Taxes foncières impayées

L’explication d’Éric Duhaime mise en doute

Québec — Des experts remettent en question l’explication d’Éric Duhaime sur son compte de taxes foncières en souffrance. Le chef du Parti conservateur du Québec avait affirmé vendredi qu’il incombait à son locataire de payer cette facture et qu’il s’en était finalement acquitté.

Pour « être transparent sur toute la ligne », le fiscaliste André Lareau, professeur associé à la Faculté de droit de l’Université Laval, invite Éric Duhaime à rendre publics tous ses documents fiscaux, dont les états financiers de son immeuble, sa déclaration de revenus et son avis de cotisation.

« Il faut qu’il démontre que ça s’est fait dans la légalité. Parce que s’il a déduit les taxes que le locataire a payées sans les inclure à sa déclaration de revenus, là ça ne marche carrément pas, là c’est de la fraude, c’est vraiment de l’évasion fiscale à ce moment-là », affirme l’expert.

La Presse a demandé à l’équipe d’Éric Duhaime s’il serait prêt à rendre ces documents publics pour dissiper tout doute. « Tout est légal et le reste relève de la vie privée de Monsieur Duhaime », a répondu son attaché de presse, Cédric Lapointe, samedi après-midi.

Le chef conservateur avait reconnu plus tôt dans la journée qu’il est « inhabituel » pour un locataire de payer la taxe foncière. Il n’a toutefois pas voulu expliquer pourquoi il avait ajouté cette clause dans le bail d’une de ses propriétés.

« Des fois on paie l’Hydro, des fois on ne paie pas l’Hydro. Des fois on paie internet, des fois on ne paie pas internet. […] Chaque entente avec chaque propriétaire ou locataire varie de l’un à l’autre », a-t-il justifié en marge d’une conférence de presse sur la santé mentale.

Est-ce en contrepartie d’un loyer plus bas ? « J’imagine que c’est un des facteurs, évidemment », a-t-il répondu à La Presse. Il a également indiqué que « chaque personne est libre de négocier ce qu’elle veut. »

Le Journal de Montréal avait rapporté vendredi que la Ville de Québec lui réclamait en tout plus de 14 000 $ de taxes impayées et menaçait de saisir ses deux propriétés. La première facture s’élevait à un peu plus de 12 000 $ et la deuxième totalisait environ 1850 $.

Un bail illégal ?

MManuel Johnson, avocat spécialisé en affaires de logement au cabinet Ouellet, Nadon & Associés, est d’avis que le paiement des taxes par le locataire de M. Duhaime « pourrait être jugé illégal, au sens du Code civil ». Il réfère ainsi à l’article 1893, qui régit les clauses « sans effet » d’un bail portant sur un logement.

« Les taxes foncières, qui varient selon la valeur d’évaluation municipale, ça rentre là-dedans. On ne peut pas refiler ça au locataire, même s’il est d’accord, parce que ça fait en sorte que son loyer réel va varier selon la valeur de l’immeuble », évalue-t-il.

« Moi, je n’avais jamais vu ça, vraiment. On ne peut pas ajouter une condition du bail qui fait en sorte que le locataire ne sait pas ce que va être son loyer d’année en année. »

— MManuel Johnson, avocat spécialisé en affaires de logement

L’avocat spécialisé en matière d’habitation, MAntoine Morneau-Sénéchal, est aussi de cet avis. « Dans ma carrière – et j’ai traité des milliers de dossiers –, je n’ai jamais été témoin d’une situation comme ça, témoigne-t-il. C’est très inhabituel, d’autant plus que le règlement sur les fixations de loyer prend en compte que les taxes foncières sont payées par le propriétaire pour les augmentations de loyer. Les taxes d’eau et tout ça, on peut les inclure dans un bail et ça se négocie, mais pour la taxe foncière, ce n’est jamais prévu », certifie-t-il.

« C’est tellement dans la pratique courante qu’il n’y a pas vraiment de jurisprudence. Ça pourrait [être considéré comme illégal]. Naturellement, c’est le propriétaire qui paie les taxes parce que sinon, il s’expose justement au non-paiement de taxes et, donc, à se faire reprendre l’immeuble. Pour un propriétaire, demander au locataire de payer les taxes, c’est quand même très risqué », insiste MMorneau-Sénéchal.

Éric Duhaime a répété que les taxes foncières dues avaient été payées vendredi après qu’il eut été mis au courant qu’il y avait compte en souffrance. « Je suis propriétaire de l’immeuble, mais j’ai la responsabilité de m’assurer que les taxes soient payées et j’en prends l’entière responsabilité », a-t-il ajouté.

Il a ensuite dénoncé le traitement « irresponsable » de cette nouvelle par le Journal de Montréal qui a publié les photos de ses deux propriétés en première page, dont celle où il habite, alors que la campagne électorale a été marquée par des questions de sécurité. Il a rappelé qu’il est le seul chef de parti à ne pas bénéficier de la protection de la Sûreté du Québec.

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