Maison

Entrez dans le cabinet de curiosités !

Démodés et résolument européens ? Détrompez-vous : on trouve aujourd’hui encore des cabinets de curiosités chez des passionnés québécois, jouant sur les ambiances et configurations pour créer chez eux d’étranges petites expositions, charmantes ou frissonnantes. Incursion inspirante dans des chaumières où furent injectées des doses d’incongruité.

Le poisson-volant nageant dans sa bouteille de formol me médusait. « Il te plaît ? Je te le donne ! », avait lancé mon grand-père, l’extrayant de son bureau où fourmillaient une foule de bizarreries. Des décennies plus tard, j’appris qu’un nom existait pour ce lieu mystérieusement merveilleux : cabinet de curiosités.

De quoi s’agit-il ? De petites collections privées, ancêtres des musées, regroupant des objets naturels et des artefacts inusités dans un meuble ou une pièce : animaux exotiques conservés, minéraux rares, trouvailles archéologiques énigmatiques, etc. Très populaires dès la Renaissance, ils épataient la galerie ou étanchaient une soif de connaissance, surtout en Europe. Mais ici ? « Au Québec, pas de riches aristocrates invitant leurs pairs au château familial pour montrer avec fierté leurs récentes acquisitions », indiquait-on dans l’exposition L’art mystérieux des cabinets de curiosité, présentée en 2020, à Pointe-à-Callière ; même si plus tard, des Québécois se sont inspirés des  « foires de monstres » (freak shows) à l’américaine ou ont exposé leurs découvertes glanées sur le continent, comme Pierre Chasseur.

Aujourd’hui, trouve-t-on au pays des espaces consacrés à de douces folies ? La réponse est oui ! Malgré de petits écarts par rapport à l’approche traditionnelle, certains ont confectionné des collections très personnelles. En voici un trio de styles variés, suivi de petits conseils pour qui souhaiterait s’amuser à en monter.

Petits objets, grandes histoires

Ce n’est pas bien grand, chez Stéphane Feuilloley. C’est pourquoi il se concentre depuis cinq ans sur les curiosités de petit gabarit, classées sur une douzaine d’étagères dans son entrée. Mais derrière cette multitude de menus objets se cachent de vastes et trépidantes histoires : en vrac, un morceau de la couverture de survie de Buzz Aldrin, des météorites lunaires et martiennes, du poil de mammouth, un fragment du col roulé de Steve Jobs, un morceau de charbon du Titanic, et on en passe !

Fanatique des musées publics aux intérêts éclectiques, M. Feuilloley se plaît surtout à tirer les fils de sa collection insolite pour en dérouler le passé. « Je vais faire des recherches supplémentaires pour en savoir davantage. Par exemple, j’ai un morceau de trinitite, minéral durci par la première bombe atomique américaine, dont je voulais connaître toute l’histoire : comment, quand et où elle a explosé », illustre-t-il.

Chaque étagère est consacrée à un thème, fidèle aux catégories traditionnelles (voir plus bas), mais cet amateur de films d’horreur n’a pas hésité à ajouter des divisions, comme fantastica. Car s’il se veut très sérieux sur l’authenticité des pièces historiques – il ne fait affaire qu’avec des vendeurs très reconnus dans le milieu –, il s’amuse à glisser dans le lot quelques farces et excentricités fictives : du crin de licorne, une sirène de Fidji (tête de singe raccommodée sur un corps de poisson) ou une (fausse) oreille de Van Gogh. « J’essaie de créer un monde autour, comme avec la sirène fidjienne, derrière laquelle il y a toute une histoire », explique-t-il.

Souvent, il rebrasse la collection, découvre de nouveaux détails, des pistes. « Visiter un musée, pour moi, c’est un évènement, et j’essaie de reproduire ce plaisir-là chez moi », dit-il, soulignant que même ses invités les plus troublés finissent toujours par y trouver un intérêt. L’art d’éveiller... la curiosité !

Fantastiques insectes

Il y a 25 ans, André Éthier a isolé des chenilles qui rongeaient son persil. Peu après ont éclos non seulement des papillons, mais surtout une dévorante passion, récoltant toujours plus d’insectes insolites, dans la nature ou... sur eBay. Aujourd’hui, son bureau est garni d’un essaim de cadres où sont exhibées ses trouvailles intrigantes : scarabées, araignées, phasmes, scorpions, de tous coloris et gabarits. On y trouve aussi toutes sortes de fossiles et de crânes, comme une patte d’ours des cavernes fossilisée ou des répliques d’ossements de dinosaures.

