Santé

Le remède miracle ?

Les virus respiratoires font déborder les urgences pédiatriques depuis des mois. Et les partys de Noël ne freineront pas leur transmission. Au moment où voir un médecin relève de l’épreuve, une clinique arrive pourtant à traiter gratuitement des dizaines de cas urgents chaque jour sans faire poireauter les enfants pendant des heures. Un modèle pour tout le réseau de la santé ? un dossier de Nicolas Bérubé

Santé

Une clinique pas comme les autres

Avec les urgences des hôpitaux qui débordent, les cliniques qui affichent complet et 1 million de Québécois sans accès à un médecin de famille, tomber malade peut donner l’impression de se heurter à un mur. Pourtant, des cliniques innovantes commencent à aider plus de patients. Collaboration plus étroite avec les hôpitaux, travail d’équipe sur le plancher, regroupement des services au même endroit... Et si elles avaient la solution pour désengorger les urgences ?

La fillette a glissé d’un module de jeu dans la cour d’école, son visage a heurté le parterre de gravier deux mètres plus bas.

Diagnostic : lèvres tuméfiées et poignet cassé.

Quelques jours après sa chute, Dahlia, bientôt 6 ans, a commencé à se plaindre de douleurs au ventre.

« Je me suis demandé si sa chute aurait pu causer des dommages internes, parce qu’ils n’ont pas fait de tests pour ça à l’hôpital », explique sa mère, Mélanie Gadoury.

Au 811, on lui a recommandé de se rendre aux urgences.

Après trois heures passées dans la salle d’attente bondée de l’Hôpital de Montréal pour enfants, Mme Gadoury a entendu un message dans les haut-parleurs annonçant que l’attente pour voir un médecin était de 16 heures.

« Nous n’avions même pas encore vu l’infirmière au triage. J’ai réalisé que ça n’avait pas d’allure, alors on est parties sans avoir vu personne. »

— Mélanie Gadoury

Ed Sheeran aux urgences

Au moment où le réseau de santé déborde, les cas comme celui de Mme Gadoury se multiplient.

Entre les cliniques aux plages horaires pleines une minute après l’ouverture des rendez-vous et les urgences sursaturées, il est parfois impossible de trouver un endroit vers lequel se tourner rapidement, surtout pour les près de 1 million de Québécois sans médecin de famille – du jamais-vu.

Devant ce mur, on se fie désormais au bouche-à-oreille. Entre amis, voisins et collègues, on s’échange des trucs, les numéros de clinique, des façons de voir un médecin.

« Urgent !!! Je cherche une clinique sans rendez-vous pour mon fils qui a une otite », pouvait-on lire dans un billet diffusé sur la page communautaire Spotted : Sorel-Tracy sur Facebook récemment. « J’ai un médecin de famille à Gatineau mais je suis à Sorel et on ne veut pas nous prendre. » Un autre usager écrivait, sur une page communautaire de Mascouche : « Où allez-vous quand il n’y a pas de place au public pour voir un médecin ? Merci à l’avance de vos recommandations. »

C’est grâce à la suggestion d’une amie que Mélanie Gadoury est arrivée au quatrième étage d’un immeuble neuf à Brossard.

Dès l’ouverture des portes de l’ascenseur, on y est accueilli au son de chansons d’Ed Sheeran ou d’autres artistes du top 50.

Dans une grande salle à aire ouverte baignée de lumière naturelle se trouvent des banquettes blanches rembourrées, du WiFi gratuit, de même que des prises de courant et des prises USB.

Les préposées à l’accueil ne sont pas enfermées derrière un bureau vitré, mais tout simplement assises sur un tabouret. On se croirait davantage sur le campus de Google ou d’Amazon que dans une clinique.

Établie dans le quartier DIX30 à Brossard, la clinique UP centre d’urgences pédiatriques, aussi connue sous le nom de Centre UP, est le premier service d’urgences pédiatriques multidisciplinaire situé à l’extérieur d’un hôpital au Québec. Elle reçoit les enfants de 8 h à 20 h, 7 jours sur 7, à longueur d’année.

La petite Dahlia a pu avoir un rendez-vous le jour même. Elle a passé sur place une échographie et une radiographie qui ont révélé que son ventre allait bien. Elle a aussi pu changer sur-le-champ son plâtre pour un modèle rose en fibre de verre qui lui permet d’aller sous l’eau sans devoir prendre un nouveau rendez-vous, donc, ni changer de clinique.

