Pierre Boulle

L’oublié de La planète des singes

On souligne ces jours-ci le 50e anniversaire de La planète des singes au cinéma. Mais qui se souvient de l’écrivain français à l’origine de cette saga ? Pierre qui ?

Paris — Il y a 50 ans, presque jour pour jour, était lancé le premier film de La planète des singes. Neuf longs métrages, une série télé, un dessin animé et des dizaines de produits dérivés plus tard, la franchise la plus simiesque du cinéma est devenue un véritable empire, au même titre que Alien, Batman ou Star Wars. Bien peu savent, cependant, qu’à l’origine de cet immense succès se trouve un petit roman de 190 pages, publié en 1963 par l’auteur français Pierre Boulle. La Presse s’est entretenue avec Jean Loriot-Boulle, l’héritier de ce pionnier de la science-fiction française, aujourd’hui un peu oublié…

Le premier film de La planète des singes, lancé en 1968, prenait certaines libertés par rapport au roman. Qu’en avait pensé Pierre Boulle ?

La première partie du film pour lui était excellente. Il trouvait les maquillages de singes particulièrement réussis. Par contre, il n’aimait pas du tout la fin avec la statue de la Liberté, qui n’était pas dans le livre. Mais les critiques ont adoré. Alors il s’est dit qu’il était peut-être mauvais juge. Il a fini par se faire à l’idée.

Les quatre films suivants, sortis entre 1970 et 1973, étaient encore plus éloignés de l’œuvre originale. Les avait-il appréciés ?

Pour être franc avec vous, je ne l’ai jamais entendu s’extasier sur les films dérivés. Mais il partait du principe qu’il était écrivain et pas scénariste. Il se disait : pourquoi pas si ça mène à quelque chose de bien… C’était une sorte de passivité bienveillante.

Avait-il donné son accord à ces suites ?

Sur le plan purement juridique, on ne peut pas imaginer qu’il n’ait pas donné son accord. D’autant qu’il y avait des avantages. Il faut rappeler que le premier film de la série a été un véritable triomphe avec des recettes de plus de 30 millions de dollars. Alors il était bien évident que chaque fois que les Américains voulaient continuer l’adaptation du film avec ses compléments, ils payaient des droits importants, répartis entre Pierre Boulle et l’éditeur du livre, Julliard.

La planète des singes l’a donc rendu riche ?

Plus que l’adaptation du Pont de la rivière Kwai [son autre grand succès]. Pour Kwai, l’éditeur était tellement persuadé que l’offre américaine était un miracle, qu’ils se sont dit : il ne faut pas trop en demander. Donc les droits ont été vendus aux studios Columbia pour une poignée de dollars – pas plus de 15 000 euros, selon Pierre Boulle !

En revanche, le succès du film, sorti en 1957, l’a rendu célèbre. Alors quand la Fox a demandé les droits pour La planète des singes, il est allé chercher un contrat plus avantageux sur le plan financier. Riche ? Ça n’a rien changé dans sa vie, dans le sens où il a toujours gardé sa discipline de travail. Mais ça lui a donné des moyens. Il s’est acheté un appartement à Marseille. Une maison à Auxerre. Il voyageait un peu. Gâtait sa sœur et sa nièce, avec qui il vivait. Il ne faut pas croire qu’il était milliardaire, mais il vivait bien.

Comment lui était venue l’idée de La planète des singes ?

Il ne se souvenait plus. Il pensait que c’était après une visite au zoo de Paris où il avait observé des gorilles. Il était impressionné par leurs expressions quasi humaines et ça l’a amené à imaginer ce que donnerait une relation hommes-singes. Plusieurs pensaient que c’est le film King Kong qui l’avait inspiré, mais c’est totalement faux.

Pierre Boulle a plus de 40 livres à son actif. Quelle place occupait La planète des singes dans son œuvre ?

Il ne l’a jamais considéré comme l’un de ses meilleurs romans. Ni comme un roman de science-fiction. Au départ, pour lui, c’était plus une espèce de fantaisie, une histoire un peu philosophique dont la science-fiction était un prétexte.

Il estimait qu’il aurait pu réussir mieux certaines parties du livre. Il était loin de se douter que plusieurs décennies après sa mort, on en parlerait encore.

Les films ont eu beaucoup de succès, mais on a un peu oublié l’existence du roman, voire de Pierre Boulle lui-même. Comment l’expliquer ?

Je ne sais pas. C’est un peu le drame de Pierre Boulle. Je crois qu’il a été éclipsé par son côté solitaire. Il parlait peu et fuyait les médias. Or, quand on fuit les médias, au bout d’un moment, ils vous laissent de côté. Du coup, Pierre Boulle est devenu cet « illustre inconnu ». Ça expliquerait pourquoi il est un peu à l’écart aujourd’hui. Il y a un black-out sur Pierre Boulle et son œuvre, que certains trouvent d’ailleurs scandaleux.

Une œuvre qui compte aussi quelques inédits, dont ce scénario, intitulé La planète des hommes

Oui. En 1968, après le succès du premier film de La planète des singes, le producteur Arthur P. Jacobs a demandé à Boulle d’écrire la suite. Mais les gens de la Fox ont apporté tellement de changements à son scénario qu’il a fini par se désintéresser du projet… Après sa mort en 1994, on a retrouvé le script. Nous l’avons transmis à la Fox. Qui serait actuellement en train de l’étudier. Je ne peux pas vous en dire plus. Mais on peut espérer que le ciel s’en mêle et qu’on reparlera bientôt de Pierre Boulle et de La planète des singes

Une franchise de 2 milliards

1968

Planet of the Apes (box-office : 33 millions)

1970

Beneath the Planet of the Apes (box-office : 17 millions)

1971

Escape from the Planet of the Apes (box-office : 12 millions)

1972

Conquest of the Planet of the Apes (box-office : 9 millions)

1973

Battle of the Planet of the Apes (box-office : 8 millions)

2001

Planet of the Apes (box-office : 362 millions)

2011

Rise of the Planet of the Apes (box-office : 482 millions)

2014

Dawn of the Planet of the Apes (box-office : 710 millions)

2017

War for the Planet of the Apes (box-office : 490 millions)

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