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Au lendemain de manifestations et de contre-manifestations à Montréal et partout au pays à propos de l’identité de genre, le premier ministre François Legault a déploré la « grande polarisation » entre les camps.

Identité de genre

Quelques pistes pour mieux cerner le débat

Alors que des personnes manifestent contre l’enseignement de la notion d’identité de genre dans les écoles, de quoi s’agit-il exactement ? La Presse s’est entretenue avec le sociologue et sexologue Martin Blais, titulaire de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres, pour y voir plus clair.

Plongeons au cœur du débat : qu’est-ce que l’identité de genre ?

L’identité de genre est un sentiment subjectif, qui est propre à chaque personne et qui renvoie au sentiment d’être un homme, une femme, de n’être ni un homme ni une femme, d’être parfois un homme, parfois une femme. C’est un sentiment intérieur profond relativement stable d’être d’un genre, de plusieurs genres ou d’aucun genre. Ce sentiment, il n’y a que la personne même qui peut l’identifier, car il se vit différemment pour différentes personnes.

Pour la majorité des gens, que l’on dit cisgenres pour les distinguer des personnes trans, leur sentiment subjectif d’identité de genre correspond au sexe et à l’identité du genre qui leur a été assigné à la naissance. C’est le cas de la majorité des personnes, mais de tout temps, à travers l’histoire et dans toutes les cultures, on constate qu’il y a de manière persistante une proportion de personnes pour qui il n’y a pas de congruence entre l’identité de genre qui se développe et l’identité de genre et le sexe à la naissance.

Que dit la littérature scientifique du pourcentage de la population qui n’est pas cisgenre ?

Le chiffre que nous avons, qui provient d’une méta-analyse publiée à partir des études produites à travers le monde, indique qu’il y a entre 1,2 % et 2,7 % d’enfants trans, donc des enfants et des adolescents pour qui l’identité de genre ne correspond pas à celle qui leur a été assignée à la naissance sur la base de leurs organes génitaux. Il y a aussi entre 2,5 % et 8,4 % des enfants et des adolescents, selon ces études, que l’on décrit comme étant créatifs dans leur genre, c’est-à-dire que leur expression de genre et le rôle de genre qu’ils et elles adoptent ne correspondent pas non plus à leur anatomie et à l’identité du genre qu’on leur a assigné à la naissance.

Que devrait-on enseigner aux enfants d’âge préscolaire, primaire et secondaire au sujet de l’identité de genre ?

Il y a toujours eu dans l’éducation à la sexualité une partie qui vise à développer un sens critique par rapport aux prescriptions sociales sur le genre. C’est aussi élémentaire que des questions comme : Est-ce que c’est vrai qu’un garçon n’a pas le droit de pleurer ? Est-ce que c’est vrai qu’une fille ne peut pas jouer avec des camions ? Cette éducation par rapport aux normes sociales vise à combattre les stéréotypes sexistes et à s’assurer que les enfants ne grandissent pas avec des stéréotypes qui renforcent le sexisme.

Pendant longtemps, ce qu’on appelait l’éducation à la sexualité était une éducation à l’hétérosexualité, dans la mesure où tous les exemples qui étaient donnés montraient des couples hétérosexuels ou des familles hétéroparentales, par exemple. L’éducation à la sexualité échouait pour les jeunes LGBTQ+.

Si on veut faire une éducation à la sexualité qui fonctionne, elle doit être adaptée à [la pluralité de] ce que vivent les jeunes à qui elle est destinée. L’éducation à la sexualité vise à outiller les jeunes dans les différentes situations qu’ils sont susceptibles de vivre. Ça vise aussi à leur donner un cadre de référence pour faire face à ce que vivent les autres et à développer une empathie. À travers ça, on forme des citoyens qui ne vont pas se crier après, comme on l’a vu dans les manifestations.

Ceux qui critiquent l’approche en éducation qui enseigne la notion d’identité de genre parlent souvent de la « théorie » du genre, ou des « idéologies » du genre. Pourquoi ?

Il faut bien constater que l’identité de genre ne converge pas toujours avec le sexe anatomique des gens. Les personnes trans et non binaires, elles existent, elles sont là, alors évidemment que la littérature scientifique en témoigne.

