Chronique

S’autodéfendre, partie 2

J’ai eu de la peine en vous lisant.

Dans les dernières semaines, j’ai écrit deux chroniques qui portaient entre autres sur le harcèlement de rue. Depuis, j’ai reçu tant de courriels que je n’ai pu répondre à tous. Sachez par contre que j’ai lu chacun de vos messages et que plusieurs m’ont émue aux larmes. Surtout les vôtres, femmes de deux fois mon âge qui avez vécu les mêmes situations – l’exhibitionnisme, les attouchements, les menaces, la peur –, il y a des décennies...

Vous êtes nombreuses à avoir prié pour que les choses changent, si je me fie à vos messages. Aujourd’hui, vous êtes déçues de constater que rien n’a vraiment bougé et votre espoir brisé me chavire.

Quand on dit que rien ne change : une lectrice nommée Paule m’a confié qu’il y a 50 ans déjà, ses amies et elle poussaient des cris de singe pour déstabiliser les hommes qui les embêtaient. Le même truc qui se propage maintenant sur TikTok !

Une autre m’a écrit : « Cela m’a rappelé ma jeunesse des années 1960, 1970, 1980. Je traînais dans mon sac un spray net petit format. J’ai des amies qui, elles, se munissaient plutôt d’un sifflet strident. Trucs de femmes. »

Ça m’est rentré dedans : on a besoin de trucs pour se sentir en sécurité et on se les passe de mère en fille, de copine en copine, depuis des générations. Quelle tristesse.

D’ailleurs, j’en ai reçu beaucoup, des trucs de femmes. Ce serait dommage de les garder pour moi, non ?

On m’a d’abord recommandé la lecture du guide Votre antiféminisme, nos répliques – de l’humour à l’affrontement physique, offert gratuitement en ligne.

Les chercheuses Mélissa Blais et Marie-Soleil Chrétien y résument les stratégies déployées par certaines femmes selon les affronts qu’elles subissent. La fin du guide porte sur le harcèlement. On nous conseille notamment de miser sur notre intuition, sur un élément de surprise et sur la force de notre pied contre la faiblesse d’un tibia.

Parmi les témoignages qui m’ont renversée, celui-ci : « Mélanie nous raconte l’histoire d’une femme qui a utilisé son corps comme outil pour riposter physiquement à du harcèlement de rue. Alors qu’elle faisait du vélo, elle s’est fait siffler par un homme. Elle s’est arrêtée et lui a étendu sa sueur d’aisselle au visage. Il est resté figé et elle a pu continuer son chemin. »

L’amie de Mélanie est ma nouvelle idole.

Parmi les conseils trouvés dans ma boîte courriel, notons aussi celui d’Élaine Richer : « J’avais adopté la méthode du porte-clés entre les doigts pour m’en servir comme arme de poing. »

Ce truc-là, si mon souvenir est bon, c’est ma mère qui me l’a transmis... Et je l’utilise encore aujourd’hui. Par contre, j’en ai découvert un nouveau pour mes futurs voyages.

Une femme qui a l’habitude de se faire harceler peu importe où elle va a trouvé une stratégie pour avoir la sainte paix. Chaque matin où elle se réveille à l’étranger, elle achète un journal local et le traîne ostentatoirement dans ses mains. Les hommes, croyant qu’elle parle leur langue, hésitent davantage à l’importuner. Si elle peut les comprendre, elle peut aussi les dénoncer...

Ginette Leblanc m’a pour sa part raconté un souvenir datant des années 1970. Un homme se collait contre elle dans un autobus. « J’ai crié très fort : “Vous êtes pas tanné de vous frotter sur moi, gros cochon ?” Tout le monde l’a regardé. Il est descendu au prochain arrêt. Il se montre la quéquette ? Il faut qu’on se mette ensemble et le crier ! C’est assez ! »

L’appel à la solidarité est revenu souvent, dans vos courriels.

« J’ai l’âge d’être votre grand-mère et je me rends compte que c’était, c’est et ce sera un combat sans fin pour les femmes et les plus vulnérables de notre société, m’a écrit Rina Casoni. Continuons à nous tenir debout et à nous soutenir les unes les autres avec tous nos alliés sensibles à la réalité des femmes. »

Plusieurs alliés m’ont aussi écrit, d’ailleurs.

Bien sûr, quelques hommes ont mis en doute mes histoires, m’ont dit que leurs copines n’allaient jamais seules dans un parc (« simple bon sens ») ou que les harceleurs s’attaquaient visiblement à des femmes moches s’ils m’approchaient... Mais on parle d’une infime et bien triste minorité.

La plupart de ceux qui m’ont écrit souhaitaient plutôt favoriser notre sécurité. Un instructeur d’autodéfense soutient par exemple que les personnes mal intentionnées ne veulent pas être vues, blessées ou dénoncées. Il conseille donc d’attirer l’attention par des cris et des gestes, d’annoncer bien haut qu’on appelle la police et de se débattre de toutes nos forces, s’il le faut.

D’autres lecteurs m’ont suggéré d’acheter une alarme d’urgence personnelle. Le son qu’elle émet peut effrayer l’assaillant ou, du moins, alerter les passants.

J’en profite pour souligner que certains alliés ont su m’aider par le passé. Je vous donne deux exemples, au cas où ils pourraient vous inspirer.

1- Dans le métro, un homme s’est mis à me murmurer des saletés à l’oreille. Voyant mon inconfort, un passager s’est immiscé entre nous deux. Sa simple présence a suffi à repousser l’autre idiot.

2- Un soir, tandis que je rentrais chez moi, trois gars dans une voiture m’ont suivie en criant des affaires peu respectueuses. Plusieurs mètres devant moi marchait un homme. Il s’est arrêté, a attendu que je le rejoigne et m’a invitée à le dépasser, d’un geste de la main. Il ne m’a pas parlé. Il a même gardé ses distances, mais je savais qu’il veillait sur moi. Arrivée devant ma porte, je me suis retournée. Il m’a saluée et il est reparti.

Pour certaines personnes, ces trucs relèvent de l’évidence. Pourtant, on se doit de les faire partager, quitte à se répéter...

Parce que comme me l’a écrit une lectrice de 70 ans : « Aucune loi ne viendra apaiser la sensibilité de ces cicatrices de l’âme. Seule l’éducation largement répandue pourra peut-être, après quelques générations, arriver à faire qu’au moins les témoins d’une agression se lèvent et interviennent. »

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