Mon clin d’œil

« Le troisième lien n’aurait pas fait de bruit, lui ! »

— Un habitant de la région de Québec qui ne décroche pas

Les femmes et le milieu de la construction

À l’approche des vacances de la construction, il convient de prendre le temps de réfléchir sur la place des femmes dans le milieu de la construction. Serait-il temps de revoir la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi du Québec ?

L’égalité en matière d’emploi signifie que nul ne doit se voir refuser un emploi pour des raisons qui n’ont rien à voir avec sa compétence. Ainsi, lorsqu’une personne a véritablement la possibilité d’accéder à un emploi qui l’intéresse, sans qu’un obstacle arbitraire ne vienne s’interposer entre sa compétence et la possibilité d’en faire la preuve, on atteint alors une certaine égalité.

Déjà en 2013, le Conseil du statut de la femme démontrait dans son avis – Une mixité en chantier – Les femmes dans les métiers de la construction1 – que plusieurs femmes désirent et possèdent toutes les compétences voulues pour intégrer ce secteur, typiquement masculin, mais plusieurs d’entre elles n’arrivent pas à y faire leur place. Ce ne sont pas tant le manque de force physique ou l’absence de compétences qui restreignent la participation des femmes dans cette industrie, mais plutôt les préjugés bien ancrés dans cette culture masculine. Selon l’analyse du conseil, leurs principaux défis sont la discrimination à l’embauche ; le harcèlement sexuel et sexiste ; des mesures et des politiques inadaptées en matière de santé et de sécurité du travail ; l’absence de mesures pour concilier le travail et la famille.

Lorsqu’elles persévèrent et réussissent à intégrer le milieu de la construction, 62 % des travailleuses quittent les chantiers après cinq ans, contre seulement 36 % des travailleurs.

Selon les témoignages obtenus par le Conseil auprès des femmes ayant quitté le secteur :

« Parmi elles, 50 % disent partir parce qu’elles en ont assez de la discrimination dont elles sont victimes. […] D’autres, après s’être exercées sans succès à la difficile gymnastique de la conciliation travail-famille, baissent les bras, vaincues par les horaires de travail du secteur de la construction qui exigent la présence de la main-d’œuvre dès l’aube sur les chantiers. La débrouillardise a ses limites lorsqu’il faut trouver une personne pour garder les enfants dès cinq heures du matin […] Ces désertions, douloureuses pour les travailleuses elles-mêmes, car elles sont unanimes à affirmer qu’elles adorent leur métier, ont aussi pour effet de renforcer l’opinion de bien des travailleurs et même de certains employeurs, à savoir que les femmes n’ont pas leur place sur les chantiers de construction… »

Comparaison entre provinces

Une comparaison, faite à partir des données du recensement de 2016, permet de constater le retard du Québec quant à la situation des femmes dans l’industrie de la construction.2 En effet, bien que la proportion de femmes occupant un métier ou une occupation liée à la construction soit très faible partout au Canada (3,3 %), c’est au Québec qu’elle est la plus faible avec 2,2 % de femmes. Le taux de participation plus élevé des femmes dans cette industrie en Alberta (5,4 %), en Saskatchewan (4,6 %) et à l’Île-du-Prince-Édouard (4 %), laisse supposer qu’il existe bel et bien des barrières à l’emploi au Québec pour les femmes désirant se joindre à ce secteur de l’industrie. Peut-on vraiment parler d’équité en matière d’emploi dans de telles circonstances ?

Le milieu de la construction a certainement évolué au cours des dix dernières années, mais la présence des Québécoises y demeure famélique.

Il serait plus que temps que le Conseil du statut de la femme réévalue la situation et recommande des mesures concrètes pour qu’aucune femme ne se voie refuser un emploi dans le milieu de la construction pour des motifs étrangers à sa compétence.

Loi sur l’accès à l’égalité en emploi

Parmi les mesures qui pourraient contribuer à l’atteinte de cet objectif, citons l’adoption, en 2000 au Québec, de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans les organismes publics pour contrer la discrimination à l’embauche et en emploi pour les femmes, les minorités ethniques, les minorités visibles, les personnes autochtones et les personnes handicapées. Soulignons que cette loi ne préconise l’embauche d’une personne appartenant à l’un de ces groupes que dans la mesure où elle aura d’abord démontré des compétences équivalentes à celles des autres personnes candidates à un même emploi. Le hic, c’est que cette loi, qui permet aux employeurs québécois d’identifier et de corriger des règles et des pratiques de gestion qui pourraient avoir des effets discriminatoires notamment sur les femmes, ne s’applique, comme son libellé l’indique, qu’aux organismes publics.

Vivement, une révision de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi pour en étendre sa portée au secteur privé de compétence provinciale, y compris au milieu de la construction, comme c’est le cas, pour les secteurs sous sa compétence, de la Loi sur l’équité en matière d’emploi fédérale. Les employeurs du domaine de la construction seraient ainsi tenus d’adapter leurs conditions de travail et leurs systèmes d’emploi pour permettre à celles qui le désirent, et qui possèdent les compétences requises, d’y adhérer.

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