[Associer l’identité de genre] au mot « théorie » a d’abord été fait par le Vatican dans les années 1990. C’est pour dire que ça reste à démontrer. Un peu comme on parle de la « théorie de l’évolution ». À moins d’être créationniste, on estime que cette théorie est appuyée sur des données probantes. En utilisant le mot « théorie », on met l’accent pour dire que c’est une vision spécifique qui n’est pas une vision universelle. Que ce n’est pas la réalité, mais une théorie. Or, la « théorie » du genre, comme certains disent, s’appuie sur des faits, des constats et des études sur des centaines de milliers de personnes à travers le monde.

Il y a un débat en ce moment sur ce qui doit être enseigné ou non aux enfants dans le réseau scolaire sur l’identité de genre. Comment espérez-vous que ce débat se fasse ?

Je pense qu’on doit le mener sur des faits et avec une écoute attentive des personnes qui passent ou qui sont passées à travers ce cheminement. C’est pour elles que sont mises en place ces différentes procédures et c’est souvent une question de vie ou de mort. Il faut les entendre et il faut écouter les experts.

Les questions et les réponses ont été reformulées par souci de concision.

Enfants trans

aucune intervention en chirurgie génitale chez les mineurs

La question de l’accompagnement médical des enfants trans a fait l’objet de plusieurs débats, ces dernières semaines. Plus tôt ce mois-ci, réunis en congrès à Québec, les membres du Parti conservateur du Canada ont adopté une résolution pour interdire les interventions médicales ou chirurgicales « qui changent la vie des mineurs pour traiter la confusion ou la dysphorie de genre ».

Cette semaine, lors d’une manifestation organisée par One Million March for Children, une femme a déclaré à La Presse que « les enfants ne peuvent pas voter, boire de la bière, fumer ou prendre de la drogue, mais ils peuvent se faire enlever leur poitrine ou leur pénis ». Elle demandait que les mineurs reçoivent des soins psychologiques avant leur majorité et avant de consentir à des interventions médicales lourdes de conséquences.

Questionné par La Presse, le Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, où il y a une Clinique de diversité de genre, a précisé que « l’accès aux chirurgies d’affirmation de genre est possible seulement à partir de 16 ou 18 ans, selon certains critères précis, et à la suite d’une longue période d’accompagnement. Seule la mastectomie est possible à partir de 16 ans. Aucune [intervention en] chirurgie génitale n’est effectuée avant l’âge de 18 ans ».

Par ailleurs, Martin Blais, de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres, rappelle qu’il n’y a « aucune transition médicale chez les enfants prépubères » au Québec. Ces enfants (et leurs parents) sont suivis par une équipe composée de professionnels qui les accompagnent d’abord dans une « transition sociale », comme le fait de changer dans un premier temps de nom ou de pronom dans certains contextes.

Identité de genre

Legault lance un appel au calme

Québec — François Legault lance un appel au calme dans le débat entourant l’identité de genre. Surpris par le « manque de respect » et le ton parfois « violent » des personnes qui ont manifesté mercredi d’un bout à l’autre du pays, y compris à Montréal, il dit être un « rempart contre les extrêmes ». Le premier ministre n’exclut pas de modifier des lois ou des politiques concernant la communauté LGBTQ+ au terme de travaux que réalisera prochainement un comité de « sages ».

À peine rentré de New York, M. Legault a dit constater « une grande polarisation » entre les manifestants réunis par One Million March for Children, un groupe composé de militants musulmans conservateurs, de membres de la droite religieuse et de sympathisants du « convoi de la liberté », et ceux qui ont organisé des contre-manifestations pour défendre les droits des personnes trans et non binaires.

« Je fais un appel au calme des deux côtés. D’un côté, on a un devoir, comme société, de protéger des gens qui sont dans les minorités, et de l’autre côté, je peux comprendre les parents qui sont inquiets, les citoyens qui sont inquiets. Il faut être capable de faire ce débat-là sans s’insulter, sans partisanerie », a-t-il dit jeudi.

Le premier ministre a rappelé que son gouvernement mettra sur pied d’ici Noël un comité de « sages » qui aura pour mandat d’analyser tous les enjeux soulevés concernant l’identité de genre.

« Les Québécois sont modérés et on n’a pas l’habitude de voir cette polarisation d’un côté comme de l’autre. Je comprends que c’est un débat important, le débat sur l’identité de genre, mais c’est un débat qu’on doit faire sereinement. […] Essayons de rassembler plutôt que de polariser et de créer de l’animosité », a-t-il dit.

Des changements législatifs ?