« J’ai toujours été attiré par les choses scientifiques. Mais aussi fasciné par les laboratoires bizarroïdes de savants fous qu’on voyait dans les vieux films », confesse ce camionneur de métier. Au risque de passer lui-même pour un docteur maboul ? « La plupart des gens adorent, d’autres sont un peu plus répugnés. C’est leur droit, je comprends qu’on puisse ne pas aimer une tarentule, même si, moi, je trouve ça magnifique », philosophe-t-il.

M. Éthier a lui-même fabriqué certains des cadres de bois et de verre pour y regrouper ses insectes, ainsi qu’un lutrin à vitrine où il dispose des curiosités marines, telle une mâchoire de requin.

Dans ses récoltes, il porte un souci particulier à la légalité, se résignant par exemple à laisser tranquille ce crâne de phoque trouvé dans un parc national. Sa passion a en revanche outrepassé son bureau, puisque têtes animales, taxidermies et fossiles ont envahi plusieurs autres pièces de sa demeure.

« Vingt-cinq ans après, je ne m’en tanne pas. Il y a tellement de couleurs et de variétés chez les insectes, ça me fascine », dit-il.

Une question d’ensemble, en famille

Un cabinet de curiosités doit-il nécessairement exposer des objets historiques, exceptionnels, parfois sinistres ? Pas forcément, celui de Karine Paradis étant particulièrement lumineux et réussi. Dans la salle de jeu familiale, elle a mis à profit de belles bibliothèques en pin pour y disposer les éléments de sa maison qu’elle ne savait où mettre ailleurs. Inspirée par des photos de tels cabinets sur Facebook, elle a cherché à en reproduire l’ambiance.

Sur les étagères, réparties en trois sections, on trouve de petites pièces naturelles admirables collectées dans la nature (écorces, bois, nids, pierres, etc.), de belles bouteilles, de vieilles boîtes à musique, mais aussi des morceaux de costumes d’Halloween fabriqués par Mme Paradis pour ses enfants, chagrinée de les remiser si vite une fois la fête finie : un masque de médecin de la peste, inspiré du jeu Fortnite, ou un crochet de pirate sous cloche de verre.

« Pour moi, un cabinet de curiosités, ça doit nous ressembler. Tous ces objets me parlent, me rappellent quelque chose à moi ou à mes enfants », indique la résidante de Nicolet.

Ne cherchant pas à suivre les règles traditionnelles, cette designer de formation a préféré s’appuyer sur la disposition des éléments pour créer un effet. « Ce n’est pas tant les objets étranges qui m’intéressent que l’esthétique des cabinets, l’ensemble de l’arrangement. J’aime regrouper les objets par trois, de différentes tailles, en jouant avec les volumes », explique-t-elle. Des projets d’harmonisation sont d’ailleurs en l’air : fauteuil assorti, papier peint texturé, portes à repeindre.

Monter son cabinet

Il y a certes une coutume, mais nul n’est contraint de la suivre à la lettre. La marge de manœuvre créative permet d’aboutir à de belles réalisations personnalisées.

Les supports

« Historiquement, un cabinet classique est un meuble à étagères, une table vitrée type muséale, des podiums ou des cloches en verre sur un meuble. Parfois, c’est simplement une installation sur un mur, avec ou sans cadres ou des choses accrochées au plafond », rappelle Thomas Csano, designer ayant signé les collections décalées du Majestique et du Darling. Mais tout est possible : il peut tenir sur une simple étagère, comme occuper une pièce entière, garnissant bibliothèque, bureau, armoire vitrée, cadres, etc. Les matériaux ? Anciens (bois vermoulu, meuble d’antiquaire...) comme modernes (métal, verre intégral...) font l’affaire, selon le style voulu.

La présentation

Autrefois, les objets étaient classés en quatre catégories : artificialia (créations humaines), naturalia (éléments naturels), exotica (objets exotiques), scientifica (instruments scientifiques). Aujourd’hui, tout est permis, mais l’agencement reste important : varier tailles et couleurs, en classant ou mariant. « Il y a le type précis [une collection de coquillages], rassemblé par thème [des coquillages avec du sable, des pierres, du bois, etc.] ou mélangé, en essayant de raconter une histoire, comme des souvenirs d’enfance », indique M. Csano. On s’aide de cloches, cadres, étiquettes explicatives, affiches, lumières... « Le plus important reste que ça soit personnel ! »

Les objets

Pas de momies ? Pas de souci. Les éléments présentés ne sont pas nécessairement des antiquités : ils doivent simplement susciter la curiosité. On peut les trouver dans la nature, les ramener de voyage, les acheter en ligne, chez des antiquaires, voire les fabriquer soi-même. Toujours respecter les cadres éthiques, écologiques et légaux. Pour les objets rares, faire attention aux arnaques et bien s’assurer de la fiabilité du vendeur.

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