Projet de loi 96

Des médecins toujours craintifs des effets sur les soins

Malgré l’assurance du premier ministre François Legault voulant que le projet de loi 96 n’empêchera pas les anglophones et les immigrants de se faire soigner dans la langue de leur choix, des intervenants du milieu de la santé, dont des médecins, demeurent inquiets.

Dans un point de presse mercredi après-midi, la Coalition pour des services sociaux et de santé de qualité (CSSSQ), qui regroupe notamment des organisations gravitant autour de l’Hôpital général juif et du Centre universitaire de santé McGill et dit avoir l’appui de 700 médecins, a réitéré son désir que le réseau de la santé et des services sociaux soit exempté de la loi.

« Le premier ministre nous dit que rien ne va changer pour le réseau [avec le projet de loi 96]. Si c’est vraiment le cas, pourquoi ne pas exclure la santé et les services sociaux de la loi ? », demande l’avocat Eric Maldoff, président de la CSSSQ.

« Barrières de langage »

En février, 500 médecins membres de la CSSSQ avaient écrit une lettre au gouvernement disant que le projet de loi 96 « pourrait mettre la vie des gens en danger ». Dans une autre lettre, le Conseil pour les services aux enfants et aux adolescents de l’Hôpital de Montréal pour enfants (CSEA) s’inquiétait aussi des « conséquences néfastes » que pourrait avoir le projet de loi sur les soins aux enfants.

Dans cette dernière lettre, signée par plusieurs médecins, on rappelle que l’Hôpital de Montréal pour enfants « offre ses services dans plus de 32 langues pour desservir une communauté québécoise de plus en plus diversifiée ». L’un des signataires, le pédiatre intensiviste Saleem Razack, a expliqué en entrevue la semaine dernière à La Presse que « pour faire de la bonne médecine, ça prend une bonne communication avec le patient » et avec sa famille.

Le DRazack souligne que plusieurs études ont déjà démontré que les risques d’erreurs de médication et de chutes, par exemple, sont plus grands chez les patients « avec qui il y a des barrières de langage ». « Il ne faut pas que le projet de loi 96 mette plus à risque ces patients », dit-il.

Québec se veut rassurant

Mardi, le premier ministre François Legault a déploré la « désinformation » entourant le projet de loi 96. Il a assuré qu’il n’y aurait pas d’effet sur les services de santé et que les anglophones et les immigrants pourront être traités dans la langue de leur choix.

Au cabinet du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, on affirme que « d’aucune façon le projet de loi 96 n’empêchera un citoyen de se faire soigner adéquatement ».

MMaldoff remarque pour sa part que des articles prévoient que les services dans le réseau de la santé et des services sociaux devront être rendus en français, sauf pour certaines clientèles d’exception comme les immigrants installés au Québec depuis moins de six mois.

« S’il y a un manque de communication efficace, il peut y avoir des conséquences graves. On parle de diagnostic, de suivi des instructions postchirurgicales […] Ce n’est pas le temps d’ajouter un fardeau sur les épaules des soignants. »

– Eric Maldoff, président de la CSSSQ

L’attachée de presse de M. Jolin-Barrette, Élisabeth Gosselin, indique que plusieurs exceptions sont prévues au projet de loi 96. Un article prévoit par exemple qu’une autre langue que le français puisse être utilisée dans les services publics « lorsque la santé, la sécurité publique ou les principes de justice naturelle l’exigent ».

Cette exception est toutefois jugée vague par la CSSSQ. MMaldoff ajoute que si l’exception parle de « santé », elle fait l’impasse sur les « services sociaux ». Il croit que les exceptions accordées seront « très restrictives ». « Je pense que l’exception de “santé” ne sera appliquée que s’il y a urgence […], dit-il. On nous accuse de désinformation. Mais au contraire, je veux dialoguer. Parce qu’il y a des problèmes dans la loi. »

Professeur de droit à l’Université de Montréal et responsable facultaire de l’Observatoire national des droits linguistiques, Stéphane Beaulac ne partage pas l’inquiétude des groupes de médecins. « Je ne suis pas alarmé du tout », dit-il.

M. Beaulac rappelle que le projet de loi 96 n’est pas encore à l’étape finale et que des ajustements pourraient encore survenir. Certes, l’exception pour « raisons de santé » reste vague. « Mais ça laisse une marge qui permet de moduler pour appliquer de façon raisonnable », dit-il. Pour lui, l’exception est prévue justement pour « éviter l’application zélée et sans considération humanitaire » de la loi.

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