France

Cachez ce string !

En France, un réseau féministe s’attaque aux cartes postales « sexy », jugées dégradantes pour la femme.

Paris — Une jeune femme en string gravit le mont Ventoux à bicyclette. Une autre exhibe ses fesses en contemplant un paysage de Provence. Celle-ci se pavane seins nus, Côte d’Azur en arrière-plan. Cette dernière, enfin, triture ses deux boules – de pétanque – sous une légende équivoque : « Vacances épuisantes : l’après-midi on pointe, le soir on tire. »

D’un kitsch absolu, les cartes postales dites « humoristiques et sexy » font partie du paysage français depuis des décennies (voir encadré). On les trouve dans tous les stands à touristes, sur les plages ou à la montagne, entre portraits de chatons et photos de monuments. Vous en avez sûrement déjà vu, peut-être même envoyé à vos amis, en vous fendant d’un commentaire potache.

Rigolo ? Peut-être. Mais pour Femmes solidaires, la blague a assez duré.

Depuis vendredi, ce réseau féministe, qui regroupe près de 200 associations et 10 000 femmes en France, monte aux barricades pour dénoncer ces cartes postales sexistes d’un goût douteux. Leur campagne, lancée sur les réseaux sociaux, vise ultimement leur disparition pure et simple, arguant qu’elles sont moins inoffensives qu’il n’y paraît.

« C’est quand même assez gênant, la manière dont les femmes y sont représentées, explique Carine Delahaie, porte-parole du collectif. On les voit dans des postures humiliantes, dégradantes, complètement offertes, comme si c’était un produit de consommation, jetable. Le problème, c’est qu’on s’y est habitués et qu’on n’y fait plus attention. »

Au-delà des stéréotypes sexistes, qui continuent d’être véhiculés par ces cartes coquines, Femmes solidaires s’inquiète que ces photos à caractère sexuel, voire « parfois réellement pornographiques », ne contribuent insidieusement à la « culture du viol ». Car elles banalisent l’image de la femme-objet.

« Ce qu’on veut dénoncer, nous, c’est le continuum de la violence. »

— Carine Delahaie

« Pour qu’on puisse violer une femme, il faut d’abord qu’on considère que la personne qui est en face de nous n’est pas à égalité et qu’il n’est pas nécessaire de demander son consentement. Or, ces cartes participent d’un certain conditionnement en ce sens », poursuit Mme Delahaie.

Le débat est lancé

Les médias français n’ont évidemment pas manqué de couvrir ce sujet dans l’air du temps.

Mme Delahaie s’étonne en revanche du silence des politiques, et cache mal sa déception devant la réaction ambiguë de Marlène Shiappa, secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui a qualifié la démarche d’intéressante, tout en évoquant les risques de la censure.

Sur les réseaux sociaux, le débat est plus polarisé. Si certains appuient la démarche de Femmes solidaires, d’autres arguent que le collectif se trompe de cible et manque d’humour.

Directeur du Musée de la carte postale à Antibes, près de Nice, Christian Deflandre n’hésite pas, de son côté, à prendre la défense de cette tradition française, certes douteuse, mais sympathique, considère-t-il.

« Ce n’est pas très raffiné, j’en conviens. C’est même rétrograde. Mais c’est l’esprit gaulois ! Où est le problème ? Des femmes à moitié nues, on en voit beaucoup plus sur la plage. Je ne vois pas en quoi on pourrait se choquer. C’est humoristique, pas avilissant. »

— Christian Deflandre

« Si on commence à dire que c’est dégradant pour la femme, que dire des affiches publicitaires qui couvrent nos murs ? », demande-t-il.

Président des éditions Valoire-Estel, l’une des entreprises de cartes postales visées par la campagne de Femmes solidaires, Éric Leconte croit, pour sa part, que cette histoire n’est qu’une « tempête dans un verre d’eau » et avoue ne « pas trop » comprendre la démarche du collectif. Les cartes postales « sexy » ne représenteraient selon lui qu’un « pourcentage ridicule, moins de 1 % » de son chiffre d’affaires, alors que la France est loin, très loin de l’Espagne et de l’Italie dans ce domaine.

À la question : alors pourquoi en imprimer ? Simple loi du marché, répond l’éditeur.

« C’est sûr qu’une belle paire de fesses à droite, à gauche, il y a quand même une clientèle. Voilà. C’est sympa. On déconne en vacances, on rigole et puis c’est tout, dit-il, désinvolte. C’est la demande, que voulez-vous. Il y a quelques années, c’était les dauphins. Alors on mettait des dauphins… J’espère qu’on ne va pas être attaqués par le syndicat des dauphins ! »

« On ne peut plus rien dire aujourd'hui »

Sommes-nous devenus trop politiquement corrects ? Éric Leconte n’en doute pas un instant. « On ne peut plus rien dire aujourd’hui. Trop de démocratie tue la démocratie », lance l’éditeur, découragé.

Mais pour Femmes solidaires, la question relève aussi du bon sens et de la légalité.

« Si les images racistes sont désormais proscrites, pourquoi devrait-on tolérer les images sexistes ? », demande Mme Delahaie. Celle-ci s’étonne, en outre, de voir ces cartes si légèrement commercialisées, alors que la télévision préfère ne pas les montrer et que Facebook a gelé hier le compte du collectif pour avoir « diffusé du matériel pornographique ».

« D’un côté, on nous dit que ce ne sont que des blagues de potaches et que ce n’est pas grave. De l’autre, on nous empêche de les diffuser dans les médias, c’est ironique, non ? »

À savoir si les féministes manquent d’humour, celle-ci rétorque qu’il faut savoir faire la différence entre l’espace public et l’espace privé.

« On n’est vraiment pas contre les cartes postales humoristiques, conclut-elle. Ce qu’on dit, c’est que ce n’est pas obligé d’être une femme-objet.

« Si vous voulez faire rire vos potes, achetez plutôt des cartes postales de petits chiots ! »

Une tradition bien française

La carte postale coquine ne date pas d’hier. On en trouverait sur le marché depuis la fin du XIXsiècle et le filon ne s’est jamais tari depuis. « Il y a toujours eu un public pour ces gauloiseries », résume Christian Deflandre, directeur du Musée de la carte postale ancienne à Antibes. Dans les années 80 et 90, les cartes « sexy touristiques » se multiplient et obtiennent une certaine popularité. Cette niche commerciale, qui prend le parti de l’humour, ne représenterait cependant qu’une part infime du marché de la carte postale (« même pas 2 % », dixit M. Deflandre), marché qui serait lui-même en déclin constant depuis les années 20, une chute qui se précipite depuis l’avènement de l’internet. Les femmes, du reste, n’auraient pas le monopole des cartes postales grivoises. M. Deflandre fait valoir que depuis les années 80, certaines présentent aussi des hommes, parfois dans le plus simple appareil, mis en scène avec leur « engin », parfois caché sous un sombrero. Celles-ci sont toutefois moins répandues, concède le collectionneur.

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