Déficit « historique » de 15 milliards à Québec

Québec et Beaupré — Le coronavirus a infecté le budget du Québec, qui restera en zone rouge pour une période prolongée : le déficit prévu atteint un niveau « historique » de 15 milliards de dollars, et le retour à l’équilibre budgétaire ne se fera que d’ici cinq ans.

C’est ce que révèle le Portrait de la situation économique et financière 2020-2021 présenté par le ministre des Finances, Eric Girard, vendredi. Pour ramener les finances publiques dans le vert, il écarte l’idée de puiser dans les poches des contribuables et promet de ne pas sabrer les services publics. Pas question non plus d’abandonner des promesses électorales. Québec mise principalement sur une croissance économique supérieure dans les prochaines années.

« Il n’est pas question de réduire les dépenses, il n’est pas question d’augmenter les impôts », a tranché le premier ministre, François Legault, de passage sur la Côte-de-Beaupré.

« On souhaiterait que d’ici la fin 2021, l’économie revienne au niveau où elle était en décembre 2019. […] Si on retrouve nos revenus, qu’on [maintient] nos dépenses sauf pour les postes additionnels récurrents [qu’on ajoute dans les CHSLD], je pense qu’on est capables sur cinq ans de [retrouver l’équilibre budgétaire], sans réduire les dépenses, juste avec la croissance des revenus », a-t-il affirmé.

Le ministre Girard parie sur une bonne croissance économique au cours des prochaines années afin de sortir du rouge. Pour 2021, le PIB réel fera un rebond de 6 %, et Québec vise par la suite une croissance annuelle de 2 %, selon les prévisions.

« La taxe de vente, l’impôt des particuliers, l’impôt des corporations n’augmenteront pas. Les Québécois sont déjà suffisamment taxés », a indiqué le ministre. Le gouvernement ne renoncera pas à certains engagements électoraux pour favoriser un retour à l’équilibre budgétaire. Du reste, « la plupart des promesses électorales sont déjà réalisées après deux ans au pouvoir », a précisé M. Girard.

Il a lancé un avertissement au sujet de son Portrait de la situation économique et financière : « Il y a beaucoup d’incertitudes rattachées à ces prévisions », au sujet tant de la deuxième vague, de « l’espoir d’un vaccin » que de l’évolution des échanges commerciaux. « Nous vous donnons le meilleur estimé qui est possible. »

Tout un contraste avec le précédent budget

En raison de la récession mondiale causée par la pandémie, le gouvernement Legault avait prévenu au cours des dernières semaines que le déficit serait de 12 à 15 milliards pour 2020-2021. C’est finalement le haut de la fourchette qui est atteint (14,9 milliards précisément). Tout un contraste avec le budget du 10 mars, juste avant la pandémie, alors que les coffres de l’État étaient bien garnis et que les surplus s’accumulaient. Il prévoyait à ce moment une croissance économique de 2 % cette année, mais le PIB réel reculera finalement de 6,5 %, selon les nouvelles prévisions.

La pandémie a forcé l’arrêt de près de 40 % de l’économie du Québec pendant huit semaines et a entraîné la perte de 820 500 emplois. Après avoir atteint 17 % en avril, le taux de chômage a été ramené à 13,7 %. Québec s’attend à ce que ce soit 9,5 % en décembre et 7,6 % un an plus tard.

Résultat du Québec sur « pause » : les revenus autonomes du gouvernement et ceux provenant de ses entreprises chutent de 9,6 milliards, une baisse d’environ 7 % par rapport à l’an dernier. Mais comme les transferts fédéraux augmentent de 4 milliards avec les annonces du gouvernement Trudeau, la colonne des revenus affiche globalement une baisse de 5,5 milliards.

Forte augmentation des dépenses

Du côté des dépenses, Québec prévoit une augmentation de 11 % cette année. C’est en raison des mesures adoptées pour faire face à la pandémie de COVID-19, dont l’impact budgétaire est d’un peu plus de 6 milliards. On parle de dépenses supplémentaires de plus de 3 milliards pour le secteur de la santé, de 1 milliard pour aider les travailleurs et les particuliers et de 2 milliards pour soutenir les entreprises et les sociétés de transport en commun.

La principale dépense est, et de loin, l’achat d’équipement de protection : 2,3 milliards, dont un peu moins de la moitié est déjà déboursée. La formation et la rémunération des nouveaux préposés représentent des débours de 300 millions. Toutes les primes « COVID » pour les travailleurs de la santé, dont certaines deviendraient permanentes, coûtent 207 millions. L’achat de tests de dépistage devrait représenter une dépense de 200 millions pour respecter l’objectif de 20 000 tests par jour – on est encore loin de ce nombre d’analyses pour le moment.

Le déficit de 14,9 milliards tient également compte d’une provision de 4 milliards pour pallier les « risques économiques et sanitaires potentiels reliés à une possible deuxième vague ». Cette cagnotte servira également à « financer des mesures de soutien et de relance additionnelles ».

