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Pichet suspendu

Refusant de démissionner de son poste de chef de la police de Montréal, Philippe Pichet a dû être suspendu en raison de son incapacité à corriger les profonds problèmes de gestion interne minant le SPVM. Martin Prud’homme, directeur général de la SQ, sera « l’administrateur provisoire » du corps policier pour un an, une décision qui a reçu un accueil mitigé.

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Une « administration provisoire » pour le SPVM

Refusant de démissionner de son poste de chef de la police de Montréal, Philippe Pichet a dû être suspendu hier après-midi en raison de son incapacité à corriger les profonds problèmes de gestion interne minant le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Il sera remplacé par le directeur général de la Sûreté du Québec (SQ), Martin Prud’homme, désigné « administrateur provisoire » du corps policier pour un an.

Le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, a rendu public hier après-midi le rapport qu’il avait commandé en mars dernier à Me Michel Bouchard sur la gestion interne du SPVM. Après l’analyse de la période de 2010 à aujourd’hui, son enquête administrative a relevé des « irrégularités manifestes dans la conduite des enquêtes internes ».

Le rapport avance notamment que plusieurs allégations criminelles visant des policiers n’ont pas fait l’objet d’enquêtes ni été rapportées au Directeur des poursuites criminelles et pénales, comme l’impose pourtant la loi. L’enquête administrative met aussi en lumière des « préoccupations importantes quant aux tensions et au climat de travail ».

Devant ces écueils, le ministre estime que la suspension du chef de la police de Montréal s’imposait, lui qui avait été incapable d’assainir le climat depuis son entrée en poste à l’été 2015.

Philippe Pichet ne s’est pas adressé aux médias à la suite de sa suspension. « Je suis suspendu. Je ne suis pas autorisé à faire de commentaire », a-t-il indiqué à La Presse lors d’un bref échange.

Officiellement, Martin Coiteux décidera s’il réintègre Philippe Pichet ou le destitue après avoir reçu un rapport de l’administrateur provisoire à la fin de son mandat. Le ministre a toutefois dit hier qu’il lui semblait peu probable que celui-ci retourne à la direction du SPVM. Il a d’ailleurs dit s’attendre à ce que la mairesse Valérie Plante lui propose un successeur d’ici la fin de l’année que doit durer l’administration provisoire.

De la SQ au SPVM

C’est le directeur général de la Sûreté du Québec, Martin Prud’homme, qui agira comme administrateur provisoire du SPVM jusqu’à la fin de 2018. Durant son mandat, il sera lui-même remplacé par Yves Morency à la tête du corps policier provincial.

Martin Coiteux dit avoir choisi un policier plutôt qu’un civil pour éviter un flottement à la tête du plus important corps policier municipal de la province.

« On a besoin de quelqu’un qui a des capacités exceptionnelles, qui est immédiatement disponible, qui a la connaissance intime de ce qu’est le monde policier et qui a géré une grande organisation. »

— Martin Coiteux, ministre de la Sécurité publique

Le ministre voulait aussi éviter de nommer une personne ayant des visées sur la direction du SPVM. Martin Prud’homme a ainsi vu son mandat à la tête de la SQ être prolongé pour l’inciter à retrouver son poste à l’issue de l’administration provisoire.

Valérie Plante s’est dite satisfaite de la mise en place d’une administration provisoire puisqu’elle permettra à la Ville de Montréal de conserver « son influence sur les opérations et les orientations du SPVM ». Elle compte demander à Martin Prud’homme de donner suite à sa volonté d’accentuer le virage « police de proximité qui met beaucoup l’accent sur la prévention » que son administration souhaite prendre.

« Tutelle déguisée », selon l’opposition

Aux yeux du député du Parti québécois Pascal Bérubé, le ministre Coiteux a commis une « erreur » en plaçant le chef de la SQ à la tête du plus important corps policier municipal. Selon lui, Québec aurait plutôt dû choisir un civil.

Le député dit n’avoir aucun reproche à faire à M. Prud’homme, qu’il appuie pleinement comme chef de la SQ. Il craint toutefois que la police provinciale soit vue « par beaucoup trop de monde au SPVM comme un corps de police concurrent, voire rival ».