« Notre rendez-vous était à 11 h 25 et nous étions ressorties à 13 h 25, dit Mme Gadoury. C’est merveilleux. »

Gratuit et rapide

Au premier coup d’œil, on pourrait croire que la clinique UP est une clinique privée. Le DSasha Dubrovsky, cofondateur de la clinique, note que son établissement est lié au réseau public et accepte la carte d’assurance maladie. Ouverte au printemps 2019, la clinique forme un partenariat avec le CISSS de la Montérégie-Centre et fonctionne main dans la main avec les hôpitaux de la région.

« Nous pouvons traiter 99 % des patients qui se présentent chez nous, dit le DDubrovsky. S’il y a quelque chose qu’on ne peut pas faire, le patient peut par exemple être envoyé à l’hôpital Charles-Le Moyne, mais il est attendu, il n’aura pas à refaire le processus depuis le début. Aussi, les hôpitaux nous envoient souvent des patients. On a une excellente collaboration. »

Cette coopération facilite la vie des petits patients et de leurs parents, qui ne perdent pas ainsi des heures dans les dédales du réseau.

L’unicité de cette clinique va au-delà du décor : c’est l’énergie d’une jeune entreprise qui circule dans ses corridors blancs.

« Par exemple, quand on voit que la salle d’attente commence à se remplir, c’est qu’il y a un problème quelque part », dit le DDubrovsky.

Dans les rares cas où ça se produit, infirmières et médecins forment alors un caucus pour comprendre d’où vient le retard, et tous sont sollicités pour y remédier sans délai. Pour aider les familles à patienter, il peut arriver que des collations et des bouteilles d’eau soient distribuées sans frais dans la salle d’attente, note le DDubrovsky, ajoutant que la clinique contribue également au mentorat et à l’éducation de la prochaine génération de prestataires de soins pédiatriques afin d’aider le système public.

On a souvent l’impression qu’il manque un ingrédient au réseau de la santé au Québec pour améliorer l’accès aux soins. Mais Steve Omer, cofondateur de la clinique UP, note que tous les ingrédients essentiels sont déjà là. C’est la détermination et de la volonté qui rendent possible, selon lui, la mise sur pied d’une clinique qui aide à désengorger le système.

« Ce que nous voulions faire, c’est travailler dans le système public pour réinventer la façon dont les soins pédiatriques sont offerts à la communauté et penser en premier lieu à répondre aux besoins des patients », dit-il.

95 %

C’est la proportion des patients vus dans un délai de 90 minutes ou moins par rapport à leur heure de rendez-vous à la clinique UP.

Source : Clinique UP

250

C’est le nombre de patients vus quotidiennement à la clinique UP.

Source : Clinique UP

Santé

Libérer les médecins

La première ligne du système de santé québécois est brisée, pour les enfants comme pour les adultes. Parmi les pistes de solution : donner plus de pouvoir aux infirmières afin de libérer les médecins.

Quand un médecin remplit un formulaire d’assurance, s’occupe du renouvellement d’une ordonnance ou dirige un patient vers un physiothérapeute, il accomplit une tâche que d’autres pourraient faire à sa place.

C’est ce qu’affirme l’expert en gestion Régis Blais, selon qui le statu quo n’est plus une solution viable.

« Actuellement, toute la paperasse doit passer entre les mains d’un médecin », explique M. Blais, professeur au département de gestion, d’évaluation et de politique de santé de l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Il propose que ces tâches soient confiées à d’autres employés du réseau de la santé.

Un simple calcul

Loin d’être anecdotique, un tel changement pourrait avoir un effet immense : si les 10 000 médecins de famille du Québec retrouvaient 10 % de leur temps en faisant moins de travail de bureau, on gagnerait l’équivalent du temps de soins de 1000 médecins au Québec, note M. Blais.

« Ça correspond à peu près à ce qui manque comme médecins de famille dans la province. Ça montre à quel point la gestion du système a un rôle important à jouer dans le problème de l’accès aux soins. »

Selon lui, on n’y échappe pas : des solutions qui sortent les patients des hôpitaux vont devoir être implantées au Québec dans les prochaines années.

Deux phénomènes frappent le Québec : la population vieillit et requiert plus de soins, et en même temps, les médecins vieillissent aussi et partent à la retraite.

« Habituellement, le médecin qui part à la retraite travaillait un plus grand nombre d’heures que le jeune médecin qui arrive. Donc pour 100 médecins qui partent à la retraite, ça correspond peut-être à 125 médecins jeunes aujourd’hui. »

— Régis Blais, professeur au département de gestion, d’évaluation et de politique de santé de l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Les cliniques comme la clinique UP (voir autre texte), de même que les portails comme Clic Santé ou le Guichet d’accès à la première ligne (GAP), mis sur pied par Québec pour aider les gens sans médecin de famille à obtenir un rendez-vous médical, ont un rôle à jouer pour les besoins ponctuels, dit-il.

