de robe longue] et ma barbe, ils étaient très méfiants. J’ai entendu certaines personnes dire : "Qu’est-ce qu’il vient faire ici ? Prêcher ? Nous faire un sermon ?" Mais à la fin de mon spectacle, tout le monde m’a applaudi et félicité. »

— Bilal Mawas

VIOLENCES SECTAIRES

Depuis quatre ans, Tripoli, également surnommé « la capitale du nord du Liban », est régulièrement le théâtre de violences sectaires entre les alaouites (branche du chiisme) partisans du régime de Bachar al-Assad et les sunnites soutenant la rébellion syrienne.

À Tripoli et dans d’autres villes, comme Saïda, au sud de Beyrouth, des militants salafistes s’attaquent régulièrement à l’armée libanaise, qu’ils accusent d’être aux mains du Hezbollah chiite, également allié de Bachar al-Assad.

« Notre communauté est victime de préjugés à cause de quelques voyous. Les médias aiment faire des amalgames. Si un salafiste fait quelque chose de mal, on accuse toute la communauté », déplore Bilal Mawas.

« Parfois, des gens refusent de monter dans l’ascenseur avec moi ou de monter dans le même taxi que moi. Ils ont peur quand ils voient ma barbe, parce qu’ils ont une mauvaise image des salafistes », ajoute le père de famille.

HUMOUR RASSEMBLEUR

Fort de son premier succès, l’apprenti humoriste travaille maintenant sur un nouveau projet : une pièce de théâtre humoristique, qu’il présentera à Tripoli au printemps.

« C’est l’histoire d’un homme qui se fait arrêter et est faussement accusé de terrorisme. La pièce parle de terrorisme et critique la société et les médias », explique Bilal qui, depuis son premier spectacle, est remonté sur scène à quelques reprises et a fait plusieurs apparitions à la télévision libanaise.

« J’ai entendu parler de Bilal Mawas. C’est bien ce qu’il fait, car il est vrai que les salafistes n’ont pas toujours très bonne réputation », affirme quant à lui Ahmad Hachem, 28 ans, dans un café de Tripoli.

Si l’humoriste avoue avoir reçu quelques commentaires négatifs de la part de certains membres de sa communauté, il est cependant déterminé à faire changer les mentalités.

« Je suis ici, malgré mon abaya et ma barbe, pour vous faire sourire. »

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