Le ministre Coiteux s’est défendu de faire une mise sous tutelle du SPVM. Pour lui, l’administration provisoire est une mesure d’exception visant à corriger des problèmes précis et ne touche pas les opérations courantes.

Surtout, tant le ministre que la mairesse Plante ont tenu à assurer que le travail des policiers montréalais n’était pas remis en question.

« Il est très clair que les policiers de Montréal font un excellent travail. »

— Martin Coiteux, ministre de la Sécurité publique

La Fraternité des policiers et des policières de Montréal a d’ailleurs réagi en disant que « des policiers ont sévèrement fait les frais de l’incompétence et des irrégularités de la direction et ont été malmenés par des processus injustifiés ». Dans un communiqué, leur président Yves Francoeur a estimé qu’un « travail colossal » attendait Martin Prud’homme puisque celui-ci devra rapidement produire un plan de redressement.

« Extrêmement préoccupant »

Le ministre a jugé « extrêmement préoccupant » le rapport Bouchard, notamment sur la conduite des enquêtes internes. Une importante partie des recommandations touche d’ailleurs la gestion de celles-ci. Le mandat de Martin Prud’homme précise d’ailleurs qu’il devra restructurer cette division et mettre en place des mécanismes pour assurer un meilleur contrôle de la qualité des enquêtes. Le gouvernement lui demande de veiller à l’application du règlement de discipline interne des policiers.

Le rapport a été rendu public sur le site du ministère de la Sécurité publique. Des informations ont toutefois été caviardées pour éviter de nuire à des enquêtes criminelles en cours. Quelques témoins rencontrés par Michel Bouchard ont également demandé à ce que leur anonymat soit préservé.

Quant aux autres recommandations, notamment celle de renforcer le rôle du Bureau des enquêtes indépendantes, le ministre Coiteux a souligné qu’elles imposaient des modifications législatives qui devront être étudiées par le gouvernement.

À noter, cette enquête administrative se faisait en parallèle d’enquêtes policières d’une équipe mixte pilotée par la Sûreté du Québec. Le ministre Coiteux a d’ailleurs souligné que le volet criminel se poursuit et devrait prendre encore plusieurs mois. Une trentaine de dossiers sont en analyse approfondie.

Pour un chef de police civil

L’opposition à l’hôtel de ville de Montréal a pris acte de la décision de nommer un administrateur externe au SPVM. Son chef par intérim, Lionel Perez, a dit espérer des changements profonds au sein du corps policier afin de « donner un grand coup de barre au SPVM ».

Le parti, qui a dirigé durant quatre ans Montréal sous Denis Coderre, estime que le prochain chef de police doit être un civil plutôt qu’un policier, afin d’éviter la culture de clans. On espère aussi un renforcement des pouvoirs de la Commission de la sécurité publique, devant qui la direction du SPVM doit rendre des comptes. Projet Montréal a d’ailleurs promis en campagne de rendre ces rencontres publiques.

— Avec Daniel Renaud et Martin Croteau, La Presse

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Les réactions

Valérie Plante

Mairesse de Montréal

« Notre service de police est miné depuis plusieurs mois par une crise de confiance. Elle puise ses racines dans un manque de transparence. Je m’étonne que cette situation ait duré si longtemps avant que des sonneurs d’alerte ne fassent bouger les choses. Nous aurons besoin de mécanismes de surveillance plus rigoureux au cours des prochaines années. »

Pascal Bérubé

Député du Parti québécois

« On nous promet un ménage, on ne fait que déstabiliser pour un an la direction de la Sûreté du Québec, et Dieu sait qu’on a besoin de stabilité présentement dans le domaine de la police. C’est une tutelle déguisée. »

Martin Coiteux

Ministre de la Sécurité publique

« Je n’aime pas qu’on prenne ce terme [de tutelle]. Lorsqu’on met une ville sous tutelle, on prend le contrôle de toutes les opérations et ce n’est pas de cela qu’il s’agit aujourd’hui. »

Yves Francoeur

Président de la Fraternité des policiers et des policières de Montréal

« Le SPVM doit être remis sur pied et nous allons y concourir. […] Il était temps que le SPVM s’engage dans un processus pour regagner la confiance du public et des policiers et policières, fortement ébranlée au courant des dernières années. »

Lionel Perez

Chef de l’opposition à Montréal

« Il faut donner un grand coup de barre au SPVM. On pense qu’on est rendu à une étape où le prochain directeur soit un civil, pour éviter qu’il soit dans un clan. »

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Un rapport d’enquête accablant

Un comité de direction dysfonctionnel, un chef de cabinet qui s’arroge des pouvoirs de directeur et impose un régime de terreur, une division des affaires internes mal formée, mal gérée, qui accorde des passe-droits aux uns et détruit sans motif valable la carrière des autres : le rapport d’enquête déposé hier est accablant pour le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). En voici les grandes lignes. 