À l’heure actuelle, il existe des lois et des politiques gouvernementales au Québec qui protègent les droits des personnes de la communauté LGBTQ+. En 2016, l’Assemblée nationale a par exemple adopté la Loi visant à renforcer la lutte contre la transphobie et à améliorer notamment la situation des mineurs transgenres.

Cette loi a modifié la Charte des droits et libertés de la personne afin « d’y prévoir une protection explicite contre la discrimination fondée sur l’identité de genre ». Elle a aussi modifié le Code civil afin de prévoir « qu’un mineur de 14 ans et plus puisse faire seul une demande de changement de nom auprès du directeur de l’état civil et que, dans ce cas, la demande ne pourra être accordée, à moins d’un motif impérieux, si les deux parents du mineur, à titre de tuteurs légaux, ou le tuteur, le cas échéant, n’ont pas été avisés de la demande ou si l’un d’eux s’y oppose ».

En 2021, un guide qui aborde spécifiquement la question de l’intégration des jeunes trans et non binaires dans le réseau scolaire a également été publié par le ministère de l’Éducation, alors que le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) effectuait son premier mandat.

Questionné si des lois québécoises ou des politiques gouvernementales allaient être modifiées, une fois les travaux des « sages » achevés, François Legault a répondu jeudi que « ça vaut la peine de se poser des questions » et que le comité aura pour mandat de définir si des règles doivent être changées.

« On a pris position sur un des sujets, […] très clairement, en disant qu’il n’est pas question de transformer les toilettes dans nos écoles pour faire des toilettes mixtes partout, mais il reste beaucoup de sujets à traiter, entre autres, qu’est-ce que les enfants peuvent décider, qu’est-ce que leurs parents peuvent décider. »

— François Legault, premier ministre du Québec

À la fin de la période des questions, jeudi, les parlementaires ont adopté à l’unanimité une motion présentée par Québec solidaire condamnant les « propos haineux et discriminatoires » tenus envers la communauté LGBTQ+ lors des manifestations de mercredi et affirmant que leurs « droits fondamentaux doivent être garantis et protégés ».

L’opposition s’inquiète des discours haineux

En mêlée de presse, jeudi, le député de l’opposition officielle de la circonscription de l’Acadie à Montréal, le libéral André Albert Morin, a affirmé que les manifestants ont le droit d’exprimer leurs opinions, « mais ça doit être fait d’une façon pacifique, puis dans le respect des gens ».

« Quelqu’un a le droit d’exprimer son opinion, mais ça dépend comment il l’exprime. Si c’est sûr qu’en s’exprimant, il attaque et il dénigre un groupe dans la société, bien là, à ce moment-là, il faut voir s’il ne rentre pas dans un discours haineux. Si c’est le cas, bien, la liberté d’expression ne protège pas ça », a-t-il dit.

Le chef parlementaire de Québec solidaire (QS), Gabriel Nadeau-Dubois, a pour sa part réclamé au premier ministre Legault de faire un appel au calme, rappelant que les jeunes enfants trans qui fréquentent les écoles du Québec sont bien réels et qu’ils souffrent lorsque les débats s’enflamment.

« Les jeunes, les enfants trans, les enfants non binaires au Québec, ils existent. Ils ne sont pas arrivés des États-Unis, c’est des petits Québécois, des petites Québécoises, puis ils veulent grandir dans un Québec qui les respecte. Puis, moi, j’espère que, quand on débat de ça, on pense à ces enfants-là. »

— Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire de Québec solidaire

La semaine dernière, le Parti québécois (PQ) a pour sa part réclamé la tenue d’une commission parlementaire sur l’identité de genre. Le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon a affirmé que des idéologies en provenance de la « gauche radicale », notamment sur l’identité de genre, s’imposent dans les écoles. Il a depuis publié une lettre ouverte dans les médias de Québecor pour étayer sa pensée.

« L’apparition de la question de la théorie du genre ne peut être dissociée de l’explosion de nouvelles théories et phénomènes qui ont vu le jour au cours des dernières années et de la novlangue qui l’accompagne : racisme systémique, annulation d’œuvres et de personnes, endroits réservés exclusivement aux membres d’une communauté, microagressions, abolition effective des frontières, définancement de la police, privilège blanc, appropriation culturelle, etc. », a-t-il énuméré.

« Ces concepts ne sauraient s’imposer à nos enfants sans qu’il y ait de débat démocratique au préalable sur la pertinence de les aborder d’abord, et ensuite, sur la manière de le faire », a écrit M. St-Pierre Plamondon.

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