De l’élégance, quand il faut marcher sur la peinture…

Le premier ministre François Legault a une grande qualité qui lui a permis de rester populaire malgré la difficile gestion de la pandémie. Il ne s’entête pas. On pourrait même dire qu’il a maîtrisé l’art de marcher sur la peinture avec élégance.

Sur les questions sanitaires, M. Legault a eu la fâcheuse manie – particulièrement pour un premier ministre – de penser tout haut, de dire ce qu’il espérait, souvent un peu trop tôt quand son optimisme ou son désir de rouvrir l’économie le plus tôt possible l’emportait sur la prudence qui doit caractériser ses fonctions.

Ainsi, fin novembre, M. Legault avait évoqué un temps des Fêtes à 20 ou même 25 convives. Il n’aurait pas dû le faire, surtout parce que les premiers ministres ne doivent pas faire des souhaits. Ils sont là pour décider et pas pour avoir des états d’âme.

Même en ne voulant que donner de l’espoir aux Québécois, il imposait à son ministre de la Santé et à son directeur de santé publique un cadre qu’ils ne pourraient peut-être pas respecter. Quand ils ont annoncé la « bonne nouvelle », MM. Dubé et Arruda avaient l’air de remplir une commande politique. Parce que dans l’administration, un souhait du premier ministre, c’est pratiquement la même chose qu’un ordre…

Cette semaine, voyant la dégradation de la situation sanitaire et la montée fulgurante du variant Omicron, M. Legault a été obligé de faire marche arrière. Pour la deuxième fois, il avait l’air du « Grincheux qui a gâché Noël ».

Mais même si l’annonce aura très certainement un effet sur le moral des Québécois, ils devraient le lui pardonner sans que cela laisse trop de séquelles.

Pourquoi ? Parce que M. Legault ne s’entête pas. Il ne voit pas le leadership comme le fait de charger droit devant tête baissée une fois qu’une décision est prise, quitte à foncer dans le mur.

Les Québécois ont encore en mémoire le gouvernement précédent qui a foncé avec acharnement, même quand il est devenu clair que ses politiques d’austérité étaient en train de débiliter nos établissements de santé et d’éducation.

Les livres ont été remis en ordre, mais à un prix que les Québécois paient toujours, particulièrement dans le réseau de la santé.

Dans cette crise sanitaire, quand on a fait la preuve à François Legault qu’il devait changer de cap, il n’a pas hésité à suivre les recommandations de la Santé publique. Au risque de donner une impression de désorganisation.

Quand ça comptait vraiment, les faits l’ont toujours emporté sur l’idéologie. Même quand le premier ministre s’était publiquement avancé avec des théories douteuses comme « l’immunité naturelle », au début de la crise, il a vite fait de remballer tout ça.

Pour autant, le résultat n’est pas toujours le plus reluisant. Le bilan du Québec quant au nombre de cas et d’hospitalisations se compare plutôt mal avec celui des autres provinces canadiennes. Nous sommes très en retard sur les autres quant à la troisième dose, etc.

Mais le temps des bilans n’est pas pour maintenant. Il viendra et on peut compter sur les partis de l’opposition pour lancer le débat dès qu’ils retourneront à l’Assemblée nationale en février.

Mais puisque c’est le temps des Fêtes, il est permis de faire des souhaits. Le premier ministre pourrait-il avoir la même élégance quand il revient sur ses positions dans le domaine de l’environnement, qui est plus que jamais l’angle mort de son gouvernement ?

Le bilan québécois des gaz à effet de serre a été publié la semaine dernière et il est désastreux. Non seulement on n’avance pas, on recule. Les émissions pour 2019 – le bilan est toujours donné avec deux ans de retard – représentent une augmentation de 1,5 %.

« Ça fait mal. La marche était déjà très haute, elle l’est d’autant plus maintenant », s’est désolé le ministre de l’Environnement, Benoit Charette.

On peut bien sûr en rejeter une part de responsabilité sur les gouvernements précédents qui ont permis des horreurs comme la cimenterie McInnis, mais il reste que les cibles du gouvernement actuel manquent d’ambition.

Pour l’instant, les actions du gouvernement ont surtout été symboliques – comme de promettre de ne plus produire des hydrocarbures qu’on ne produit pas de toute façon –, mais on a évité de s’attaquer de front au secteur qui produit le plus de gaz à effet de serre, soit celui des transports.

Pis encore, le premier ministre persiste et signe sur le plus mauvais projet écologique qu’on pouvait imaginer, soit le troisième lien entre Québec et Lévis – qui va produire des gaz à effet de serre dans sa construction et après, et qui va encourager lourdement l’étalement urbain, lui aussi producteur de GES.

Mais puisque le premier ministre a maîtrisé l’art de marcher sur la peinture avec élégance, ne devrait-il pas l’utiliser pour revenir sur ce projet qui s’annonce aussi pharaonique que polluant ?

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