Au service de qui ?

Me Michel Bouchard commence son rapport en ne citant rien de moins que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, document fondateur de la Révolution française rédigé en 1789, selon laquelle la « force publique » doit être instituée « pour l’avantage de tous et non pas pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». 

Il cite ensuite un ex-enquêteur des affaires internes qui dénonce la façon dont la division était utilisée. « Cette division a malheureusement servi des intérêts qu’elle n’aurait pas dû, [c’est-à-dire qu’elle a servi à] étouffer ou éliminer des enquêtes dans le but de promouvoir des gens, empêcher des gens d’avoir accès à des promotions en créant de fausses enquêtes ou en omettant de fermer des dossiers pour lesquels il n’y avait pas lieu d’enquêter. » Un inspecteur-chef à la retraite a par ailleurs déploré le fait que « les affaires internes faisaient les jobs de bras de la direction ».

Dossiers mort-nés

L’enquête administrative a révélé plusieurs cas d’allégations contre des policiers qui n’ont pas donné lieu à des enquêtes, notamment des signalements de brutalité policière. Parfois, le processus était si long que le délai pour porter des accusations était dépassé. Dans un cas, un plaignant qui disait avoir été brutalisé a été amené à conclure une entente pour retirer sa plainte, en échange de quoi les accusations d’entrave au travail de policiers contre lui seraient retirées. Des cadres visés par des allégations auraient aussi bénéficié de traitements de faveur. « Jamais les enquêteurs ne pouvaient enquêter sur une personne de rang supérieur », a déploré un ancien enquêteur des affaires internes.

Des dossiers étaient laissés incomplets pour éviter à certains policiers d’être poursuivis et un « classement parallèle » des enquêtes internes permettait de « tabletter » certains dossiers de plaintes pour protéger les policiers visés.

Enquêtes bâclées

Lorsque les enquêtes étaient menées à terme, c’était selon des processus qui variaient « de bâclés à inexistants », selon le rapport. Un sergent-détective du soutien technique, à qui on a souvent demandé de l’aide pour la surveillance électronique des cibles de la division des enquêtes internes, affirme que cette équipe était « une gang de cowboys à 90 % ». Ils abusaient de l’écoute électronique et gonflaient leurs projets d’enquête, dit-il. « Chaque fois, on a l’impression qu’on veut attraper le kingpin de la mafia », selon lui. Il dit avoir été intimidé pour avoir dénoncé le fonctionnement de cette division.

D’autres policiers ont dit que personne ne voulait aller aux affaires internes, que c’était comme une punition, que ceux qui y allaient risquaient de perdre tous leurs amis. Ceux qui y étaient recrutés apprenaient sur le tas et ne recevaient souvent aucune formation spéciale.

Guerres impitoyables

Me Bouchard évoque aussi les guerres de clans au sein du SPVM, notamment entre les gens de la gendarmerie, qui travaillent en uniforme, et les enquêteurs, qui travaillent habillés en civil. « Les deux mondes sont constamment en compétition et les tensions augmentent en période de “course à la chefferie”, alors que chacun des groupes voudrait que le prochain directeur provienne de leur monde », écrit-il.

