Déficience intellectuelle

Nos enfants sont sans avenir. Et si c’étaient les vôtres ?

Nous sommes trois mères aimantes et battantes pour nos enfants qui ont une déficience intellectuelle. Trois mères terrifiées devant l’avenir, résolument en colère face à l’invisibilité chronique de nos enfants. Et forcées d’espérer une révolution.

Notre constat est brutal : nos jeunes subissent des pratiques rétrogrades qui correspondent à de la négligence institutionnalisée, c’est-à-dire systémique. On les prive de leur potentiel ; on ignore leurs rêves ; on les oublie devant l’écran éteint de leur avenir. Accepteriez-vous ce traitement pour vos enfants ?

Lou, 12 ans

Dans nos écoles, les enfants ayant une déficience intellectuelle sont regroupés par « niveaux » : déficience légère, modérée, sévère, profonde. On ne parle plus ouvertement de QI (quotient intellectuel), mais les évaluations qui permettent de décider dans quelle classe ira un enfant incluent néanmoins des tests d’intelligence.

Accepteriez-vous que votre enfant soit classé selon son quotient intellectuel ? Pourquoi cette pratique est-elle normale pour les enfants qui vivent avec une déficience intellectuelle ? On nous dit que c’est pour le bien de nos petits, pour l’attribution de services éducatifs adaptés à leurs besoins. Sauf que.

Mon fils Lou (nom fictif) a été éjecté de l’école qu’il fréquentait quand sa déficience intellectuelle est passée de « légère » à « modérée ». Il a été coupé de tous ses amis et du milieu dans lequel il évoluait depuis quatre ans, ce qui est déjà d’une violence à pleurer. Mais il y a pire.

Malgré sa déficience modérée, Lou est une espèce d’intello : il a une facilité remarquable avec les mots. Or, en classe DIM (déficience modérée), on a cessé de lui enseigner à lire. Les enfants en DIM suivent le programme CAPS, axé sur les habiletés sociales. Exit les apprentissages académiques.

J’ai hurlé. La nouvelle école m’a entendue (on les remercie) et a réintégré l’enseignement de la lecture dans le plan d’intervention individualisé de Lou – trois mois après le début de l’année scolaire...

Devrais-je me réjouir ? Impossible. Je pense aux autres élèves. Désolée, les cocos : si vos parents ne savent pas gueuler, vous apprendrez à lire dans une autre vie. Je réalise aussi que mon fils termine le primaire demain et que j’ai oublié de faire une crise pour qu’on lui montre aussi les chiffres. Zut.

Thomas, 19 ans

Accepteriez-vous que, du jour au lendemain, votre enfant ne puisse plus fréquenter son milieu d’apprentissage à temps plein parce que les listes d’attente sont trop longues ? Imaginez que, par « souci d’équité », du haut de sa pyramide, un gestionnaire ait décidé de saupoudrer des services afin que davantage d’usagers puissent en bénéficier. Les parents sortiraient dans les rues si tous les enfants étaient touchés, non ? Cette réalité silencieuse est celle des personnes adultes ayant une déficience intellectuelle et (ou) un trouble du spectre de l’autisme à Montréal. Depuis la pandémie, les services auparavant offerts à temps plein en centres de jour, plateaux et ateliers de travail sont donnés « par blocs », pour un maximum de trois jours par semaine. La belle affaire ! Et ces jeunes adultes qui se bercent les quatre autres journées ? Et ces mères et pères qui travaillent – ou doivent cesser de travailler ?

Thomas a 19 ans, dans deux ans ce sera le grand saut... sans parachute. Son parcours scolaire sera fini. Et son rêve d’apprendre à lire, remisé. Qu’est-ce qui l’attend ? Qu’est-ce qui nous attend comme parents qui auront atteint la soixantaine ?

Et surtout, qu’advient-il de cet engagement de l’État : mon enfant handicapé, malgré tous les défis auxquels il sera confronté dans la vie, deviendra un citoyen à part entière dans un Québec inclusif et ouvert à la différence ?

Marie, 28 ans

Accepteriez-vous qu’à l’âge de 21 ans, au terme de son parcours scolaire, votre jeune plein d’énergie soit plongé dans un vide abyssal... sans projet, sans ressources ? C’est la réalité de ma fille, Marie, à qui nous tentons de bricoler un emploi du temps avec les rares activités que nous pouvons trouver.

Comme le confirme la Société royale du Canada1, la pandémie a touché de façon disproportionnée les personnes comme ma fille et leurs proches. Le saviez-vous ? Qui en parle ? A-t-on mis en place du soutien ? Pas du tout ! Malgré les pertes de repères, un état dépressif, des appels à l’aide, silence radio ! On nous a même dit qu’il faudrait que notre fille tente de se suicider pour avoir du soutien...

Au bout du rouleau, devant l’état anémique des services offerts, j’ai pris la difficile décision de quitter mon emploi pour assumer mon rôle de proche aidante auprès de Marie. Ce tableau n’est pas très original, malheureusement : nous sommes légion dans la même situation.

Le temps passe, je vieillis. Comment ne pas anticiper ce qui arrivera à ma fille quand mes forces s’amenuiseront ou que je mourrai ? Où ira-t-elle vivre ? Dans une ressource intermédiaire ? Ce lieu répondra-t-il à ses besoins ?

Comme société, n’avions-nous pas décidé, il y a 50 ans, de sortir les personnes handicapées des hôpitaux psychiatriques pour les intégrer dans la société et accroître leur pleine participation sociale ?

À l’ère de l’inclusion et de la diversité tous azimuts, nos enfants sont ignorés, invisibilisés. Tenus au silence. De façon systémique. C’est contre la Charte. C’est une violation ouverte de la dignité humaine. Et c’est une insulte à notre intelligence collective, si une telle chose existe.

On fait quoi maintenant ?

À défaut de révolutionner un système sourd et aveugle, nous sollicitons votre solidarité de concitoyens, de parents, d’alliés.

Il y a au moins 170 000 personnes qui vivent avec une déficience intellectuelle au Québec. Ça fait beaucoup de rêves d’inclusion sur la glace... et de parents qui manquent de voix à force de crier.

1. Consultez le document de la Société royale du Canada

* Anouk Lanouette Turgeon est coresponsable de Parents jusqu’au bout, conseillère en emploi, autrice ; Isabelle Perrin est personne-ressource du Comité des usagers du CRDITED de Montréal ; Anik Larose a été directrice générale de la Société québécoise de la déficience intellectuelle de 2015 à 2021.

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