Perturbateurs endocriniens

Une « ordonnance verte » pour les femmes enceintes

Afin d’aider les femmes à limiter leur exposition aux perturbateurs endocriniens durant la grossesse, la ville française de Strasbourg vient de lancer un concept d’« ordonnance verte ». Depuis le mois de novembre, des professionnels de la santé peuvent prescrire à des femmes enceintes l’accès à des ateliers de sensibilisation gratuits sur le sujet. Les futures mamans qui participent au projet reçoivent aussi chaque semaine un panier de légumes biologiques provenant de fermes locales.

Les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques que l’on retrouve dans l’environnement et qui ont la capacité de venir déstabiliser le fonctionnement des hormones du corps. Le Bisphénol A, les phtalates, les retardateurs de flammes bromés et certains pesticides sont des produits soupçonnés d’effets indésirables sur la santé.

Les perturbateurs endocriniens sont montrés du doigt, entre autres pour leur effet sur la fécondité des hommes, la puberté précoce chez les filles et le dysfonctionnement de la glande thyroïde ou du métabolisme.

« Il y a trois périodes de sommets d’expositions : il y a la femme enceinte, le jeune enfant et l’adolescent, puisque ce sont physiologiquement des moments où on se transforme au niveau hormonal et donc où les perturbateurs sont les plus puissants », a expliqué le responsable du projet, le DAlexandre Feltz, en entrevue téléphonique avec La Presse.

« D’un point de vue sociologique, c’est sûr que, par définition, les femmes enceintes sont très sensibles à leur qualité de vie, à leur santé et, on le sait, à la santé de l’enfant à venir. Donc c’est un moment qui peut être de bascule pour des pratiques de vie », a ajouté celui qui est aussi adjoint à la maire de Strasbourg et responsable de la santé publique et environnementale.

Maryse Bouchard, experte québécoise sur la question des perturbateurs endocriniens, abonde dans le même sens.

« D’une perspective de prévention et de santé publique, je trouve que c’est une excellente idée. Parce que dans le fond, c’est vraiment bien ciblé de faire ce genre d’intervention chez les femmes enceintes. Ça ne dure pas si longtemps que ça, une grossesse, puis ça peut avoir un impact pour le restant de la vie de l’enfant à naître », explique la professeure agrégée au département de santé environnementale et santé au travail de l’Université de Montréal et du CHU Sainte-Justine.

Accompagner 800 femmes

Environ 3000 enfants naissent chaque année à Strasbourg et le projet, qui est en phase « expérimentale et d’évaluation », a le budget pour accompagner 800 femmes enceintes sur un an. Déjà, 200 femmes se sont inscrites, et plus d’une centaine ont participé à un premier tour de roue.

L’« ordonnance verte » s’inscrit dans une nouvelle tendance en médecine, celle de prescrire autre chose qu’un médicament. Elle est un peu à l’image des ordonnances d’activité physique, des « Prescri-Nature » mises en place récemment au Québec ou des ordonnances muséales.

À Strasbourg, médecins, infirmières et gynécologues pourront prescrire l’accès au programme. Deux ateliers sont donnés, l’un au début de la grossesse et l’autre à la fin. Les groupes réunissent entre 15 et 20 femmes à la fois.

Un exemple de ce qui est enseigné durant la formation ? La conception de produits d’entretien ménager.

« On utilise beaucoup de produits pour faire le ménage, ces produits sont souvent chers, alors après, ça sent bon, mais c’est souvent très toxique. On suggère donc de faire le ménage avec du vinaigre, du savon de Marseille et un peu de citron. »

— Le Dr Alexandre Feltz

« Et voilà, avec ça on peut arriver à faire tout le ménage de façon écologique, bon pour notre santé et bon pour la planète », illustre le DFeltz.

Autre exemple : être consciencieux avec l’usage des produits de plastique. « Malheureusement, nous nous sommes habitués à cuire, à conserver ou à acheter des produits qui sont emballés ou chauffés dans du plastique. On sait que chauffer va entraîner le fait que ces produits issus de l’industrie pétrolière vont se transférer à l’alimentation. C’est essentiel de cuire dans des produits qui soient neutres et de conserver les aliments plutôt dans du verre que dans du plastique », dit-il.

Alimentation

Un autre thème abordé est celui de l’alimentation. « On sait que les pesticides sont des perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire qu’ils rentrent dans le corps et ils se font passer pour des hormones », explique le DFeltz.

Chaque semaine, les femmes ont accès à un panier de trois kilos de légumes issus de l’agriculture biologique, donc cultivés sans pesticides.

Sur les aliments issus de l’agriculture traditionnelle, il peut subsister des résidus de pesticides. Pour l’instant, il n’existe pas de consensus scientifique clair sur l’existence d’impacts d’une exposition cumulée de ces produits à de très faibles doses.

Plus largement, il est aussi impossible de prédire quel perturbateur endocrinien aura quel effet sur qui et à quelle dose d’exposition.

« Ce sont des produits qui viennent d’un peu partout, donc c’est compliqué à étudier. Si on attend d’avoir les données parfaites, alors on risque d’avoir des effets au niveau de la population, donc je crois vraiment à l’importance de la prévention dans ce contexte-là », précise Maryse Bouchard.

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