Les conséquences de certains règlements de comptes peuvent être dévastatrices, dit-il au terme d’une quarantaine de rencontres avec des membres du service de police. « Certaines de ces rencontres ont donné lieu à des moments particulièrement émotifs, en raison des conséquences importantes qu’ont pu avoir sur le cheminement de leur carrière et la réputation de ces personnes les interventions menées par la Division des affaires internes à leur égard. »

Climat tendu au sommet

Le climat au sommet de l’organisation serait par ailleurs « extrêmement tendu », selon les informations recueillies par Me Bouchard. Depuis septembre dernier, 44 cadres sur 125 auraient été déplacés. Le comité de direction serait dysfonctionnel. Le chef de cabinet du directeur Philippe Pichet, Imad Sawaya, aujourd’hui suspendu parce qu’il fait l’objet d’une enquête de la Sûreté du Québec, se serait « arrogé un pouvoir normalement réservé au directeur », selon certains. « Il en abuserait pour pénaliser les récalcitrants et ceux qui manifestent leur désaccord à l’égard du fonctionnement actuel de l’organisation. » Son attitude serait assimilée à du harcèlement, et plusieurs cadres seraient en état de détresse psychologique. Le directeur aurait défendu son chef de cabinet coûte que coûte, le désignant comme « son homme de confiance ».

Recommandations

« Notre rencontre dans le cadre de cette enquête avec le directeur Philippe Pichet ne nous a pas permis d’être rassurés sur un changement d’orientation », note Me Bouchard. Il recommande donc au gouvernement d’utiliser son pouvoir pour le relever de ses fonctions. Il suggère aussi d’élargir le rôle du Bureau des enquêtes indépendantes pour lui confier le mandat de recevoir et de traiter les plaintes relatives à des crimes possibles commis par des policiers. Il recommande enfin l’adoption d’un code de discipline commun à tous les corps policiers du Québec et que l’on confie à un comité indépendant la décision de destituer ou pas un policier pour ses fautes.

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« Onde de choc » au SPVM

L’arrivée de Martin Prud’homme dans les bureaux du 9e étage de la direction du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) d’ici la fin de la semaine ne passera pas comme une lettre à la poste.

Même si les policiers et policières du SPVM n’ont rien contre l’homme, dont ils reconnaissent les grandes qualités et la crédibilité, ils en ont contre le symbole. Le grand patron de la Sûreté du Québec (SQ) qui prend les commandes du SPVM.

La Presse a parlé ou échangé hier avec près d’une vingtaine de cadres, policiers syndiqués, civils et retraités du SPVM, qui se sont exprimés à la condition que leur identité ne soit pas dévoilée.

« Une onde de choc. Une claque en pleine face », a entendu La Presse hier en fin d’après-midi dans le hall du quartier général de la rue Saint-Urbain. Nous avons même constaté quelques larmes.

« M. Prud’homme va entrer par la porte d’en avant, car nous sommes des professionnels. Mais nous avons le SPVM tatoué sur le cœur. Nous nous attendions à un civil. Le fait que ce soit quelqu’un de la SQ vient augmenter l’effet », a confié un cadre à La Presse.

« Les relations ont déjà été difficiles avec la SQ. Elles s’étaient améliorées, et on espère que cela ne va pas les détériorer. »

— Un cadre du SPVM 

Accueil mitigé aussi du côté des policiers de la base. Même si la grande majorité d’entre eux voulaient du changement « pour faire le ménage », la plupart s’attendaient à la nomination d’un civil. Le nom du patron du Bureau de l’inspecteur général (BIG), Me Denis Gallant, avait circulé favorablement avec de plus en plus d’intensité au cours des derniers jours.

Quelques-uns sont heureux de voir arriver M. Prud’homme, mais une certaine proportion d’entre eux appréhendent une mainmise de la SQ sur les affaires du SPVM. Certains y voient une menace du politique ou anticipent un choc des cultures.

Mais aussi, la vieille crainte de voir les « verts » mettre la main sur les services d’enquêtes spécialisées et des stupéfiants des « bleus », le vieux projet de la « police nationale », refait surface, d’autant plus qu’on se demande qui aura assez d’étoffe au SPVM pour confronter le chef administrateur lors de situations sensibles et sur le choix d’un futur directeur au bout de son mandat de 12 mois.

En revanche, plusieurs sont prêts à laisser la chance au coureur. D’autres espèrent que cela permettra au SPVM de retrouver son identité.

Pichet voulait s’accrocher

Mais le nouveau chef aurait pu ne pas être M. Prud’homme.

Deux directeurs adjoints de Philippe Pichet, Claude Bussière et Simonetta Barth, ont été contactés séparément et successivement, à l’insu du directeur, dans la journée de mardi, et se sont vu offrir le poste de ce dernier par une « personne de la Ville ». Les deux ont refusé par respect envers leur chef. Mais visiblement, la nouvelle administration Plante aurait préféré laver le linge sale en famille.

