La Presse au 76e Festival de Cannes

Le festin de Juliette

Cannes — Juliette Binoche et Benoît Magimel se sont retrouvés après 20 ans d’absence pour La passion de Dodin Bouffant, un film d’amour sur fond de gastronomie française à l’ancienne, qui a mis tout le monde en appétit.

Révélé à Cannes il y a 30 ans grâce à L’odeur de la papaye verte, long métrage qui a remporté la Caméra d’or (attribuée au meilleur premier long métrage, toutes sections confondues), Tran Anh Hùng s’est distingué mercredi en présentant un film appétissant (c’est le moins qu’on puisse dire !), inspiré d’un personnage fictif inventé par l’écrivain franco-suisse Marcel Rouff il y a un siècle.

Un peu à la façon du Festin de Babette, drame de Gabriel Axel ayant marqué le cinéma international des années 1980, le cinéaste franco-vietnamien place la gastronomie au cœur de son récit. Les 20 ou 30 premières minutes de La passion de Dodin Bouffant sont d’ailleurs consacrées à la préparation d’un somptueux repas – on pense que des dizaines de convives sont attendus tellement il y a de choses, mais ils ne seront finalement que cinq autour de la table –, où Eugénie Chatagne (Juliette Binoche) a l’occasion de faire valoir son immense talent.

Un antépisode du livre…

En s’inspirant d’un roman que Marcel Rouff a publié en 1924, intitulé La vie et la passion de Dodin-Bouffant, gourmet, qui commence avec la mort de l’un des personnages, Tran Anh Hùng a eu l’heureuse idée d’imaginer ce qui s’est passé avant ce drame. Réunissant Juliette Binoche et Benoît Magimel sur un plateau de cinéma, deux acteurs qui ne s’étaient pas donné la réplique depuis 20 ans, le cinéaste évoque aussi une relation particulière entre deux êtres vivant sous le même toit depuis deux décennies. Le fait que les deux vedettes aient déjà formé un « vrai » couple dans la vie ajoute forcément des accents de vérité à l’affaire, du moins dans l’esprit du spectateur.

Au-delà des recettes et des techniques de cuisson (on pense souvent à la célèbre émission française La cuisine des mousquetaires), se situe l’autre aspect intéressant de ce long métrage. La cuisinière et le gastronome sont si complices sur le plan culinaire qu’ils en développent des sentiments.

Il a déjà été question de mariage entre les deux, mais Eugénie a toujours résisté. La délicatesse avec laquelle Tran Anh Hùng raconte la nature de ce lien entre deux êtres ayant atteint un âge plus mûr est belle à voir. Les deux acteurs, dont on dit qu’ils excellent tous deux en cuisine, sont crédibles de bout en bout et offrent de superbes compositions.

Il convient de souligner que Pierre Gagnaire, chef triplement étoilé, a joué le rôle de consultant. Après Club Zero, de Jessica Hausner, et sa secte préconisant une absence totale de nourriture, voilà tout un contraste. Tout est ici magnifiquement filmé, sublimement éclairé. La fluidité de la mise en scène, qui comporte plusieurs plans-séquences, contribue également à la réussite de l’ensemble.

Des génies, l’un après l’autre

La notion de transmission se révèle ici importante. Plusieurs références sont faites à un chef plus ancien, Antonin Carême (le cuisinier de Talleyrand), ainsi qu’à un autre, Auguste Escoffier, dont Bouffant dit qu’il « nous fait rêver le futur ». Aux yeux de Tran Anh Hùng, il semblait important de donner une image précise de l’enchaînement de génies de la gastronomie durant cette période.

« Treize ans seulement séparent la mort d’Antonin Carême et la naissance d’Auguste Escoffier qui, avec César Ritz, allaient monter un empire de l’art culinaire en Europe avec leurs palaces – à Monaco d’abord, puis à Londres et enfin à Paris », explique le cinéaste dans des notes remises aux journalistes.

« Escoffier et Ritz sont les premiers à avoir saisi l’importance de la beauté des lieux, celle de la lumière, pour servir d’écrin à la cuisine. Aujourd’hui encore, lorsqu’ils traversent une crise existentielle, les plus grands chefs du monde ouvrent le livre d’Escoffier pour retrouver inspiration et énergie. Ce livre reste leur bible. »

Seul bémol à propos de cette œuvre dont on saura samedi si elle aura séduit le jury : présenter un film qui fait autant saliver à des festivaliers qui, pour la plupart, n’ont pas eu le temps de prendre un repas digne de ce nom depuis une semaine est un peu cruel. Voilà, c’est dit !

La Presse au 76e Festival de Cannes

Vus sur la Croisette

Chaque jour, La Presse présente des films vus sur la Croisette.

