Chronique

600 $ pour les handicapés qui s’ignorent

Psst, passez-vous le mot. Ottawa offre 600 $ à tous les handicapés pour les aider à traverser la pandémie. Mais la majorité des personnes admissibles ne savent pas qu’elles ont droit à ce cadeau qui risque de tomber à l’eau.

Hein, moi ? Handicapée ? « Jamais de la vie ! », me lance Nolween Celli quand je lui demande si elle se voit dans cette catégorie. Pourtant, elle souffre depuis l’âge de 11 ans de diabète de type 1, ce qui la force à mesurer son taux de glycémie et à s’injecter de l’insuline plusieurs fois par jour. Sinon, elle meurt en 48 heures.

« Mais dans ma tête, une personne handicapée, c’est quelqu’un en fauteuil roulant », dit la dame qui travaille comme bibliothécaire.

Au hasard de recherches sur l’internet, elle a découvert que son état de santé lui permettait d’obtenir des milliers de dollars d’aide fiscale. Personne ne lui en avait jamais parlé. Ni son médecin. Ni son comptable.

En fait, Ottawa offre le crédit d’impôt pour personnes handicapées (CIPH) qui permet d’économiser 1054 $ d’impôt par an. De son côté, Québec accorde le crédit d’impôt pour déficience grave et prolongée qui représente une économie d’impôt annuelle maximale de 509 $.

Malheureusement, 60 % des Canadiens atteints d’une incapacité ne réclament pas le CIPH, selon un rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales.

La situation est encore plus triste au Québec. Chez nous, à peine 2,2 % de la population demande le CIPH, le taux le plus bas de toutes les provinces. Ce taux est deux fois plus élevé dans les Maritimes.

Pourtant, l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) estime que 16 % des Québécois de 15 ans ou plus vivant en ménage privé ont une incapacité.

Alors pourquoi ne réclament-ils pas le coup de main fiscal auquel ils ont droit ?

D’abord parce qu’ils ne se perçoivent pas comme des handicapés. C’est notamment le cas des personnes qui ont été en forme toute leur vie, mais qui se retrouvent soudainement avec un problème de santé grave (ex. : alzheimer, fibrose pulmonaire).

« Il y a un problème social à se reconnaître comme handicapé », estime Jocelyn Caron, directeur général de Finautonome. Cet organisme est né du constat que les outils pour les handicapés sont largement sous-utilisés au Québec, par rapport au reste du Canada.

D’autres personnes atteintes d’une incapacité n’obtiennent pas les crédits parce qu’elles ne sont pas au courant, parce que les démarches sont complexes ou encore parce que les crédits sont non remboursables, ce qui fait en sorte qu’ils n’ont pas de valeur lorsque le contribuable n’a pas d’impôt à effacer.

Malgré tout, il est crucial de demander le CIPH. « Le crédit d’impôt est un passeport pour une série d’autres mesures », insiste M. Caron.

On le voit ces jours-ci… Pour obtenir le paiement automatique de 600 $ qu’Ottawa s’apprête à verser aux handicapées, il faut disposer du certificat permettant d’obtenir le fameux crédit (1).

Voyant que l’aide spéciale risquait de passer dans le beurre, Ottawa a accordé un délai supplémentaire aux handicapés pour demander le CIPH. D’ici le 25 septembre, ils doivent donc prendre rendez-vous avec leur spécialiste de la santé afin qu’il remplisse le formulaire.

Vite, vite, ça s’en vient bientôt !

Mais le CIPH est un passe-partout qui donne accès à une foule d’autres mesures fiscales très payantes, comme le Régime enregistré d’épargne-invalidité (REEI). Créé en 2008, le REEI demeure largement sous-utilisé, en particulier au Québec.

À peine le quart (26,6 %) des Québécois admissibles au CIHP participent au REEI, un taux qui est encore plus bas chez les francophones et les gens en milieu rural. La majorité des autres provinces se classent mieux, à commencer par la Colombie-Britannique (38,9 %) et l’Ontario (32,5 %).

Il reste donc beaucoup de travail à faire pour faire connaître ce programme extrêmement généreux. Ottawa verse une subvention qui peut atteindre 300 % des cotisations versées, selon le revenu familial du bénéficiaire, ce qui permet d’obtenir jusqu’à 3500 $ par année et 70 000 $ à vie.

Par-dessus le marché, Ottawa verse dans le REEI un bon de 1000 $ par année, pour un maximum de 20 000 $ à vie, aux bénéficiaires à revenus modestes. Même pas besoin de cotiser. C’est de l’argent qui tombe du ciel.

Au total, les personnes handicapées peuvent donc récolter jusqu’à 90 000 $. Il ne faut pas s’en passer !

Mon conseil : si vous êtes atteint d’une déficience grave et prolongée, allez voir un comptable digne de ce nom pour vous aider à faire vos impôts. Il pourrait y avoir des milliers de dollars qui vous pendent au bout du nez.

Quelques petits trucs :

– Il est bon de savoir que les crédits pour personnes handicapées sont transférables si vous n’avez pas assez de revenus pour les utiliser vous-même.

– Si vous êtes passé tout droit, il est possible de retourner 10 ans en arrière pour récupérer une vraie petite manne.

– Le CIPH ouvre la porte à d’autres mesures fiscales, comme la Prestation pour enfant handicapé qui s’ajoute à l’Allocation canadienne pour enfant ou le supplément à l’Allocation canadienne pour les travailleurs. Assurez-vous de ne rien oublier.

– Bien d’autres mesures fiscales s’adressent aux personnes handicapées et à leurs proches. Pour vous y retrouver, consultez le guide des mesures fiscales de l’Office des personnes handicapées du Québec.

1. Les personnes qui touchent des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada du Régime des rentes du Québec (RRQ) ou des Anciens Combattants Canada recevront aussi le versement automatique.

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