Écoles en ruine

Gaza privée de son système d’éducation

« Je me sens comme un corps sans âme »

Amjad Abou Daqqa était un des meilleurs élèves de son école à Khan Younès, avant la guerre à Gaza. Fort en mathématiques et en anglais, il préparait une demande de bourse d’études aux États-Unis.

Les bons élèves étaient récompensés par des excursions aux sites historiques locaux ou au port de Gaza, où ils observaient les bateaux et photographiaient le coucher du soleil. Amjad rêvait d’études en médecine, comme sa grande sœur Nagham, qui étudiait la dentisterie.

Mais sa vie d’avant et ses rêves semblent bien loin. Son école a été bombardée, des amis et des professeurs sont morts et sa famille a fui sa maison vers Rafah, comme plus d’un million d’autres Gazaouis.

« Ma vie à Khan Younès est disparue à jamais », dit Amjad, 16 ans. « Je me sens comme un corps sans âme. Je veux retrouver l’espoir. »

Même si la guerre cessait bientôt, cela ne changerait en rien les sombres perspectives des 625 000 élèves qui, selon les estimations de l’ONU, habitent la bande de Gaza.

« Scolasticide »

Sept mois de guerre ont dévasté tous les niveaux d’enseignement. Selon l’ONU, 80 % des écoles de Gaza ont été gravement endommagées ou détruites par les combats, y compris les 12 universités. Cela a conduit le ministère de l’Éducation de Palestine et des experts de l’ONU à accuser Israël de viser exprès les écoles, de même qu’on l’a accusé de prendre les hôpitaux pour cible. « Il est raisonnable de se demander s’il existe un effort délibéré visant à détruire complètement le système éducatif palestinien, ce qu’il est convenu d’appeler un “scolasticide” », ont écrit 25 experts de l’ONU, dont le Canadien David R. Boyd.

« Ces attaques ne sont pas des évènements isolés. Elles suivent un schéma systématique de violence visant à détruire les fondements mêmes de la société palestinienne. »

— Extrait de la lettre ouverte de 25 experts de l’ONU

En réponse à la lettre ouverte, l’armée israélienne a déclaré qu’elle n’avait aucune « doctrine visant à causer le plus de dommages possible aux infrastructures civiles ». La destruction des écoles de Gaza, comme de ses hôpitaux, serait plutôt la conséquence de l’« exploitation de structures civiles à des fins terroristes » par le Hamas, qui creuse des tunnels sous les écoles et les utilise pour lancer des attaques et stocker des armes.

« Dans certaines conditions, cette utilisation militaire illégale peut invalider la protection dont jouissent les écoles contre les attaques », affirme l’armée.

Appelé à commenter ces accusations, le Hamas n’a pas réagi, mais il les a déjà rejetées dans le passé. Lorsque Matthew Miller, porte-parole du département d’État américain, a accusé le groupe, à l’automne dernier, d’opérer dans des écoles, il a publié un communiqué, assurant que « l’affirmation selon laquelle le Hamas utilise des hôpitaux et des écoles comme sites militaires est la reprise d’un récit absolument faux ».

En avril, les Nations unies ont fait état d’au moins 5479 élèves, 261 enseignants et 95 professeurs d’université tués à Gaza depuis octobre, ainsi que d’au moins 7819 élèves et 756 enseignants blessés.

L’avenir de Gaza est aussi hypothéqué que son territoire est dévasté. La scolarisation des jeunes est déjà interrompue depuis sept mois et il y aura peu d’écoles intactes après la guerre.

La guerre a « vraiment dégradé le système éducatif », affirme Hamdan al-Agha, 40 ans, professeur de sciences originaire de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. « L’effet persistera pendant des générations. »

Avant la guerre, Gaza comptait 813 écoles employant environ 22 000 enseignants, selon le Global Education Cluster (GEC), groupe de recherche qui travaille avec les Nations unies. De nombreuses écoles étaient gérées par l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens.

Mais début mai, 85 % de ces écoles étaient endommagées ou détruites, selon l’analyse de photos satellitaires faite par le GEC, qui estime qu’au moins les deux tiers des écoles de Gaza doivent être reconstruites de fond en comble ou faire l’objet de réparations importantes avant de pouvoir être réutilisées en toute sécurité.

Une étude antérieure avait révélé qu’au moins un tiers des bâtiments scolaires avaient été frappés directement et que 53 écoles avaient été « totalement détruites », 38 autres ayant perdu plus de la moitié de leur structure.

Les universités sont les plus touchées. L’Université al-Azhar de Gaza, où Nagham, la sœur d’Amjad, étudiait la dentisterie, est en ruine. L’armée israélienne l’a utilisée comme avant-poste et affirme que le Hamas y a opéré et y a laissé des armes. Nagham passe aujourd’hui ses journées à cuisiner, nettoyer la tente familiale et s’occuper de son frère.

Plus de 320 écoles ont servi de refuge aux habitants déplacés de Gaza. Plus de la moitié d’entre elles ont été directement touchées ou sérieusement endommagées par les explosions à proximité, selon l’étude du GEC.

Un sergent israélien, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, dit avoir passé une semaine à l’Université al-Azhar l’automne dernier. Des soldats ont trouvé cinq entrées de tunnel sur le campus, dit-il, ajoutant avoir vu des fusils et des grenades dans deux tunnels. « J’avais l’impression d’être dans une base militaire », a-t-il déclaré.

« Mais si on regarde de près, on voit bien que c’est une université. »

Les déplacés à Rafah offrent parfois leurs tentes comme écoles de fortune, où des bénévoles donnent des cours aux enfants, indique Mohammed Shbair, directeur d’une école de Khan Younès. Ce printemps, des bénévoles ont donné cinq jours d’enseignement de base à Rafah, mais M. Shbair pense que ces cours auront peu d’impact.

