Trains Azur

ILS FABRIQUENT LE NOUVEAU MÉTRO

Les usines québécoises de Bombardier Transport et d’Alstom sont prêtes à accroître la cadence de production des nouvelles voitures du métro de Montréal, mais un ennui logiciel les en empêche. Visite dans les coulisses de la fabrication de l’Azur.

UN DOSSIER DE SYLVAIN LAROCQUE

Trains Azur

Ça bourdonne à La Pocatière

LA POCATIÈRE — Cela faisait un bon bout de temps qu’on n’avait pas vu autant d’activité dans l’usine de Bombardier Transport à La Pocatière, dans le Bas-Saint-Laurent. Après des années de retards, la manne que représente le contrat des nouvelles voitures du métro se concrétise enfin.

« L’an prochain, ce sera la meilleure année en 12 ans », affirme François Dussault. Depuis juin, l’homme de 34 ans est le directeur général de cette usine qui a fabriqué des motoneiges avant d’être convertie au secteur ferroviaire dans les années 70, lorsque Bombardier a décroché son premier contrat pour le métro de Montréal. Quelques travailleurs ont même eu la chance de travailler sur les deux commandes : celle de 1974 pour 423 voitures et celle de 2010 pour 468 voitures !

METTRE LES BOUCHÉES DOUBLES

Les installations emploient environ 320 personnes actuellement, contre 250 au printemps. Dans quelques mois, lorsqu’on ajoutera un quart de travail de soir, le nombre d’employés passera à 500, voire 550. Mais comme une partie de la production a été automatisée et délocalisée au fil des ans, on restera loin du sommet de plus de 1000 travailleurs atteint dans les années 80, alors qu’on assemblait 825 voitures pour le métro de New York.

Sept trains Azur de neuf voitures circulent actuellement dans le métro de Montréal. Il devrait y en avoir 10 d’ici la fin de l’année. Chez Bombardier, on dit être prêt à augmenter le rythme de production pour passer de la livraison d’un train par mois à deux trains par mois. Ce sont les retards accumulés depuis la signature du contrat avec le consortium Bombardier-Alstom qui obligeront les entreprises à mettre les bouchées doubles, puisqu’à l’origine, la cadence devait se maintenir à un train par mois.

UN LOGICIEL CAPRICIEUX

Or, le logiciel de contrôle du train, qui avait déjà causé un retard dans la production l’an dernier, n’est pas encore complètement au point, ce qui nuit aux performances en matière de vitesse et de distance de freinage. La Société de transport de Montréal (STM) assure que ces problèmes ne présentent aucun risque pour les voyageurs. Le logiciel provient de la firme italo-japonaise Ansaldo STS, un fournisseur d’Alstom.

« Le consortium Bombardier-Alstom aimerait augmenter la cadence, mais nous ne sommes pas prêts à le faire tout de suite parce que nous n’avons pas encore parcouru assez de kilomètres avec les nouvelles voitures pour confirmer que le système de contrôle est suffisamment stable. »

— Carl Arseneault, directeur de l’entretien du matériel roulant du métro à la STM

M. Arseneault a bon espoir que les ennuis du logiciel de contrôle du train seront réglés au cours des prochains mois. S’il fallait plus de temps, le respect de l’échéance de septembre 2018 pour la livraison de l’ensemble des 52 rames commandées serait compromis.

UN MÉTRO UNIQUE

Le développement des voitures Azur n’a pas été de tout repos : il s’est écoulé plus de 10 ans entre les travaux de conception préliminaire réalisés en 2006 et la mise en service de la première voiture, en février dernier. Cela tient notamment au fait que le métro de Montréal ressemble à bien peu d’autres dans le monde, si ce n’est certains segments du métro de Paris.

Au lieu d’adapter leurs gammes de métros courants tels Innovia ou Movia chez Bombardier et Metropolis chez Alstom, les constructeurs ont dû créer un véhicule spécialement adapté au réseau de la STM. Le projet a d’ailleurs occupé jusqu’à 150 ingénieurs et autres spécialistes au centre de prototypage de Bombardier à Saint-Bruno-de-Montarville.

Le design unique des trains Azur est l’une des raisons pour lesquelles le coût unitaire de chaque voiture, 2,54 millions, est plus élevé que celui prévu à d’autres contrats récents de métro, comme ceux de Toronto, New York et Chicago (environ 2,1 millions CAN par voiture). Notons toutefois qu’à Boston, les nouvelles voitures ont un coût unitaire légèrement supérieur, soit 2,64 millions CAN.

