The Son

La vie est un combat

Lancé à la Mostra de Venise, The Son est une adaptation cinématographique de la pièce du même nom, qui a d’abord été écrite pour la scène par le dramaturge et réalisateur français Florian Zeller en 2018 – et qui a été présentée ici même l’automne dernier, dans une adaptation et une mise en scène de René Richard Cyr.

Il s’agit d’un huis clos centré sur le personnage de Nicholas, adolescent de 17 ans perturbé par la séparation de ses parents, Peter et Kate, et de la remise en ménage de son père avec une autre femme, Beth. Mais au-delà de cette situation malheureuse, Nicholas doit gérer un mal-être grandissant et une souffrance qui l’habite quotidiennement.

En fait, The Son fait partie d’un triptyque sur la famille, qui a débuté par La mère en 2010. La pièce Le père avait suivi, avant d’être elle aussi adaptée au cinéma (en 2020). Le film, qui mettait en vedette Anthony Hopkins, a d’ailleurs remporté deux Oscars (dont meilleur acteur et meilleur scénario adapté). Le fils a clos la série.

Voilà pour les présentations.

Comme pour The Father, Florian Zeller tire le meilleur des interprètes de The Son – qu’il a coscénarisé avec Christopher Hampton –, éliminant tous les artifices qui pourraient interférer dans leur jeu.

Par exemple, contrairement à la pièce (où le lieu est non défini), on situe ici l’action à New York, mais tous les bruits de la ville ont été mis en sourdine afin de recréer le huis clos familial – ce qui met en relief les dialogues. Sauf à quelques occasions, où le tumulte de la ville témoigne du chaos qui s’empare soudain du père ou du fils.

Dans le rôle clé du père, on retrouve Hugh Jackman. Sans son costume de Wolverine ni effets spéciaux, on est en mesure d’apprécier tout le talent de l’acteur australien (Les misérables, The Greatest Showman). S’il pèche parfois dans ses accès de colère, Jackman joue vrai et crée des moments d’émotion poignants dans Le fils, qu’il porte en grande partie sur ses épaules.

Le brillant avocat, qui a également des ambitions politiques, remet toutefois en question ses projets en voyant dériver son fils, qu’il prend un temps sous son aile. En se rappelant les absences de son propre père (Anthony Hopkins) durant sa jeunesse. L’histoire est bel et bien racontée du point de vue du père.

Son vis-à-vis est le jeune acteur Zen McGrath. Son Nicholas est un personnage de composition complexe, qu’il joue parfaitement dans le non-dit et les silences. Dans ses scènes plus vocales, l’acteur joue parfois de façon mélodramatique, mais au bout du compte, on sent bien sa fragilité, sa solitude et sa souffrance.

Autour d’eux, on retrouve la maman de Nicholas, Kate (Laura Dern, Marriage Story, Big Little Lies), elle-même blessée par sa séparation ; et la nouvelle conjointe de Peter, Beth (Vanessa Kirby, Pieces of a Woman), avec qui il a eu un enfant, qui épaule son amoureux autant qu’elle peut, tout en gardant le cap sur sa propre vie.

Le scénario de Zeller est non seulement d’une criante actualité (en abordant la question de la dépression et de la santé mentale), mais sa grande force réside aussi dans les nuances qu’il charrie. Car malgré les imperfections du père, de la mère et de la belle-mère de Nicholas – et certaines décisions discutables –, l’adolescent est bien entouré. On ne peut pas dire qu’il est négligé ou qu’il manque d’amour. D’où l’intérêt du drame.

Quelles sont les causes exactes de la dérive de Nicholas ? On ne le sait pas précisément – lui-même ne le sait pas. Parviendra-t-il à retrouver sa joie de vivre ? Acceptera-t-il de se faire soigner ? S’engouffrera-t-il ? Impossible de rester insensible à la tragédie (réaliste) qui se joue devant nous. Florian Zeller explore avec intelligence les sombres recoins de la dépression tout en nous forçant à admettre que, parfois, il n’y a pas de réponse.

The Son est présenté en version originale anglaise seulement.

Drame

The Son

Florian Zeller

Avec Hugh Jackman, Zen McGrath, Laura Dern, Vanessa Kirby

2 h 04

En salle

7,5/10

Aucun ours

Un film politique puissant

Dans un petit village iranien situé tout près de la frontière turque, un cinéaste est témoin d’une histoire d’amour alors qu’il est en train d’en filmer une autre en donnant ses indications à son assistant en visioconférence. La tradition et la politique auront-elles raison des deux ?

