Places en garderie

Lettre à Jules

Quand j’étais petite, je rêvais autant d’être maman que d’être écrivaine et médecin ou professeure dans une grande école. On m’a élevée comme bien d’autres femmes de ma génération, on m’encourageait à avoir de tels rêves et, plus encore, à les réaliser. J’ai eu la chance de voyager, d’étudier dans un domaine qui me passionnait, j’ai rarement senti que les portes m’étaient fermées parce que j’étais une femme, j’ai rarement perçu que je n’étais pas considérée d’égale à égal.

Puis je suis devenue maman.

Je t’ai fait, toi, et tu m’as faite, moi. Ta venue au monde m’a fait réaliser ma force, les nuits passées à te bercer avec papa m’ont appris la patience, et les soirées de coliques m’ont montré l’étendue de ma résilience. Au fil du temps, j’ai apprivoisé tes sourires, tes pleurs, tes joies et tes peurs, mais aussi mon nouveau rôle de maman. Et c’est à ce moment-là que je me suis remise à rêver, à mes projets, à mes études, à mon travail, à ce que je souhaitais devenir pour moi, mais aussi pour toi et pour papa.

Et c’est là que la réalité m’a rattrapée. Au fil des appels, j’ai compris que ce n’était pas possible. Qu’on ne pourrait pas, que ce n’était pas la solution sensée, que je gagnais moins, qu’il fallait que je reste à la maison pour prendre soin de toi, mon amour.

C’est à ce moment que pour la première fois, j’ai compris.

Compris que cette problématique-là, ces dizaines de milliers de familles désespérées qui cherchent sans succès une garderie de tout type et à tout prix pour leur enfant, ça cachait un problème bien plus gros encore.

Compris que tant et aussi longtemps que toutes les familles qui le désirent n’auraient pas accès à une place subventionnée en service de garde, on ne pouvait aspirer à une réelle égalité hommes-femmes au sein de notre société.

Compris à quel point c’était important que les femmes aient le choix de rester ou non à la maison.

Et compris que tout ce qu’on avait bâti par le passé était un château de cartes qui pouvait s’effondrer à la moindre bourrasque.

Mais aussi, je me suis souvenue.

Je me suis souvenue qu’au fil de la dernière année, tu m’avais enseigné l’étendue de ma force, de ma patience et de ma résilience.

C’est donc grâce à toi que j’ai fondé le mouvement #Maplaceautravail. Parce que j’avais besoin que ton papa et moi, on se sente à notre place, à la fois dans notre sphère familiale et dans notre sphère professionnelle. Qu’on puisse se passer le flambeau au gré de nos défis personnels et professionnels.

Parce que l’égalité, c’est de pouvoir aussi connaître la réalité de l’autre.

Au cours des dernières semaines, à cause du mouvement qui prenait de plus en plus d’ampleur et me demandait de plus en plus de mon temps, ton papa a pris sa place auprès de toi. Vous avez développé un lien vraiment fort et tu as compris que tu pouvais te sentir tout autant en sécurité auprès de lui que de moi. Ce fut une libération pour moi, mais surtout une fierté et une réalisation pour lui.

Aujourd’hui, c’est pour moi, pour toi, pour papa, et pour tous les autres que je lance une pétition (« Pénurie de places en services de garde éducatifs à l’enfance », disponible sur le site de l’Assemblée nationale), afin qu’au Québec, chacun puisse la trouver, sa place.

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