Opinion Boucar Diouf

COVID-19 et menaces extraterrestres

« Du temps de ma jeunesse, m’a dit un jour un gars de Matane, mon frère et moi jouions au hockey dans la ruelle contre nos voisins. »

« Chaque partie était une lutte à mort (la guerre des pucks, comme on dit), mais les enfants des voisins n’étaient pas nos ennemis pour autant. La preuve, c’est que nous étions du même bord quand l’équipe de l’école Victor-Côté disputait un match contre la paroisse voisine. »

« Mais on ne haïssait pas les gars de l’autre paroisse pour autant. Si les joueurs de Matane perdaient une joute contre l’équipe de Sainte-Anne-des-Monts, les flots d’ici huaient en chœur les hockeyeurs de Sainte-Anne. Pourtant, on ne pouvait pas trop leur en vouloir, puisque quand le Canadien et les Maple Leafs s’affrontaient, les Québécois faisaient bloc contre les Torontois. Puis, les Ontariens devenaient presque des chums dès que le Canada jouait contre les États-Unis. Et je ne te dis pas quand une équipe d’Amérique du Nord recevait les stars soviétiques… le continent au complet se liguait pour donner une raclée aux troupes russes. »

À ce compte-là, il faudrait que les extraterrestres envahissent la Terre pour que la solidarité entre les peuples cesse d’être un songe creux et que se développe un semblant d’identité humaine. 

C’est un scénario qu’Hollywood connaît très bien.

Quand des soucoupes volantes débarquent de méchants envahisseurs, Capitaine Amérique fédère la planète autour d’un plan de défense qu’elle commande toujours efficacement. Dans le dénouement d’une telle fiction, les terrifiants visiteurs, bien que technologiquement supérieurs, finissent par battre en retraite devant l’incroyable capacité de la civilisation humaine à rassembler ses cerveaux pour sauver sa peau.

Le COVID-19 et l’économie

Loin d’être de la fiction, le COVID-19 fait partie des vrais envahisseurs qui catalysent un début de solidarité planétaire. Mais contrairement aux scénarios hollywoodiens, ce n’est pas la menace pour le genre humain qui fait paniquer les grands de ce monde. Au-delà des victimes de la maladie, de l’absence de remède, de sa grande vitesse de contagion et de la panique largement installée par la gigantesque couverture médiatique, ce qui fait peur aux décideurs politiques de ce monde, ce sont les impacts économiques de la maladie. 

Le COVID-19 fait partie des microbes à distribution équitable capables d’ébranler les colonnes du temple de l’économie mondiale. Cela explique en grande partie cette mobilisation sans précédent de la recherche universitaire et industrielle pour mater ce virus.

Du côté des politiciens, la solution doit arriver illico, car la croissance économique est le pilier central de tout programme électoral. Pour les pharmaceutiques, c’est aussi le début d’une course impitoyable qui débute. Imaginez le pactole qu’encaissera le premier groupe industriel qui homologuera la molécule prémunissant le genre humain contre le COVID-19 !

Oui, il est légitime de craindre la maladie, mais la menace pour l’économie mondiale est le facteur principal qui décuple la panique.

Il y a ailleurs sur la planète des maladies très meurtrières dont on entend rarement parler dans les pays du Nord. 

Le paludisme, causé par un microbe appelé le Plasmodium, fait partie de ces maladies. En 2018, le paludisme a frappé 228 millions de personnes sur la planète. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) évalue le nombre de morts attribuables à cette maladie transmise par les moustiques à 405 000 personnes. Pourquoi le paludisme n’est pas aussi médiatisé que le COVID-19 ? Surtout parce que cette maladie est cantonnée à 31 pays et régions d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud situés en marge des grands centres économiques planétaires.

Si nous nous en sortons un peu mieux qu’ailleurs avec le COVID-19, il faudrait remercier l’hiver du Canada, qui maintient déjà une bonne partie de la population en isolement volontaire. Il faut aussi le remercier d’avoir été une barrière climatique qui a indéniablement limité la densité de population dans ces grands espaces. Ces mêmes grands espaces qui, pendant longtemps, avaient d’ailleurs empêché les autochtones de contracter les microbes européens, eux qui ont fait d’énormes ravages au temps des entreprises coloniales dans le nouveau continent.

Bien avant que les frontières ouvertes ne permettent à un microbe né en Chine de shaker Shawinigan en l’espace de quelques semaines, la rencontre entre les Européens et les autochtones d’Amérique demeure un exemple dramatique en matière de mondialisation microbienne. 

Certains historiens racontent que seulement 200 ans après l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique, le continent avait perdu plus de 90 % de sa population indigène. Au-delà des guerres et des famines, le contact entre les Premières Nations d’Amérique et les nouvelles maladies, dont la grippe, la rougeole, la variole, la tuberculose, la coqueluche et bien d’autres, avait provoqué des hécatombes.

C’était le début de cette tragique mondialisation des microbes dont le COVID-19 est l’aboutissement.

Les autochtones étaient aussi vulnérables devant ces maladies que nous pouvons l’être face à ce microbe totalement inconnu de nos systèmes immunitaires.

Il est d’ailleurs illogique de demander aux gens de ne pas avoir peur. Il ne faut pas paniquer, mais il faut certainement avoir peur. En effet, c’est la seule façon de pousser les gens à redoubler de vigilance et à prendre les précautions nécessaires à un ralentissement de la propagation du virus.

Devant un danger potentiel, la peur est un système d’alarme hérité de notre longue évolution qui a fait ses preuves. Sans une petite dose de peur, le virus aura le champ libre pour mener largement son plan d’expansion planétaire.

Chaque fois que se pointent des tribulations planétaires autour d’un nouveau pathogène, je ne peux m’empêcher de penser à ce biologiste britannique qui voyait l’humain comme un animal domestiqué par les microbes pour qu’ils puissent voyager. La rapidité avec laquelle s’est répandu le COVID-19 est une preuve de l’efficacité des humains à véhiculer leurs puissants maîtres microscopiques.

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