Les plus récents films de Jafar Panahi empruntent toujours un aspect évènementiel. Aucun ours est le cinquième long métrage que tourne le célèbre cinéaste iranien en dépit de sa condamnation pour « propagande contre le gouvernement iranien ». En 2010, le réalisateur de Taxi Téhéran a été condamné à une peine de six ans de prison et à une interdiction de cinéma de 20 ans. L’an dernier, au mois de juillet, il a été arrêté et jeté au cachot pour purger sa peine. Aux dernières nouvelles, il était toujours derrière les barreaux, au moment même où les contestations populaires – menées particulièrement par les Iraniennes – tentent de faire fléchir le régime des mollahs.

Tourné clandestinement avant l’arrestation du cinéaste, Aucun ours se distingue d’entrée de jeu par son ton, beaucoup plus grave que dans les longs métrages précédents du cinéaste. Tenant son propre rôle, Jafar Panahi, loin de sa bonhommie habituelle, y raconte deux histoires parallèles, la principale étant celle qui le met lui-même en scène avec une petite équipe de tournage, en train de filmer des comédiens qui, eux, se trouvent en Turquie. Ne pouvant sortir d’Iran, le cinéaste donne ses indications par visioconférence à partir d’un petit village situé tout près de la frontière turque, où le choc entre les urbains de Téhéran et les ruraux du village – entre modernité et tradition – se révèle assez intense. Parallèlement, les désirs d’immigration du couple iranien que Panahi est en train de filmer sont aux prises avec à une lourde bureaucratie...

Très habilement, le cinéaste entraîne le spectateur dans une histoire à la fois fascinante et complexe, où sont évoqués tous les types de frontières auxquelles font face les citoyens devant vivre sous le joug d’un régime totalitaire. Entre celles, physiques et concrètes, imposées par les autorités, et les autres, psychologiques, qu’on s’impose à soi-même parce qu’il ne peut en être autrement, Aucun ours illustre comment le système parvient à tout entremêler pour asseoir son pouvoir sur les individus. En résulte un film politique puissant, réalisé à un moment où Jafar Panahi pressentait sans doute les jours plus sombres qui s’annonçaient pour lui. Et pour son pays.

Lauréat du prix spécial du jury à la Mostra de Venise, pendant laquelle une première version de ce texte a été publiée, Aucun ours (connu aussi sous son titre international No Bears) est maintenant à l’affiche.

Drame

Aucun ours

Jafar Panahi

Avec Naser Hashemi, Reza Heydari, Jafar Panahi

1 h 46

En salle

8/10

Snow Angel

Divertissante descente aux enfers

À la suite d’un accident tragique causé par l’alcool au volant en Gaspésie, une ex-professionnelle de la planche à neige menant une vie de débauche décide de plier bagage et de quitter l’endroit pour de bon, mais quelqu’un – ou quelque chose – semble déterminé à l’en empêcher.

C’est une proposition fort originale que nous fait Gabriel Allard pour son premier long métrage, qui voit le jour 10 ans après la naissance de l’idée de base. Un suspense québécois, en anglais, sur les tribulations d’une ex-athlète en détresse psychologique, qu’est-ce que ça donne ? Le résultat est incongru, mais réussit assurément à nous divertir.

Tourné en haute Gaspésie, où le récit est aussi campé, Snow Angel (La descente, dans la version française) est un film qui tient en haleine et qui parfois donne l’impression d’être le héros d’un sordide jeu vidéo. On observe Mary-Jane (Catherine Bérubé, aussi coscénariste), alias MJ, s’étourdir dans une espèce de démarche de rédemption à la suite d’un accident qui aurait tué les proches de sa meilleure amie.

Ancienne championne de planche à neige, la protagoniste dégringole vers un état de crispation constant, perdant ses repères et doutant de toutes ses perceptions. Des rencontres énigmatiques avec différents acteurs de sa vie, dont une petite fille au parler évocateur dont on taira le rôle, nous mèneront à comprendre l’histoire de MJ et ce qui l’a menée à ce désordre.

Quand le film bascule vers sa portion horreur, on flirte parfois avec le risible et l’absurde, ce qui fonctionne parfois bien et d’autres fois, moins. Malheureusement, ce manque de constance nuit à quelques moments à l’appréciation du film. On cesse d’adhérer aux croyances surnaturelles qu’il impose et le fil qui retenait notre attention se rompt, brisant le rythme.