Il voit souvent ses anciens élèves dans la rue vendant de la nourriture ou faisant la queue pour obtenir du pain ou des médicaments de base. Sept mois de guerre leur ont appris à se débrouiller pour survivre, pas la grammaire ni l’algèbre. Ils ne font qu’essayer de rester en vie, estime M. Shbair, qui vit depuis des mois avec ses enfants dans une tente près de la plage.

« Beaucoup passent leur journée à chercher du bois de chauffage pour leur famille, dit-il. Comment ces élèves peuvent-ils penser à apprendre quoi que ce soit alors qu’ils n’ont même pas accès aux choses les plus élémentaires ? »

Cet article a été publié dans le New York Times.

Bande de Gaza

Nouveaux bombardements, nouvelles évacuations

L’armée israélienne a mené samedi de nouveaux bombardements meurtriers dans la bande de, Gaza notamment à Rafah, et ordonné de nouvelles évacuations de cette ville du sud du territoire palestinien, menacée d’une offensive terrestre d’envergure.

Alors que les efforts de médiation en vue d’une trêve et de la libération d’otages semblent s’enliser, le président américain Joe Biden a lui estimé samedi qu’un cessez-le-feu serait possible « demain » dans la guerre entre Israël et le Hamas si le groupe palestinien relâchait les otages.

Ces dernières heures, des médecins et des témoins ont fait état de frappes à travers le territoire palestinien assiégé et dévasté par plus de sept mois de guerre entre Israël et le Hamas déclenchée par l’attaque du mouvement islamiste palestinien contre Israël le 7 octobre.

L’entrée des aides humanitaires à Gaza est quasiment bloquée, selon l’ONU, depuis que les troupes israéliennes ont pénétré lundi dans l’est de Rafah et pris le point de passage frontalier avec l’Égypte, verrouillant une porte d’entrée névralgique pour les convois transportant des aides vitales à une population menacée de famine.

Au moins 21 Palestiniens ont été tués dans des bombardements dans le centre de la bande de Gaza et transportés à l’hôpital des Martyrs d’al-Aqsa à Deir al-Balah, ce qui porte à 34 971 le bilan des morts, en majorité des civils, dans le territoire palestinien depuis le début de la guerre, selon le ministère de la Santé de Gaza.

Des corps recouverts d’une toile blanche gisent sur le sol dans une cour de l’hôpital. Un homme se penche sur un sac mortuaire, serrant une main couverte de poussière. Les pieds d’un cadavre dépassent d’une couverture.

« Où devrions-nous aller ? »

À Rafah, où s’entassent selon l’ONU quelque 1,4 million de Palestiniens pour la plupart déplacés par les bombardements israéliens et les combats, d’intenses frappes aériennes ont visé un secteur proche du point de passage, selon des témoins.

Des bombardements ont également touché le nord de la bande de Gaza, un territoire pauvre d’environ 40 kilomètres de long et 10 de large où vivent quelque 2,4 millions d’habitants.

L’armée israélienne a fait état « de dizaines de terroristes tués dans l’est de Rafah ».  

Défiant les mises en garde internationales contre une offensive majeure à Rafah, les troupes israéliennes mènent depuis mardi des incursions dans l’est de la ville, après plusieurs ordres d’évacuation lancés par l’armée aux habitants de la zone.

Environ 300 000 Palestiniens ont quitté les quartiers Est depuis le premier ordre d’évacuation le 6 mai, selon l’armée. Un ordre similaire samedi indique que les zones désignées dans l’est de Rafah ont été « le théâtre d’activités terroristes du Hamas ». 

Des journalistes palestiniens ont été ensuite vus démonter leurs tentes et ranger leur matériel, s’apprêtant à quitter le secteur. « Nous sommes perdus. Que devons-nous faire ? Où devrions-nous aller ? », déplore Wissam Yassin, une journaliste.

Farid Abou Eida, qui avait fui la ville de Gaza pour Rafah, est contraint de trouver un nouveau refuge. « La situation devient de plus en plus dangereuse et les bombardements se rapprochent. Nous ne savons pas où aller. Il n’y a plus d’endroit sûr. »

Dans le nord de la bande de Gaza, l’armée israélienne a lancé des ordres d’évacuation de Jabaliya et Beit Lahia, et fait état d’une « opération d’envergure » dans le quartier de Zeitoun dans la ville de Gaza. Selon elle, le Hamas « essaie de se reconstruire » dans plusieurs zones.

Mort d’un otage selon le Hamas

Les ordres d’évacuation ont été qualifiés d’« inacceptables » par le président du Conseil européen Charles Michel, qui a appelé Israël à ne pas mener une « opération terrestre à Rafah ».  

Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a mis en garde contre une « catastrophe humanitaire colossale » en cas d’assaut à Rafah, ville considérée par Israël comme le dernier bastion du Hamas dans le territoire palestinien.  

Rappelant l’opposition de l’UE sur ce point, le chef de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borrell, a jugé « intolérable » l’évacuation de la population massée à Rafah vers des « zones non sûres ».

La branche armée du Hamas a annoncé sur Telegram la mort samedi d’un otage israélien, retenu à Gaza depuis l’attaque du 7 octobre, et dont elle avait diffusé quelques heures auparavant des images le montrant vivant.

Elle a imputé sa mort à des « blessures subies après que des avions de combat sionistes [israéliens] ont pris pour cible le lieu où il était détenu il y a plus d’un mois ». Sollicitée, l’armée israélienne n’a pas souhaité commenter l’information dans l’immédiat.

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