Pénurie

Des semaines de trois jours pour les vieux ?

La pénurie de main-d’œuvre est sans contredit LE principal problème de l’économie du Québec. Et le phénomène est là pour de nombreuses années, avec les baby-boomers qui sont aux portes de la retraite.

À ce sujet, une étude fort intéressante vient d’être publiée par le Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) de HEC Montréal. Elle paraît justement quelques semaines avant que le gouvernement caquiste présente son mini-budget de l’automne, en novembre, où il devrait être question des problèmes de rareté de main-d’œuvre.

Selon l’étude, la prolongation de la carrière des aînés est une meilleure solution que l’immigration, du moins à court terme. Elle rappelle que la proportion de Québécois âgés de 60 ans ou plus qui continuent de travailler est bien plus faible qu’en Ontario ou que dans certains pays. L’une des raisons évoquées ? Le fort taux de syndicalisation des travailleurs natifs du Québec et leur forte proportion travaillant dans le secteur public, des paramètres qui vont de pair avec une retraite hâtive.

L’étude met au défi les gouvernements et les syndicats d’améliorer les conditions de travail des vieux employés pour les inciter à prolonger leur carrière. Semaine écourtée, congés plus fréquents et vacances additionnelles devraient être au menu pour freiner l’exode.

Les chiffres sont éloquents. En 2019, 36 % des Québécois âgés de 60 à 69 ans occupaient un emploi, comparativement à 43 % en Ontario et une moyenne de 41 % au Canada. Si les Québécois de cet âge étaient aussi nombreux à travailler qu’en Ontario, près de 70 000 personnes s’ajouteraient au marché du travail, pourvoyant ainsi, en théorie, environ la moitié des postes vacants recensés en 20191.

Selon l’étude produite par Jonathan Deslauriers, Robert Gagné et Jonathan Paré, le plus faible taux d’emploi des gens âgés, en particulier chez les natifs d’ici, s’explique notamment par le plus fort taux de couverture syndicale.

De fait, 45 % des natifs du Québec âgés de 25 à 54 ans sont syndiqués, contre 37 % chez les immigrés du Québec. En Ontario, ces taux sont de 32 % et 22 % respectivement. Le taux de syndicalisation est particulièrement élevé dans le secteur public au Québec (87 %).

Or, les travailleurs syndiqués sont proportionnellement plus nombreux à vouloir prendre leur retraite plus jeunes, observent les chercheurs, qui citent une étude de Statistique Canada sur le sujet. Le phénomène s’explique probablement par leur meilleur régime de retraite.

Réformer les conventions collectives

Que faire alors ? Les chercheurs ont passé au crible 1151 conventions collectives du privé et du public au Québec pour constater qu’une minorité d’entre elles prévoit des aménagements favorisant l’allégement des conditions de travail des travailleurs âgés.

Au privé, 59 % des conventions ne prévoient aucun aménagement particulier et au public, cette proportion est de 53 %. Et encore, parmi les conventions qui ont des aménagements, ce sont surtout des mesures dites passives, qui préparent vers la sortie (comme une préretraite et une date fixe de départ), plutôt que des mesures actives visant la prolongation de la carrière, comme des semaines écourtées et des vacances additionnelles.

L’étude donne des exemples précis. À la division Prévost du Groupe Volvo, « un salarié travaillant sur un horaire de 40 heures par semaine voit son temps de travail réduit à 4 semaines de travail sur une période de 5 semaines, si la compagnie y consent, et ce à compter de 60 ans ».

À l’usine Domtar de Windsor, un employé a droit à une semaine de vacances additionnelle chaque année à partir de 60 ans. Dans d’autres entreprises, il est question de semaines de trois jours pour les travailleurs de 60 ans ou plus.

Robert Gagné est convaincu que ce ne sont pas les mesures fiscales incitatives, comme les crédits d’impôt, qui inciteront les travailleurs à demeurer plus longtemps au travail. « Le problème n’est pas que fiscal et financier. Il est surtout un enjeu de qualité de vie pour les travailleurs âgés », dit le directeur du CPP.

L’étude reprend une déclaration de l’ex-secrétaire général de la CSN, Jean Lortie, qui a récemment annoncé sa retraite.

« Nos conventions collectives ne sont pas adaptées à la réalité du plein emploi. On découvre que les valeurs des jeunes générations face au travail ont profondément changé ; le travail n’est plus leur priorité, la conciliation travail-famille arrivant loin devant. On constate que les plus anciens aimeraient rester au travail, mais pas avec les mêmes conditions. La crise de la main-d’œuvre nous force aussi à revoir toute la question de l’immigration, de la formation en entreprise ou de la formation générale. »

Robert Gagné fait valoir que résorber ou atténuer la pénurie est important pour notre niveau de vie. En plus des ruptures de services dans plusieurs domaines, la rareté de main-d’œuvre exerce une pression énorme sur les salaires, ce qui fait hausser l’inflation et donc diminuer notre pouvoir d’achat, dit-il.

Alors, que diriez-vous d’une semaine de trois jours, encouragée par le gouvernement et les syndicats ?

1. En comparaison, le taux d’emploi était globalement de 50,9 % au Québec en 2019 et de 52,5 % en Ontario.

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