Les femmes à la rescousse dans les usines
Sur les 100 nouveaux employés qui s’ajoutent en septembre à la chaîne de montage d’autocars de Prevost, 20 sont des femmes.
On n’avait jamais vu un tel contingent.
Il permettra à Prevost, qui s’extirpe de la crise pandémique, d’accroître sa production d’un demi-autocar par jour pour la porter à deux véhicules par jour – elle atteignait 2,5 autocars avant la pandémie.
« À la lueur du manque de main-d’œuvre qu’on voit actuellement partout, c’est sûr qu’il faut travailler de ce côté. Les femmes, c’est 50 % de la population, on ne peut pas se permettre de ne pas être intéressants pour ce segment-là. »
— François Tremblay, président de Prevost
« Et du point de vue de l’entreprise, on veut avoir plus d’inclusion et de diversité, ajoute M. Tremblay. Pour nous, c’était vraiment important d’amener plus de femmes dans l’organisation. »
Prevost emploie quelque 1600 personnes dans ses installations de Sainte-Claire, à une soixantaine de kilomètres au sud de Québec, dont 15 % de femmes. « L’objectif qu’on s’est donné pour 2030 est de monter ça à 30 % », formule-t-il.
Sur les 800 employés qui travaillent à la production, 99 sont des femmes, soit une proportion de 12,5 %.
Pour attirer des femmes, il fallait d’abord lever certains obstacles.
Prevost exigeait auparavant que les candidats aient suivi au préalable un cours de lecture de plans, exigence « qui était un gros frein à l’embauche de femmes dans l’usine », souligne le président.
Prevost leur fait maintenant passer un test pratique consistant à réaliser un petit assemblage sur la base d’un dessin technique. « Ça a enlevé cette barrière à l’entrée, et on a vu que les femmes, en fait, étaient très performantes pour comprendre un plan et faire une bonne procédure d’assemblage, constate-t-il. Juste un petit changement comme celui-là a été un gros élément qui nous a permis de recruter plus de femmes. »
Une portière ouverte
C’est le 20 juin dernier qu’Alexandra Malenfant a franchi pour la première fois les portes de l’usine de Prevost à Sainte-Claire. Ce sont d’ailleurs des portes d’autocar qu’elle y construit. Elle n’y connaissait rien : elle occupait auparavant des postes administratifs. Elle est maintenant technicienne monteuse.
Elle a posé sa candidature à la suggestion d’un ancien collègue qui travaille maintenant chez Prevost.
« Je me suis dit : je vais essayer, je n’ai rien à perdre. »
Elle a entrepris les premières démarches à la mi-mai. Dès son premier jour au boulot, la femme de 42 ans s’est attelée à une tâche qu’elle n’aurait jamais imaginée trois mois plus tôt : faire l’assemblage d’une portière avec des pièces « vissées, collées, rivetées ».
« J’étais la seule madame aux portes », se remémore-t-elle.
Ses deux coéquipiers avaient plus de 25 ans d’expérience.
« Au départ, je m’étais dit : peut-être qu’ils vont être réticents, on ne sait jamais, mais au contraire, je n’ai jamais senti qu’on cherchait à me diminuer. Je n’ai jamais senti qu’une femme ne serait pas capable. C’est un beau sentiment d’appartenance et ils m’ont vraiment intégrée dans leur équipe dès le premier jour. »
L’accroissement de production automnal vient d’amener un quatrième équipier, issu du nouveau contingent annoncé par François Tremblay.
« C’est une femme aussi. Elle a eu le même traitement que moi, c’est-à-dire qu’elle se fait aussi encadrer par nos collègues. »
La suite de sa vie
Jessica Couture a elle aussi été engagée au printemps. Pendant 13 ans, elle a été superviseure dans la production pour deux entreprises alimentaires.
« En 2020, j’ai eu un cancer du sein, confie-t-elle. Ça m’a fait réfléchir beaucoup à la suite de ma vie. »
Elle a répondu à une annonce de Prevost, qui cherchait des superviseurs. Elle aussi avait quelques aptitudes manuelles. « Pour les travaux chez nous, je n’appelle pas le plombier », en veut-elle pour preuve.
Engagée après un test psychométrique plutôt que mécanique, elle a mis le pied dans l’usine pour la première fois au début de mai.
« Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. J’ai été très impressionnée. Je me suis dit : oh boy, c’est gros ! »
« Les premières journées, je me suis sentie déstabilisée parce que c’est beaucoup de morceaux, un autobus, poursuit-elle. Juste apprendre à nommer les pièces, ça a été un certain travail. »
Elle supervise maintenant une trentaine d’employés, dont cinq femmes, chargés de mettre en place l’enveloppe du véhicule. L’un d’eux a fêté ses 40 ans de service au cours de la semaine – la femme de 38 ans n’était pas née quand il a commencé à travailler chez Prevost. « J’ai su que j’étais la seule femme sur le plancher comme superviseure, et qu’il y en avait eu qu’une, il y a 25 ans », souligne-t-elle.
« Sachant que c’est plus un milieu d’hommes et qu’on parle vraiment de quelque chose de mécanique », Jessica Couture craignait aussi d’être accueillie en intruse. « Mais ça s’est super bien passé, les gens m’ont bien accompagnée. »
Le pas est franchi, mais l’enjambée était grande.
« Je faisais du lait et du poulet. Et maintenant, je fais des autobus ! », s’étonne-t-elle encore.
« Je n’avais aucune idée comment ça se produisait. Par contre, ça a été un wow ! de voir comment les gens étaient fiers de leur espace de travail, comment ils l’entretenaient. J’ai travaillé dans plusieurs entreprises alimentaires. Ici, c’est parfois plus propre, presque, qu’une usine alimentaire. Ça a frappé ! »
On mangerait à terre
La propreté dans l’usine n’a pas été instituée pour frapper l’imagination féminine, mais elle constitue un atout, confirme François Tremblay.
« On veut être accueillants, lance-t-il. Nos environnements sont très propres, tout est structuré. Durant les vacances, on a repeint les planchers. C’est propre, vous pourriez manger sur nos planchers. »
« On a changé l’éclairage, c’est clair, c’est invitant, poursuit le président. Les femmes sont plus sensibles à ça. »
Prevost a également adapté sa publicité de recrutement en y présentant davantage de femmes et en faisant reluire certains avantages inhérents à l’entreprise, notamment ses rutilants autocars récréatifs adaptés aux déplacements des vedettes.
« On vend des motorisés qui coûtent 2 ou 3 millions, souligne François Tremblay. On est dans toutes les tournées musicales en Amérique du Nord. On a beaucoup misé sur l’aspect lifestyle de notre produit, et ça plaît aux femmes. »