Ouïghours de Chine 

Ces musulmans sont-ils indéfendables pour les musulmans ?

Il est tout à fait incroyable de voir la susceptibilité parfois épidermique de certains pays musulmans jetant des fatwas sur des individus à la première insulte à la religion ou apostasie, tout comme voir certains d’entre eux défiler par millions, voire tuer pour des caricatures, pendant que le sort de leurs coreligionnaires en Chine ne suscite qu’indifférence et désintérêt total. 

Il ne s’agit pas de minorer l’atteinte à la religion, mais bien de soulever les paradoxes de la oumma, la communauté des croyants, qui n’est manifestement pas scandalisée par ce qui se trame en Chine depuis des années sur les hauts plateaux du Xinjiang. Et pourtant, il y a de quoi, car ce que Pékin met en place, c’est une véritable épuration des musulmans sur son territoire. En attendant, le fichage ADN est déjà en cours.

En effet, alors que des millions d’Ouïghours sont en train d’être internés, décimés, pour un jour être éradiqués en Chine, au nom de la fameuse « lutte contre le terrorisme », aucun dignitaire musulman ne s’insurge. Mais pourquoi ? Face à la « realpolitik », la « realreligion » s’écrase. 

Alors que des imams décrètent des condamnations à tout va, personne dans le monde musulman ne proteste contre les crimes de masse des Chinois contre leurs citoyens musulmans ouïghours ou ne les condamne. Où sont les fatwas ? Où sont les manifestations ? L’islam interdit l’apostasie, qui est punie de mort. Or, la Chine, par l’enfermement, la coercition et la torture, force des millions de musulmans à l’apostasie de fait sous les ordres du Parti communiste.

Le silence des autorités islamiques mondiales, à commencer par l’Organisation de coopération islamique (OCI), et des gouvernements est une honte, une trahison de leurs valeurs élémentaires d’humanité et de dignité humaine, une compromission, une complicité criminelle. 

Lors d’une rencontre dans le cadre du Parlement européen, avec une représentante du Parti communiste chinois (PCC), appelons-la Mme Li, s’intéressant à nos activités de lutte contre l’extrémisme violent avec SAVE BELGIUM, nous avons pu voir combien nos visions divergeaient.

« Depuis que nous avons mis en place un certain nombre de centres d’éducation au Xinjiang [en réalité, de rééducation et de torture], nous n’avons plus d’attentats dans la région, et le pays est plus sûr. C’est comme cela qu’il faut lutter contre le terrorisme. Nous aidons les familles, les jeunes, nous leur apprenons le chinois et nos valeurs, et cela contribue à davantage d’unité du pays1. »2 

Un dossier complet du Monde, paru le 25 novembre, a révélé l’étendue des exactions commises par les Chinois depuis des années dans une région méconnue de l’Occident et à l’abri des regards et des médias. Le journal y parle ainsi d’une nouvelle « révolution culturelle » qui méprise la religion et le sacré. Il semblerait qu’aujourd’hui, près de 1 million d’Ouïghours sont détenus dans les fameux camps « d’éducation » de Mme Li.

Aux Nations unies, la Chine pèse lourd, tant économiquement que politiquement, et les défenseurs des musulmans chinois peinent à se faire entendre. 

En juillet 2019, ils ont été 22 pays à l’ONU à demander à la Chine d’arrêter ses exactions, contre 37 qui ont soutenu Pékin. Une lettre de l’OCI a même salué en juillet 2019 les efforts de la Chine en matière de lutte contre le fameux « terrorisme » et la radicalisation violente au Xinjiang. Et, sur un total de 57 pays musulmans, seuls 14 ont condamné le PCC ! Au même moment, des pays comme l’Arabie saoudite et l’Égypte ont même salué les avancées en matière de droits de la personne en Chine [sic].

Pourtant, comment appelle-t-on une répression généralisée et systématique sur une communauté en particulier ? C’est bien un génocide qui serait en cours et un crime contre l’humanité contre les Ouïghours, alors que le sort des Rohingya avait suscité beaucoup plus de sympathie internationale. 

Mais c’est vrai qu’entre le pouvoir birman et le pouvoir chinois, les intérêts économiques n’ont strictement aucune comparaison. Et, comme l’a conclu la lettre de l’OCI de juillet dernier, cette lutte contre le terrorisme ouïghour a permis avant tout à la Chine d’apporter « un sentiment plus fort de bonheur, d’épanouissement et de sécurité ». Dont acte. 

Il semble bien que les musulmans de Chine soient maintenant totalement indéfendables, avant tout même des musulmans du monde.

1. Entendez une sinisation forcée pour les plus retors à qui l’on demande d’abandonner toute identité musulmane. 

2. Entretien fait en février 2019 à Bruxelles dans le cadre d’une rencontre à la demande de responsables du Parlement européen. 

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.