Vers un avenir radieux, de Nanni Moretti 

Moretti, inspiré quand il parle de lui-même

Au bout d’un moment, le personnage de cinéaste qu’incarne Nanni Moretti dans Vers un avenir radieux conclut qu’il en est arrivé à la fin de tout. Fin de son couple, fin du cinéma, fin de la gauche, bref, tout semble lui glisser sous les pieds en même temps. N’allez pourtant pas croire que le 14e long métrage de ce cinéaste déjà lauréat de la Palme d’or (La chambre du fils en 2001) soit lourd pour autant. Bien au contraire. À vrai dire, on a un peu l’impression qu’après le décevant Tre piani, également en compétition à Cannes en 2021, Nanni Moretti effectue une espèce de retour aux sources en faisant ce qu’il fait de mieux : parler de lui-même. À 69 ans, le cinéaste italien est toujours aussi passionné de cinéma, bien qu’il commence à se sentir vieillissant et que la compréhension d’un monde en perpétuel changement ne soit pas toujours évidente à ses yeux. Dans cette nouvelle comédie dramatique, Moretti se glisse dans la peau d’un cinéaste prénommé Giovanni (le vrai prénom de Nanni Moretti), qui estime pouvoir raconter l’histoire du Parti communiste italien, que plus personne ne connaît, à travers un grand film politique sur la répression hongroise par les Soviétiques en 1956. Évidemment, rien ne fonctionne (Mathieu Amalric joue un producteur français au bord de la faillite), pas plus que la vie personnelle du cinéaste, alors que son amoureuse (Margherita Buy), qu’il aime depuis 40 ans, songe à le quitter. Ponctué de vieilles chansons populaires, piquant Netflix au passage au cours d’une rencontre où le seul argument du diffuseur en ligne est d’être présent dans 190 pays, Vers un avenir radieux emprunte un peu la forme d’un film-somme célébrant une carrière maintenant riche de cinq décennies. Ça vaut bien un défilé à la fin !

Les filles d’Olfa, de Kaouther Ben Hania

Un récit poignant

Les filles d’Olfa est le sixième long métrage de Kaouther Ben Hania, une cinéaste tunisienne dont la renommée internationale s’est accrue il y a deux ans, quand L’homme qui a vendu sa peau fut retenu aux Oscars parmi les cinq finalistes dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère. Participant à la course à la Palme d’or pour la première fois, la réalisatrice propose une docufiction tirée d’une histoire réelle, dans laquelle des actrices sont invitées à jouer des pans d’une histoire survenue au début des années 2010, que racontent les vraies personnes l’ayant vécue. Ainsi, Olfa décrit la vie de sa famille avec ses quatre filles pendant qu’une actrice l’incarne dans les reconstitutions. Il en est de même pour les deux plus jeunes enfants de la fratrie, maintenant adolescentes. Deux comédiennes jouent les deux aînées en permanence, ces dernières s’étant radicalisées et ayant rejoint les rangs du groupe État islamique. L’exercice est d’évidence fascinant, mais ce procédé ne se révèle pas toujours opportun, dans la mesure où le spectateur est toujours ramené aux artifices du cinéma, ce qui crée une sorte de distance. Cela dit, Les filles d’Olfa est ponctué de moments poignants et pourrait très bien se retrouver au palmarès.

La Presse au 76e Festival de Cannes

Cannoiseries

Une vie extraterrestre ? Oui, peut-être…

Entouré d’une partie de sa distribution, dont Scarlett Johansson, Jason Schwartzman et Bryan Cranston, Wes Anderson s’est rendu à Cannes avec Asteroid City, « une méditation poétique sur le sens de la vie » en lice pour la Palme d’or. Se déroulant en 1955 dans une bourgade fictive située en plein désert, l’intrigue fait notamment écho à un évènement cosmique survenu à cet endroit. Lors d’une conférence de presse tenue mercredi, le cinéaste américain, qui a écrit son scénario avec Roman Coppola, s’est exprimé sur les possibilités d’une vie extraterrestre. « À vrai dire, je ne me fierais d’aucune façon à mes opinions à ce propos ! », a déclaré celui ayant pour la troisième fois un film sélectionné en compétition. « La recherche exhaustive que nous avons faite ne ressemble en rien à ce qu’on enseigne dans les académies ! » Asteroid City prendra l’affiche le 23 juin au Québec.

Une sélection pour Jim Jarmusch… musicien !

Formant un duo de rock alternatif avec son complice Carter Logan, Jim Jarmusch est à Cannes non pas à titre de cinéaste, mais en tant que musicien. Son groupe Sqürl a en effet imaginé la musique de quatre courts métrages muets réalisés dans les années 1920 par Man Ray. Présentés dans le cadre de Cannes Classics, Le retour à la raison (1923), Emak-Bakia (1926), L’étoile de mer (1928) et Les mystères du château de Dé (1929) sont réunis dans un programme conçu pour former une œuvre artistique unique. D’une autre façon, le réalisateur d’Only Lovers Left Alive est aussi présent dans Les feuilles mortes, le film d’Aki Kaurismäki en lice pour la Palme d’or. Le cinéaste finlandais a en effet utilisé dans son film un extrait de The Dead Don’t Die, le plus récent long métrage de Jim Jarmusch qui, en 2019, avait ouvert le Festival de Cannes.

Venise se prépare

Le 76e Festival de Cannes n’est pas encore terminé que les conjectures vont déjà bon train pour la 80e Mostra de Venise, laquelle aura lieu à la fin de l’été. Selon le journal spécialisé britannique Screen, le directeur artistique Alberto Barbera devrait en principe jeter son dévolu sur les nouveaux films de Yorgos Lanthimos (Poor Things avec Emma Stone), Matteo Garrone (Io capitano), Pablo Larraín (El Conde, comédie sombre sur Augusto Pinochet), Bradley Cooper (Maestro sur Leonard Bernstein), Michael Mann (Ferrari avec Adam Driver) et Luca Guadagnino (Challengers avec Zendaya et Josh O’Connor). Priscilla, de Sofia Coppola, et Napoleon, superproduction réalisée par Ridley Scott, sont aussi pressentis.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.