Poutine brandit la menace nucléaire

L’aide de l’Occident à Kiev s’intensifie

Le président de la Russie, Vladimir Poutine, qui fait face à une vague de sanctions sans précédent en raison de l’offensive lancée contre l’Ukraine, a brandi dimanche la menace nucléaire pour souligner haut et fort son courroux face au soutien occidental accordé à Kiev.

Lors d’une réunion filmée, le chef d’État a demandé à son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, de « mettre les forces de dissuasion de l’armée russe » en état d’alerte, suggérant qu’il pourrait ultimement être contraint de recourir à l’arsenal nucléaire considérable du pays pour se défendre.

Il a précisé, à l’appui de cette décision, que des pays occidentaux agissaient de manière hostile envers la Russie sur le plan économique et que des membres de l’OTAN multipliaient « agressivement » les menaces contre lui.

Cette mise en garde est survenue avant que Moscou et Kiev n’annoncent la tenue de pourparlers qui doivent se tenir ce lundi en Biélorussie en présence de délégations des deux pays.

Le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, s’est dit sceptique de pouvoir trouver un terrain d’entente avec le chef d’État russe, qui a décrit il y a quelques jours son gouvernement comme une « clique de toxicomanes et de néonazis ».

En attendant un hypothétique déblocage diplomatique, les États-Unis ont fustigé les propos de Vladimir Poutine sur l’arsenal nucléaire russe, l’accusant d’inventer des menaces « qui n’existent pas » pour faire « escalader le conflit » en Ukraine. De la « rhétorique irresponsable », a quant à elle dénoncé la ministre de la Défense du Canada, Anita Anand.

Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a sommé de son côté le dirigeant russe de cesser sa « dangereuse rhétorique » à ce sujet en relevant qu’il s’agissait d’un comportement « irresponsable ».

Lors d’une allocution précédant le lancement de l’attaque contre l’Ukraine la semaine dernière, Vladimir Poutine avait aussi évoqué à mots couverts la menace nucléaire en affirmant que tout pays qui s’opposait à l’atteinte de ses objectifs subirait des conséquences « comme il n’en a jamais connu dans son histoire ».

Signe de frustration

Pavel Podvig, analyste rattaché à l’Institut des Nations unies pour la recherche sur le désarmement, a indiqué dimanche à La Presse qu’il ne croyait pas que le président russe considère sérieusement la possibilité d’une frappe nucléaire contre qui que ce soit.

« Il sait que ça finirait très mal pour la Russie » en raison des risques de rétorsion nucléaire, souligne le chercheur, qui voit dans la sortie du chef d’État russe une façon de signifier haut et fort qu’il est paré à toute éventualité, même la plus extrême, si ses opposants tentent de lui barrer la route en Ukraine.

« C’est un peu comme si vous vous retrouviez dans une dispute à table et que la personne devant vous mettait soudainement sur la table une grenade pour influencer la discussion », illustre M. Podvig.

L’analyste ne peut exclure complètement la possibilité d’un dérapage nucléaire en raison de l’imprévisibilité du dirigeant russe.

« Aucun de mes collègues russes ne croyait vraiment à la possibilité que Vladimir Poutine lance une attaque à grande échelle contre l’Ukraine jusqu’à la journée qui la précédait. Ça ne semblait avoir aucun sens », poursuit-il.

Les menaces du président de la Russie, lancées la veille d’une « session extraordinaire d’urgence » de l’Assemblée générale des Nations unies, ont été perçues par nombre de pays européens comme un signe de sa frustration face aux difficultés rencontrées par les troupes russes sur le terrain.

Kiev sous pression

Après quatre jours d’offensive, les grandes villes demeurent encore sous contrôle des autorités ukrainiennes malgré d’intenses combats, à Kharkiv notamment, dans le nord-est du pays.

L’armée russe a reconnu pour la première fois dimanche avoir recensé des « morts » et des « blessés », sans donner de chiffres.

La capitale, Kiev, demeure sous forte pression. Selon le quotidien The Guardian, des images satellites montraient dimanche qu’une file de véhicules blindés longue de plusieurs kilomètres se dirigeait dans sa direction, ce qui suggérait une intensification prochaine des efforts russes pour la conquérir.

Fedir Popadyuk, journaliste ukrainien établi à Kiev, a indiqué dimanche qu’il avait appris avec consternation à son réveil que le président russe brandissait la menace nucléaire.

« Il y a cinq jours, je pensais que l’invasion et le bombardement de ma ville étaient impossibles. Maintenant, je suis beaucoup moins optimiste sur ce qui peut arriver ou non », a prévenu le jeune homme, qui se cantonne depuis trois jours dans son appartement en raison d’un couvre-feu imposé par les autorités.

Plus de 300 000 Ukrainiens fuyant les violences ont réussi, au cours des derniers jours, à trouver refuge en Pologne ou dans d’autres pays limitrophes, comme la Roumanie.

L’Union européenne, faisant peu de cas des mises en garde du Kremlin, a annoncé dimanche qu’elle entendait pour la première fois financer l’achat et la livraison d’armes dans une zone de conflit en débloquant un budget de plus de 600 millions de dollars pour soutenir l’Ukraine.

Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a précisé que des avions de combat seraient notamment fournis.

De nombreux pays membres avaient déjà annoncé, au cours des derniers jours, l’envoi de matériel militaire. L’Allemagne, notamment, a autorisé la livraison de 1000 lance-roquettes antichars.

« Nous recevons des armes, des médicaments, de la nourriture, du carburant, de l’argent. Une coalition internationale s’est formée pour soutenir l’Ukraine, une coalition antiguerre », s’est réjoui le président ukrainien dans une vidéo décrite par l’Agence France-Presse.

Sanctions et manifestations

Les pays de l’Union européenne ont aussi annoncé qu’ils entendaient exclure les avions russes de leur espace aérien, ce qui a forcé la compagnie russe Aeroflot à annuler tous ses vols vers le Vieux Continent.

De nouvelles sanctions économiques ont été décidées, par ailleurs, pour bloquer les transactions de la banque centrale russe au lendemain de l’éviction de banques du pays du système d’échange interbancaire Swift. Ces mesures ont contribué à faire chuter le rouble, qui a perdu 30 % de sa valeur à l’ouverture des marchés ce lundi.

De nombreuses fédérations sportives internationales ont choisi de sanctionner la Russie pour son intervention en Ukraine, qui a été dénoncée dimanche lors de manifestations importantes dans maintes villes européennes, dont Berlin, où la foule était estimée à plus de 100 000 personnes.

La contestation continue aussi en Russie, où le régime a fait arrêter des centaines de personnes opposées à la guerre. Des oligarques russes, dont Mikhaïl Fridman, l’un des hommes les plus riches du pays, ont notamment demandé publiquement la fin des combats au cours des derniers jours.

« Bien qu’une solution semble malheureusement difficile à trouver, je ne peux que joindre ma voix à celles de ceux qui veulent que le sang cesse de couler », a-t-il déclaré dans une lettre rapportée par le Financial Times.

— Avec la collaboration de Mylène Crête, La Presse, et l’Agence France-Presse

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