Par la suite, les fuites du rapport Bouchard à Radio-Canada, mardi soir, ont engendré un mélodrame.

C’était réunion après réunion derrière des portes closes, hier matin, au quartier général du SPVM, alors que la direction était dans le néant total.

En fin de matinée, Philippe Pichet a reçu un appel l’enjoignant à se rendre à l’hôtel de ville. Une fois rendu, il a rencontré le directeur général Alain Marcoux. La rencontre n’a duré que quelques minutes, le temps que le chef se fasse dire qu’il serait suspendu dans l’après-midi. M. Pichet en a eu la confirmation en même temps que tout le monde, lors de la conférence de presse du ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, et de la mairesse de Montréal, Valérie Plante.

Philippe Pichet voulait s’accrocher. Il ne voulait pas démissionner. Il a continué hier à répéter à qui voulait l’entendre qu’il n’avait rien à se reprocher et qu’il ne comprenait pas pourquoi, avant d’opter pour ce remède ultime, on ne lui avait pas demandé où en était son plan en 38 points pour rétablir la confiance de la population envers le SPVM.

Philippe Pichet est suspendu avec traitement. Pour le moment, il a été renvoyé à la maison.

« Il n’a rien fait de criminel. Il n’a pas commis de faute lourde. On ne remet pas sa compétence en question. On lui reproche de ne pas être l’homme de la situation seulement pour redresser les affaires internes », ont dénoncé des cadres.

Ceux-ci déplorent « le manque de respect total » avec lequel les choses ont été faites. « Vous, les journalistes, avez eu le rapport Bouchard avant nous. On ne l’a jamais eu avant et on n’a pas eu le temps encore de le lire », ont-ils dit.

Ils dénoncent un manque de confiance. « Tous les cadres passent pour de mauvais gestionnaires. Or, seulement six ont été suspendus sur 125 et deux d’entre eux ont été blanchis et réintégrés », ont-ils rappelé.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

Martin Prud’homme

Un vert chez les bleus

Québec — Pendant des années, on a parlé des « bleus » et des « verts ». Et pendant des années, on a dit que, comme l’eau et l’huile, les deux groupes ne pouvaient se mélanger. Pourtant, le gouvernement Couillard a fait hier un pari étonnant : envoyer le chef du camp des « verts », Martin Prud’homme, de la Sûreté du Québec (SQ), diriger les « bleus », les policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Martin Coiteux a surpris bien des collègues au Conseil des ministres, hier, quand il a proposé de remplacer Philippe Pichet par le patron de la SQ. Les Pierre Moreau, Jean-Marc Fournier et Pierre Arcand, les plus expérimentés autour de la table du Conseil, étaient passablement perplexes devant l’opération que proposait leur collègue Coiteux. 

Ce qui était en cause, ce n’est pas la personnalité de Prud’homme – considéré comme un « super cop » par tout le monde au gouvernement. C’est plutôt la différence de culture entre les deux groupes qui les faisait hésiter. Au surplus, le fait que M. Prud’homme est le gendre de Robert Lafrenière, patron de l’Unité permanente anticorruption (UPAC), fait sourciller – son siège est toujours là à la SQ, il prend le contrôle du SPVM et le beau-père est patron de l’UPAC. La direction de toute la police au Québec sera assise autour de la même dinde au souper de Noël !

M. Coiteux n’a pas vraiment présenté d’autres scénarios à ses collègues. Pour lui, il n’y avait pas d’autres candidats capables de relever ce défi au pied levé. Fallait-il agir ainsi, dans la précipitation ? Il a fait valoir qu’il y avait urgence. En fait, depuis un bon moment, il savait vers quelles conclusions se dirigeait l’enquêteur Michel Bouchard. Dès mardi soir, à la réunion du comité des priorités, il avait, semble-t-il, indiqué qu’il comptait nommer Prud’homme.

Une culture à « casser »

Beaucoup plaidaient pour la nomination d’un civil. Mais Guy Coulombe – ex-haut fonctionnaire qui a notamment dirigé la SQ – n’est plus de ce monde. Et ils ne sont pas nombreux.

Avec un « administrateur temporaire » issu de la SQ, le gouvernement veut à l’évidence « casser » la culture dominante au SPVM, depuis longtemps dysfonctionnelle.