« On pense qu’on ne sera pas obligés d’autant fermer l’économie [dans l’éventualité d’une deuxième vague] comme on l’a fait la dernière fois, [notamment] à cause de la distanciation, des masques, des habitudes qui ont été prises et des connaissances que l’on a entre autres chez les plus jeunes. »

— François Legault

Équilibre budgétaire

Québec utilise en totalité sa réserve de stabilisation de près de 15 milliards pour éponger le déficit et respecter la Loi sur l’équilibre budgétaire. Cette mesure entraîne une hausse de la dette du Québec d’un montant équivalent. L’endettement est creusé encore davantage en raison des investissements supplémentaires dans les infrastructures annoncés par le gouvernement. La dette brute augmente ainsi de 23 milliards, une hausse de 7 %. Elle s’élève maintenant à 222 milliards, soit 50,4 % du PIB.

Eric Girard envisage de modifier la Loi sur la réduction de la dette pour reporter l’atteinte des cibles. « La cible de dette brute à 45 % [du PIB] en 2025-2026, avec potentiellement quatre années de déficit devant nous, ça va être serré », a-t-il mentionné. Le gouvernement maintient les versements au Fonds des générations, qui vise justement à réduire le poids de la dette (2,6 milliards cette année).

« Une des raisons [pour lesquelles] il sera possible de revenir à l’équilibre budgétaire sur l’horizon [de] cinq ans, c’est que la baisse des revenus est temporaire et que la majorité de la hausse des dépenses est discrétionnaire. »

— Eric Girard, ministre des Finances

« Le deuxième point, c’est que notre position de départ était enviable. Au cours des cinq dernières années, on a engendré des surplus, et donc tout retour vers la normale devrait nous aider à développer une marge de manœuvre. » Soulignons d’ailleurs que le gouvernement aura fini l’année budgétaire 2019-2020 avec un surplus plus élevé que prévu : près de 3 milliards de dollars, apprend-on.

Réactions au portrait de la situation économique présenté par Québec

Une « occasion manquée », déplore le PLQ

La cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade, a dit être « inquiète et étonnée » que le gouvernement Legault « table sur une croissance optimiste de 6 % dépassant même les prévisions des grandes institutions financières, alors que le scénario le plus pessimiste en matière de déficit se réalise » avec 15 milliards. Mme Anglade déplore par ailleurs que le ministre Girard n’ait pas tenu compte de sa proposition de créer un Plan de sauvetage de 1 milliard destiné aux PME. — Fanny Lévesque, La Presse

« Profondément indécent », dit Québec solidaire

Québec solidaire estime que le portrait présenté par le ministre Girard est un « exercice comptable d’une froideur sans nom ». Vincent Marissal affirme qu’il est « profondément indécent » de parler d’un retour à l’équilibre budgétaire, alors que « les décès quotidiens se comptent encore par dizaines au Québec ». Le député soutient que le gouvernement devrait « réinvestir dans les services publics afin de mieux faire face à une potentielle deuxième vague ». Il déplore qu’il n’y ait « aucun plan » pour offrir une « aide directe aux très petites entreprises ». — Fanny Lévesque, La Presse

Prévision « excessivement conservatrice », croit le PQ

Le Parti québécois estime que la prévision selon laquelle le Québec retournera à l’équilibre budgétaire d’ici cinq ans est « excessivement conservatrice ». Selon Martin Ouellet, il est « fort probable » que le Québec renoue avec l’équilibre budgétaire « plus rapidement que le gouvernement le laisse entendre ». Le député ajoute que le gouvernement a « en main tous les outils pour assurer une relance économique efficace, intense et rapide », mais qu’il ne doit pas « perdre de vue que le nerf de la guerre, c’est la prévention et l’atténuation de la deuxième vague ». — Fanny Lévesque, La Presse

Un objectif « réaliste », selon la CCMM

La Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) estime que l’objectif que s’est fixé le gouvernement d’un retour à l’équilibre budgétaire d’ici cinq ans est réaliste. « C’est la chose à faire pour limiter le poids de la dette et éviter de faire porter aux prochaines générations le coût de la crise actuelle. Nous saluons également l’intention d’atteindre cet objectif sans hausser les impôts et les taxes. C’est un fardeau de moins pour les particuliers, mais également pour les entreprises qui ont été fortement touchées par l’arrêt complet ou le ralentissement de leurs activités », a souligné son PDG, Michel Leblanc. — La Presse

« Nous espérions y voir un soutien accru », disent les manufacturiers

Manufacturiers et Exportateurs du Québec, qui représente 1100 manufacturiers au Québec, a apprécié « la justesse » des propos du ministre des Finances, mais aurait souhaité que de nouvelles mesures d’aide soient annoncées. « L’énoncé économique du ministre des Finances est juste, mais nous espérions y voir un soutien accru pour le secteur. Une aide ciblée est plus que jamais nécessaire », a souligné Véronique Proulx, PDG de l’organisation. — La Presse

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