Catherine Bérubé est toutefois impeccable dans son rôle d’athlète américaine déchue. Lorsque notre intérêt menace de s’évaporer, son jeu capte notre attention et nous revoilà accrochée à l’étrange quête de son personnage.

Le produit manque un peu de finesse, les grandes lignes du scénario nous apparaissant parfois trop nettement. Mais on ne peut que saluer l’audace de présenter une histoire comme celle-là, effrayante et ludique à la fois, dont il n’est pas souvent question au cinéma québécois.

Snow Angel est présenté en version originale anglaise, en version doublée en français et aussi en version anglaise avec sous-titres français.

Suspense

Snow Angel

(V. F. : La descente)

Gabriel Allard

Avec Catherine Bérubé, Paul Doucet, Kimberly-Sue Murray, Alexandre Nachi et Olivier Renaud

1 h 32

En salle

6,5/10

Rojek

L’horreur est humaine

À travers des entrevues menées avec des combattants incarcérés du groupe armé État islamique, Rojek montre le visage humain du djihad et la vie qui tente de reprendre dans le Kurdistan syrien.

Est-ce que le feu qui a embrasé la Syrie sera un jour éteint ? Rien n’est moins sûr, suggère la réalisatrice Zaynê Akyol avec Rojek. Des flammes brûlent toujours au Levant et il faut bien plus qu’une armée pour éteindre une idée comme l’intégrisme religieux.

« C’est comme une assiette de verre, dit un ancien combattant du groupe armé État islamique (EI). Quand tu la brises, elle se multiplie. » Le ton de l’homme n’est même pas menaçant. Il exprime simplement sa vision des choses, comme le feront une douzaine d’hommes (surtout) et de femmes dans ce deuxième film où, après Gulîstan, terre des roses, Zaynê Akyol raconte la guerre et ses cicatrices au Kurdistan syrien.

L’approche est dépouillée : chacun des interviewés fait face à la caméra, le visage cadré serré, et se raconte. On ne sait rien de ces gens, ni leur nom, ni leur âge, ni les gestes pour lesquels ils ont été incarcérés. Seulement qu’ils ont été membres de l’EI. On ne saura d’eux que ce qu’ils accepteront de raconter au sujet de leur participation à la guerre et des raisons pour lesquelles ils ont choisi de quitter l’Europe (pour plusieurs) et d’aller se battre en Syrie au nom d’une certaine vision de l’islam. Ni la caméra ni l’intervieweuse ne sont là pour les juger, mais pour comprendre.

Ces interviews constituent l’épine dorsale du film, ventilé par des scènes d’une étrange vie d’après-guerre (point de contrôle, entraînement militaire, agriculture sous surveillance, quotidien dans un camp-prison) et de superbes plans tournés à l’aide de drones. Et c’est la grande force de Rojek que de donner à entendre les simples soldats d’Allah, qui ont eu foi dans le califat que rêvait d’instaurer l’EI. Certains le croient toujours possible. D’autres jugent s’être trompés.

Zaynê Akyol avance avec beaucoup de doigté, parvient à établir un contact très franc avec ses sujets, qui se livrent parfois plus qu’ils ne l’avaient prévu. Son approche est transparente : elle montre subtilement au spectateur les dessous de sa démarche, comme lorsqu’elle conserve sur fond noir un échange avec une interviewée qui dit clairement qu’elle a fait une deuxième prise afin qu’elle puisse dire le fond sa pensée.

On pourra reprocher à la réalisatrice de ne pas donner suffisamment d’indications sur les lieux ou les gens qu’elle filme. Ce flou s’avère parfois agaçant tant il laisse de questions en suspens. Il a toutefois l’avantage de montrer qu’au fond, les horreurs de la guerre se vivent bien au-delà de la Syrie. Et que ces hommes et ces femmes anonymes sont la preuve que l’horreur est humaine.

Rojek est présenté en version originale en arabe, anglais, français et kurde avec sous-titres français.

Documentaire

Rojek

Zaynê Akyol

2 h 08

En salle

6,5/10

Une belle course 

Pour Line Renaud

Devant aller vivre dans une maison de retraite pour y finir ses jours, une dame âgée de 92 ans, désirant revoir pour la dernière fois les lieux qui ont compté dans sa vie, demande au chauffeur de taxi qui la conduit vers sa nouvelle résidence de faire de nombreux détours.