« Les comparaisons entre différents projets sont toujours très hasardeuses, note Marc-André Lefebvre, porte-parole du consortium Bombardier-Alstom. Avant la signature du contrat, la STM a soumis l’offre du consortium à des consultants indépendants qui ont conclus que le prix convenu était à l’intérieur des normes de l’industrie. »

Chose certaine, les salariés d’Alstom à Sorel-Tracy (où on fabrique les essieux) et de Bombardier à Saint-Bruno-de-Montarville et à La Pocatière ne sont pas peu fiers du résultat final. « Ce n’est pas un beau métro, ça ? », lance le président du syndicat des employés de Bombardier à La Pocatière, Mario Guignard, en admirant une voiture sortant de l’usine pour être livrée à Montréal.

Le début de la fin pour les voitures MR-63

Pour faire place aux nouvelles voitures, la STM a commencé à envoyer à la casse les plus vieilles voitures du métro, les MR-63, construites à Montréal de 1965 à 1967 en collaboration avec CIMT, une entreprise française rachetée par Alstom en 1983. Avant de leur dire adieu, la STM les dépouillera de pneus, d’attelages et d’autres composants encore en bon état qu’elle pourra réutiliser sur d’autres voitures, y compris les MR-73 de Bombardier, qui doivent demeurer en service au moins jusqu’en 2036. C’est le ferrailleur montréalais American Iron & Metal, propriété du multimillionnaire Herbert Black, qui a obtenu le contrat de 1,2 million pour démanteler les MR-63. Certaines voitures seront conservées pour être « mises en valeur » dans le cadre de projets artistiques et sociaux. La STM dévoilera bientôt les propositions retenues.

trains Azur

Qui fait quoi ?

Plus de 150 fournisseurs, dont une centaine établis au Québec, jouent un rôle dans la construction des trains Azur. En voici quelques-uns.

Alstom

On rêve déjà du train de la Caisse

Le pic du contrat du métro de Montréal n’est pas encore passé que les employés québécois d’Alstom et de Bombardier Transport salivent déjà en pensant à la prochaine grosse commande de matériel roulant, pour le Réseau électrique métropolitain (REM) de la Caisse de dépôt et placement.

« C’est un projet qui nous intéresse grandement », confirme Angelo Guercioni, directeur général d’Alstom Canada, en entrevue avec La Presse. Le contrat de fabrication et d’entretien des quelque 200 voitures du REM est évalué à 1,5 milliard.

La multinationale française a investi 5 millions dans la construction d’une usine à Sorel-Tracy pour fabriquer les bogies (essieux) des nouvelles voitures du métro de Montréal. Ses dirigeants comptent sur d’autres contrats nord-américains pour maintenir en vie les installations, qui emploieront bientôt une soixantaine de personnes.

L’usine a obtenu son premier mandat hors Québec : la fabrication des bogies pour les 34 voitures du futur train léger d’Ottawa, qui vient de débuter.

PAS D’EXIGENCE DE CONTENU CANADIEN

Aux installations de Bombardier à La Pocatière, on se tient aussi prêt à contribuer au REM, mais le président du syndicat, Mario Guignard, modère ses attentes, conscient du fait que la Caisse n’a imposé aucune exigence de contenu canadien pour le contrat. « Nous avons le savoir-faire nécessaire pour participer au projet », dit-il laconiquement.

Les salariés de La Pocatière se réjouissent d’avoir récupéré la fabrication de sous-châssis pour les tramways de Toronto. Jusqu’à tout récemment, ces composants étaient produits dans une usine mexicaine de Bombardier, mais l’entreprise vient de réorganiser le travail dans l’espoir de régler les nombreux retards qui affligent le projet.

Cela dit, en raison de la mise en place de règles obligeant de plus en plus l’assemblage local du matériel roulant aux États-Unis, l’usine de La Pocatière profite beaucoup moins qu’auparavant des contrats que Bombardier obtient au sud de la frontière. Pour la commande de 300 voitures du métro de New York que l’entreprise a remportée en 2012, l’assemblage a été réalisé à l’usine de Plattsburgh. Le centre d’ingénierie de Bombardier à Saint-Bruno-de-Montarville a toutefois été mis à contribution.

« En maintenant de bonnes relations de travail, nous espérons aider Bombardier à décrocher d’autres contrats pour La Pocatière », indique M. Guignard. Le mois dernier, les syndiqués ont entériné le renouvellement de la convention collective dans une proportion de 91 %.

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