Ça ne fait plus aucun doute : chaque famille doit changer ses habitudes pour qu’on atteigne les cibles de réduction de gaz à effet de serre (GES). Et c’est particulièrement vrai pour les plus riches, qui consomment bien davantage.
Oubliez les seuls efforts de quelques grandes entreprises pollueuses. Oubliez les politiques globales des gouvernements, qui nous portent à nous déresponsabiliser du problème. Pour freiner le réchauffement et ses conséquences catastrophiques, il faut que chacun y mette du sien.
Le hic, c’est qu’il n’existe pas de cible pour les particuliers. Personne ne sait comment modifier sa consommation personnelle pour participer à l’effort global. Et aucun gouvernement n’a établi de guide d’action chiffré pour les ménages.
Ces jours-ci, d’ailleurs, la conférence COP23 de Bonn déplore l’inaction concrète des pays, dans le contexte où 2017 sera l’année la plus chaude de l’histoire.
Au Québec, Normand Mousseau, l’expert de l’École polytechnique, va dans le même sens. « Il n’y a absolument aucune stratégie pour atteindre les cibles. On s’est donné des objectifs et on est en train de tous les rater. Ce n’est pas un problème de volonté, mais de mise en œuvre. »
Le professeur a récemment fait appel à un groupe de 24 chercheurs de tous les milieux pour orchestrer une stratégie au Québec et sensibiliser la classe politique. Une proposition publique sera faite en janvier, avec un grand débat en avril. Des solutions passant notamment par la fiscalité, la gouvernance et la reddition de comptes seront proposées.
Un guide pour les familles
Pour ma part, je me suis mis en tête de faire un guide, non pour l’ensemble des acteurs économiques, mais pour les ménages. Car après tout, les consommateurs entraînent une très grande part des émissions de GES.
Pour y arriver, je me suis concentré sur les quatre principaux postes de consommation des familles, soit l’auto, l’alimentation, les voyages en avion et l’habitation. Pour chacun, j’ai calqué l’objectif de Paris convenu en décembre 2015 par près de 200 pays, soit une réduction de quelque 20 % des GES d’ici 2030 (1).
J’ai fait l’hypothèse que cette réduction s’applique au Québec à chacun de ces quatre postes de consommation des ménages (2). S’en est suivie une série de scénarios pour atteindre la cible de 2030.
La tâche s’est avérée colossale, puisque les données sur l’émission de GES par habitant pour ces postes de consommation au Québec sont incomplètes ou inexistantes. Et pour apprécier la cible, il m’a fallu tenir compte de l’évolution de ces GES ces dernières années et de la croissance de la population d’ici 2030.
Une bonne et une mauvaise nouvelle
De l’exercice, il ressort une bonne et une mauvaise nouvelle, notamment.
D’abord, la bonne : le comportement de consommation des Québécois a fait reculer significativement le niveau de GES par habitant, contrairement à la croyance répandue. La baisse est de quelque 10 % depuis 10 ans et de 16 % depuis 20 ans pour les postes auto-avion-alimentation-habitation.
La mauvaise : il faudra faire bien davantage pour atteindre la cible de 2030, soit une réduction additionnelle de 26 % par habitant.
Ces chiffres ne sont pas hors de portée, mais il faudra y mettre du sien… ou subir d’éventuelles taxes aux GES. Deux éléments rendent la tâche difficile : la croissance de la population et la contribution réduite qui peut être attendue du secteur de l’habitation au Québec.
Dans ce dernier cas, les économies de GES des dernières années viennent surtout de la conversion à l’hydroélectricité des maisons chauffées au mazout. Aujourd’hui, près de 80 % des logements sont chauffés à l’hydroélectricité, contre 69 % il y a une dizaine d’années, selon Hydro-Québec. Ces maisons à l’électricité n’émettent aucun GES.
Toutefois, les conversions des prochaines années ne pourront être aussi importantes. Il ne reste plus que 4 % des maisons chauffées au mazout (12 % en 2006), selon Hydro-Québec. Quant au chauffage au gaz naturel et au bois, leur conversion est moins évidente et, surtout, elle ferait économiser moins de GES.
En excluant l’habitation, l’effort de réduction de chaque Québécois devra être de 29 % d’ici 2030, comparativement à une amélioration de 6 % depuis une dizaine d’années. Globalement, les postes auto-alimentation-avion des ménages du Québec sont responsables de l’émission de 3,82 tonnes par habitant en 2015, selon mes estimations, niveau qu’il faudrait abaisser à 2,72 tonnes en 2030 pour atteindre la cible de Paris.
L’objectif risque d’être particulièrement ardu pour le transport aérien, en croissance exponentielle, davantage que pour l’alimentation et l’automobile (voir onglet suivant).
Ce portrait de l’empreinte carbone des ménages fait aussi ressortir un élément central : les riches polluent beaucoup plus que les pauvres. Cet aspect sera traité demain (3).
Soulignons la contribution pour ce dossier de Pierre-Olivier Pineau, de HEC Montréal, mais surtout de Jean-François Boucher, directeur du programme d’études de cycles supérieurs en Éco-conseil de l’UQAC.
1. L’accord de Paris a fixé comme objectif de réduire de 10 à 30 % les émissions de GES de 2010 à 2030. Cet objectif est moins ambitieux que celui adopté par le Canada (baisse de 30 % entre 2005 et 2030), mais il permettrait de limiter le réchauffement de la planète sous le seuil critique de 2 °C.
2. Pour l’alimentation, l’approche « cycle de vie » a été utilisée pour quantifier les GES, plutôt que l’approche « inventaire », car plus représentative de l’impact tangible des comportements des ménages sur l’environnement (études GLEAM de l’ONU et A.D. Gonzalez et coll. dans Food Policy). Pour l’auto, la consommation d’essence (approche inventaire) est responsable de l’essentiel (81 %) des émissions de GES de l’approche cycle de vie (essence plus fabrication de l’auto), selon une étude de CIRAIG.
3. Le transport aérien international n’étant pas pris en compte dans les émissions de GES du Canada, une modération des ménages à ce titre n’aurait pas pour effet de réduire strictement l’inventaire canadien, mais l’inventaire planétaire. Les calculs de GES ont été faits à partir de données de Statistique Canada (Enquête sur l’aviation civile et Enquête sur le nombre de touristes, 427-0004).