Le scénario d’Une belle course a été écrit spécifiquement pour Line Renaud. Maintenant âgée de 94 ans, la célèbre actrice affirme en outre que cette réalisation de Christian Carion constitue son « film testament ». Un indéniable effet miroir s’installe d’ailleurs d’emblée entre la protagoniste de cette histoire et la comédienne qui l’incarne. Bien qu’elles n’aient pas forcément subi les mêmes épreuves, elles ont néanmoins traversé les mêmes époques pour en arriver à cette dernière étape de leur vie.

Si la construction d’Une belle course n’a rien d’inédit – combien de films ont déjà emprunté le contexte d’une course en taxi ? –, il reste que celui-ci se distingue principalement grâce à la présence de Line Renaud. Cette dernière fait feu de tout bois, maniant avec humour et sans pathos l’histoire de Madeleine, une femme dont la vie fut marquée par certains épisodes plus tragiques.

En illustrant ces épisodes du passé avec de nombreux retours en arrière (Alice Isaaz incarne alors Madeleine), Christian Carion a cependant la patte un peu trop lourde et tombe dans les effets mélodramatiques grandiloquents. Autrement dit, son film fonctionne magnifiquement dès qu’on s’en tient à la dame d’aujourd’hui, dont le visage raconte déjà tout d’une vie, mais perd son élan quand il nous entraîne dans une autre réalité temporelle. Comme si le cinéaste tentait de trop provoquer l’émotion en cédant à la surenchère.

On saura toutefois gré à Christian Carion d’avoir pu offrir à Line Renaud une aussi belle partition. La complicité évidente que l’actrice partage avec Dany Boon, son véritable ami dans la vie, est également belle à voir. Ce dernier, à l’écoute principalement, propose une composition à la fois sobre et touchante dans le rôle du chauffeur qui, malgré ses réticences au départ, se laisse progressivement charmer par le récit de cette dame. Comme nous tous.

Drame

Une belle course

Christian Carion

Avec Line Renaud, Dany Boon, Alice Isaaz

1 h 31

En salle

6/10

Mistral spatial

Un véritable ovni

Alors qu’il vient de se faire laisser par sa copine, Sam perd mystérieusement connaissance. À son réveil, il entend des bruits étranges qui pourraient être d’origine extraterrestre.

Les films de science-fiction sont rares au Québec. Surtout les films minimalistes et expérimentaux comme Mistral spatial, qui semblent provenir d’une autre planète.

Cet objet cinématographique non identifié est le premier long métrage de Marc-Antoine Lemire, qui avait proposé par le passé l’excellent court Pre-Drink. Le réalisateur utilise le cinéma de genre comme métaphore de la séparation et du deuil amoureux. Son héros largué et insomniaque perd peu à peu contact avec la réalité, se laissant guider par ses hallucinations.

Elles s’expriment par un riche travail sur la forme. Le récit, divisé en trois actes, épouse le désarroi et la solitude de son protagoniste. Le ratio de l’image semble d’abord l’étouffer avant de prendre peu à peu de l’expansion à mesure qu’il recouvre sa liberté. La photographie est en noir et blanc lors de ses rechutes, retrouvant ses couleurs lorsque ses plaies se cicatrisent. Puis il y a tout l’enrobage sonore qui confère un singulier climat d’étrangeté.

Dommage qu’un tel soin n’ait pas été apporté au scénario. Le script ténu aurait sans doute mieux convenu à un moyen métrage. L’effort cherche tellement à être bizarre et original qu’il en devient presque opaque. Pour quelques moments poétiques – cette surimpression de souvenirs personnels qui agissent comme des fantômes ou ces ondes musicales qui font écho à Close Encounters of the Third Kind –, il y en a d’autres plus répétitifs, avec un chat inquiétant ou des acteurs inégaux qui tentent d’apporter un humour qui tombe souvent à l’eau.

L’ensemble tient pourtant la route jusqu’au dernier acte. Un séjour dans la nature dans un centre de ressourcement qui vire au délire et au grand n’importe quoi. Cela inclut un rave d’individus déguisés en animaux et un passage animé sur fond de psychotropes et de symboles sexuels. Rendu là, le film devient un trip entre amis qui aurait sans doute eu son heure de gloire dans une salle bondée de Fantasia.

Une fin stupéfiante à une œuvre ludique et marginale qui, à défaut d’être concluante, laisse entrevoir la folie créative qui anime son auteur. Le meilleur est encore à venir.

Science-fiction

Mistral spatial

Marc-Antoine Lemire

Avec Samuel Brassard, Catherine-Audrey Lachapelle, Alex Trahan

1 h 43

En salle

6/10

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