Des policiers d’expérience expliquent : la structure de décision à la SQ est très encadrée, chaque palier décisionnel répond de ces gestes à un étage supérieur. Les rapports avec le patron-gouvernement sont bien délimités. Le directeur général de la SQ, par exemple, ne discute pas de ses opérations avec le politique.

Le passage du témoin à la SQ au profit d’Yves Morency, jusqu’au 31 décembre 2018, soulève bien des questions à la SQ. Directeur général associé, M. Morency est perçu comme l’exécutant des commandes de Martin Prud’homme. Il a souvent servi de « gilet pare-balles » pour son patron. Ce dernier peut dormir tranquille, Morency n’aura aucune velléité de conserver ce poste. D’ailleurs, si la CAQ est portée au pouvoir en octobre 2018, peut-être M. Prud’homme préférera-t-il conserver la direction du SPVM.

La culture est bien différente au SPVM, où les policiers conservent toute la marge de manœuvre et n’ont pas le même rapport d’autorité avec la direction. Le patron y est perçu comme l’interface obligée avec le maire. Le phénomène avait pris des proportions inquiétantes sous Denis Coderre et Philippe Pichet, perçu comme plutôt mou devant les doléances du politique. De surcroît, M. Pichet fait figure de « loner ». Récemment, il a surpris ses troupes avec un « plan stratégique » qu’il avait concocté tout seul. Son plan de match a fait long feu.

Martin Prud’homme supporte mal l’adversité, dit-on. Affable dans une conversation, il peut être cassant si on lui tient tête. Il aura besoin de toute sa détermination pour faire face aux « vieux loups », officiers du SPVM, qui vont lui promettre une totale soumission, pour, à la première occasion, « lui envoyer la rondelle dans les patins ».

Les antécédents de Prud’homme

Sous-ministre à la Sécurité publique, Prud’homme avait été nommé patron de la SQ quelques mois après l’arrivée de Philippe Couillard au pouvoir. Le gouvernement libéral voulait sortir Mario Laprise, nommé par Pauline Marois, de ce poste hautement stratégique.

L’expérience de Prud’homme au sein de la fonction publique avait pesé lourd dans le choix du gouvernement. Déjà, il était le choix le plus sûr, le moins susceptible de surprendre.

Mais ce fonctionnaire connaissait la SQ de fond en comble et avait toujours maintenu ses contacts à tous les étages du bunker de la rue Parthenais, siège social de la police. Depuis son arrivée au 11e étage, celui des patrons, il a demandé à tout le monde de porter son arme de service au bureau. Un policier doit toujours être prêt.

Son premier mandat à la SQ a été d’imposer une cure minceur à l’organisation, une tâche naturelle puisque, comme sous-ministre, il avait eu à écrire le menu. Fin d’une longue liste d’avantages, les autos fournies aux officiers, notamment.

Il aura fait accepter une grosse bouchée aux patrouilleurs, syndiqués : le rééquilibrage de leur contribution à leur généreux fonds de retraite – ce sera moitié-moitié avec l’employeur en 2022. Mais les augmentations de salaire accordées ont été importantes – 17,5 % pour une convention de sept ans « désynchronisée », dans l’avenir, de la négociation de l’ensemble des fonctionnaires.

Policier d’abord, Prud’homme a amorcé sa carrière comme patrouilleur dans la région de Montréal, au bas de l’échelle, en 1988. Il avait étudié en techniques policières au cégep Ahuntsic. Après un bref passage comme agent double au début des années 90, il est devenu enquêteur, puis caporal en 1995. Il est sergent quatre ans plus tard, puis rapidement capitaine spécialisé dans les mesures d’urgence.

Il devient plus tard adjoint au service des enquêtes contre la personne, puis patron de ce service « des homicides » de 2004 à 2009. Il multiplie à partir de ce moment les interventions publiques. En 2007, c’est lui qui donne le point de vue de la SQ dans le dossier de la disparition alors récente de Cédrika Provencher, à Trois-Rivières. Cette disparition l’a toujours hanté. C’est lui qui a donné le feu vert pour qu’une armée de spécialistes fouille en plein hiver l’abord d’une autoroute pour trouver des indices des années après le drame.

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