« Pour bien des gens, ça peut être une solution à court terme. Cela dit, le médecin qu’on va voir, il ne connaît pas notre historique familial et tout ça. »

Une clinique avec des infirmières cliniciennes ou des infirmières praticiennes spécialisées, comme les trois cliniques annoncées récemment par Québec, font partie de la solution, et pourraient offrir ce suivi, selon lui.

Des cliniques comme celles-là, « ça en prendrait 20, ça en prendrait 40 ! estime M. Blais. Malheureusement, le personnel, on ne peut pas le cloner. Une IPS [infirmière praticienne spécialisée], ça prend au moins quatre ans à former. »

Soir et fin de semaine

Jean-Luc Parenteau, directeur à la retraite des services de santé mentale au CSSS de la Beauce et chargé de cours à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), note que la baisse de la disponibilité des médecins est un enjeu.

« Les gens appellent à leur clinique de médecine familiale et se font répondre à la réception qu’ils n’ont pas l’horaire du médecin. C’est le médecin qui décide de son horaire, qui décide de ses vacances. »

— Jean-Luc Parenteau, directeur à la retraite des services de santé mentale au CSSS de la Beauce

M. Parenteau se souvient d’une époque où son CLSC local employait 12 médecins et était ouvert 24 heures sur 24, tous les jours de l’année, pour répondre aux urgences.

« Aujourd’hui, je suis dans un groupe de médecine de famille [GMF] qui a 20 médecins, et qui n’est pas ouvert le soir et la fin de semaine, parce que les médecins ne veulent pas. Va à Montréal le 24 juin et essaie de trouver un GMF ouvert. Tu n’en trouveras pas. Alors les gens vont à l’urgence. »

Selon lui, les infirmières cliniciennes pourraient jouer un rôle beaucoup plus grand dans l’accès aux soins de première ligne. « Il faut leur donner de l’autonomie. Il y a des professions qui sont capables d’être autonomes, alors il faut le reconnaître. »

Le DMarc-André Amyot, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), note que plusieurs cliniques GMF sont ouvertes durant les jours fériés. Il ajoute que les médecins de famille du Québec travaillent davantage à l’hôpital, aux urgences et en CHSLD qu’ailleurs au Canada.

« Ça fait qu’il reste 78 médecins par tranche de 100 000 personnes de population pour s’occuper de la première ligne. En Ontario, c’est 88 par 100 000, et ailleurs au Canada, c’est 95 par 100 000. Ça montre encore qu’il manque de médecins de famille au Québec. »

La hausse de l’achalandage dans les urgences des hôpitaux ne se passe pas en vase clos : elle est semblable à celle vécue en cabinet par les médecins de famille, dit-il.

« À un moment donné, il y a un nombre d’heures limite dans la journée. Il manque au bas mot 1100 médecins de famille au Québec. Heureusement, la CAQ a pris l’engagement de former 660 médecins supplémentaires dans les quatre prochaines années. »

Clinique ambulatoire en Outaouais : sitôt lancée, sitôt bondée

En plus de trois nouvelles cliniques d’infirmières praticiennes spécialisées annoncées par Québec, d’autres projets commencent à aider à désengorger les urgences durant la crise actuelle. En Outaouais, une nouvelle clinique ambulatoire pour les 0 à 17 ans vient d’être lancée le mois dernier dans le but d’aider les milliers d’enfants sans médecin de famille. Dès la première semaine, les plages horaires se sont remplies. Liée au Guichet d’accès à la première ligne (GAP), la clinique fonctionne autant avec des médecins urgentologues que des infirmières praticiennes spécialisées (IPS), un modèle encore rare dans la province, explique Martine Bilodeau, directrice des programmes jeunesse au CISSS de l’Outaouais. « La clinique peut voir une trentaine d’enfants par jour, dit-elle. Sans cette clinique, c’est clair que tous ces enfants seraient allés à l’urgence des hôpitaux. Alors c’est sûr que ça aide. Notre modèle génère de l’intérêt, et je pense qu’il y en a qui vont vouloir voir comment ça s’organise chez nous pour pouvoir le reproduire ailleurs. »

5000

C’est le besoin en nouvelles infirmières au Québec actuellement, selon le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé.

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