Vers une révolution des impôts pour les multinationales ?
Un système plein de trous
Actuellement, les grandes multinationales paient leurs impôts un peu partout dans le monde. Mais elles ont plusieurs façons légales de réduire leur facture fiscale. En délocalisant certaines activités ou leur propriété intellectuelle dans des paradis fiscaux, par exemple. Depuis 2015, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le G20 font valoir qu’il faut de nouvelles règles pour un système d’imposition plus juste pour les grandes multinationales. Question de boucher les trous du système actuel.
Une double solution
L’OCDE et le G20 proposent deux grandes solutions, qu’il faut appliquer en même temps :
1) Choisir où imposer les profits
Où doit-on imposer les profits d’une multinationale ? Dans le pays où elle a son siège social ? Dans le pays où elle a des activités qui génèrent ses profits (par exemple dans un paradis fiscal où elle a délocalisé certaines activités) ? Ou dans le pays où sont situés les consommateurs qui achètent ses produits et lui font faire des profits ? Le G20 veut donner plus de poids au dernier critère (le pays de consommation), de façon à éviter les stratagèmes dans les paradis fiscaux. Pour ce faire, il faudra une nouvelle entente internationale ratifiée par les pays du G20.
2) Un impôt minimal sur les profits mondiaux
Peu importe leur planification fiscale, les multinationales doivent finir par payer un taux d’impôt minimal (par exemple 12,5 %) sur l’ensemble de leurs profits mondiaux. En fait, si une entreprise ne paie pas cet impôt minimal, c’est que les profits ont été réalisés dans des pays ayant un taux d’imposition très bas (des paradis fiscaux). Dans ce cas, d’autres pays (où la multinationale est active) seraient autorisés à imposer la multinationale pour lui faire payer un taux d’impôt minimal sur ses profits mondiaux.
« Ce serait une révolution », dit Jean-Pierre Vidal, professeur de fiscalité à HEC Montréal. « C’est majeur. Ç’aurait été de l’utopie de parler de ça il y a 10 ans », dit Lyne Latulippe, professeure de fiscalité à l’Université de Sherbrooke et chercheuse principale à la Chaire en fiscalité et en finances publiques.
2500 multinationales, 100 milliards par an
Selon le projet de l’OCDE, cet impôt minimal sur les profits mondiaux s’appliquerait seulement aux multinationales ayant un chiffre d’affaires de 750 millions d’euros (1,1 milliards CAN) par an. On parle d’environ 2500 multinationales.
En imposant un impôt minimal de 12,5 %, l’OCDE pense que les pays iraient chercher 4 % plus d’impôts de la part des entreprises – soit la somme additionnelle de 100 milliards par an.
L’appui du président Biden
Le concept d’un impôt minimal pour les multinationales vient de recevoir un appui de taille : celui de l’administration Biden. Dans un discours lundi, la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a dit qu’il était « important » de s’entendre avec les pays du G20 « sur un taux d’impôt minimal à l’échelle mondiale qui arrêtera cette course vers le bas » dans l’imposition des entreprises. L’administration Biden veut hausser le taux d’imposition des entreprises de 21 % à 28 %, annulant ainsi la baisse d’impôts de l’administration Trump.
Cet appui américain sera très important. Mais dans les faits, l’administration Trump n’était pas vraiment opposée à l’idée. Sous Donald Trump, les États-Unis ont mis sur pied un impôt minimal fédéral de 10,5 % pour permettre aux multinationales américaines de rapatrier certains profits.
Facture d’impôt de Nike : 0 $
Environ 55 grandes multinationales américaines – dont Nike et FedEx – n’ont pas payé d’impôt fédéral américain sur des profits avant impôts de 40 milliards en 2020, selon une étude de l’Institute on Taxation and Economic Policy.
50 % des profits imposés à un taux de 7 %
En 2015, 50 % des profits des multinationales américaines (à l’exception des sociétés pétrolières) étaient imposés dans des paradis fiscaux à un taux de 7 %. Les 50 % restants des profits étaient imposés dans des pays à taux moyen plus normal de 27 %, selon les travaux de Gabriel Zucman, professeur d’économie à l’Université de Californie à Berkeley.
La solution à tous les problèmes ?
Un taux d’impôt minimal pour les profits mondiaux à 12,5 % serait « un pas énorme » pour une fiscalité des entreprises plus juste, selon la professeure Lyne Latulippe. Mais ça ne signifierait pas nécessairement la fin des paradis fiscaux et des planifications fiscales agressives.
Car les pays ne se sont pas encore entendus sur le taux minimal en question. Le taux suggéré de 12,5 % est bien en deçà du taux moyen de 23 % des pays de l’OCDE (le taux combiné fédéral-provincial au Québec est de 26,50 %). Il y aurait donc encore beaucoup de place pour les entreprises afin de diminuer leur facture fiscale près de l’impôt minimal.
Par ailleurs, les paradis fiscaux pourraient choisir de hausser leur taux d’imposition au taux minimal sur les profits mondiaux. S’ils agissaient ainsi, ces paradis fiscaux toucheraient les nouveaux revenus fiscaux, et des pays comme les États-Unis et le Canada ne toucheraient pratiquement pas de nouveaux revenus.
Vers une entente en juillet ?
Il serait très étonnant que les pays du G20 en arrivent à une entente ce mercredi. On vise plutôt une entente en juillet prochain.