Une voie commune

De tous les enjeux discutés au cours de la brève visite du président des États-Unis au Canada, la fermeture du chemin Roxham a bien sûr retenu l’attention, car elle signale un tournant dans la gestion de la crise migratoire pour les deux pays. Mais Joe Biden et Justin Trudeau ont également fait le point sur des initiatives économiques et environnementales ainsi que sur l’aide à Haïti.

Chemin Roxham

Un accueil accru pour compenser la fermeture

Le Canada acceptera 15 000 demandeurs d’asile supplémentaires

Ottawa — Le Canada acceptera 15 000 demandeurs d’asile supplémentaires en échange de la fermeture du chemin Roxham, mais les contours de l’accord conclu entre le Canada et les États-Unis demeurent flous. Il forcera les demandeurs d’asile à faire leur demande dans le premier des deux pays où ils mettent le pied, peu importe le point d’entrée.

« On va continuer d’augmenter le nombre de demandeurs d’asile qu’on accepte particulièrement de l’hémisphère [Ouest] pour compenser pour la fermeture de ces passages irréguliers », a indiqué le premier ministre Justin Trudeau, lors d’une conférence de presse conjointe avec le président américain Joe Biden.

L’accord qui a été conclu au terme de plusieurs mois de négociations mettra à jour l’Entente sur les pays tiers sûrs. Les détails ont été annoncés au terme de la rencontre entre le premier ministre du Canada et le président des États-Unis vendredi après-midi, mais ils avaient fait l’objet de nombreuses fuites depuis jeudi.

Essentiellement, l’Entente sera désormais appliquée tout le long de la frontière entre le Canada et les États-Unis, y compris aux points de contrôle non officiels comme le chemin Roxham, en Montérégie, que près de 40 000 migrants ont emprunté en 2022. Elle s’appliquera également aux cours d’eau intérieurs.

Dans les deux camps, on s’attend à ce que ces ajustements mettent un frein à la migration irrégulière. La politique s’appliquera aux migrants qui ne sont pas détenteurs de la citoyenneté canadienne ou américaine et qui sont interceptés dans les 14 jours après qu’ils ont franchi la frontière. Si ces personnes sont interceptées au Canada, elles seront refoulées vers les États-Unis, et vice versa.

« Nous travaillons également ensemble pour faire face aux niveaux record de migration dans l’hémisphère », a déclaré le président Biden dans son discours à la Chambre des communes.

« Aux États-Unis, nous élargissons les voies légales de migration pour rechercher la sécurité sur une base humanitaire, tout en décourageant la migration illégale qui alimente l’exploitation et la traite des êtres humains, a-t-il ajouté. Aujourd’hui, je félicite le Canada d’avoir intensifié des programmes similaires. »

L’accord avait été paraphé un an auparavant, mais le gouvernement canadien s’était gardé d’en faire l’annonce. Le document publié en ligne sur le site du gouvernement américain a été signé le 29 mars 2022 par le Canada et le 15 avril 2022 par les États-Unis.

La Presse rapportait en décembre 2021 que le gouvernement Trudeau avait discrètement négocié une nouvelle mouture de l’Entente sur les tiers pays sûrs avec les États-Unis pour colmater cette brèche à la frontière.

Le premier ministre Justin Trudeau s’est défendu d’avoir attendu une année avant d’annoncer la conclusion d’un accord entre le Canada et les États-Unis pour régulariser la situation au chemin Roxham, utilisé par des milliers de migrants pour entrer au Canada de manière irrégulière afin de demander l’asile.

« Ça prend des processus complexes pour gérer nos frontières et ça prend un certain nombre de mois pour aller de l’avant avec cette annonce », a-t-il affirmé.

« On a protégé l’intégrité de notre système et on continue de protéger et vivre nos obligations par rapport aux demandeurs d’asile, mais aussi, on est en train de continuer à être ouverts aux arrivées régulières », a-t-il ajouté.

Legault crie victoire

Le premier ministre François Legault n’a pas caché sa joie vendredi, qualifiant ce dénouement « de très belle victoire pour le Québec ».

« Vous avez devant vous un premier ministre du Québec qui est heureux de savoir que ce soir à minuit [vendredi], enfin, le chemin Roxham va être fermé. »

— François Legault, premier ministre du Québec

Dans un point de presse tenu immédiatement après celui d’Ottawa, M. Legault a tenu à « remercier et féliciter » Justin Trudeau et Joe Biden.

Même si des migrants trouvent d’autres brèches pour entrer au pays, « on peut penser que […] ça va être réparti à la grandeur du Canada », a-t-il ajouté, soulignant que « c’est la responsabilité du gouvernement fédéral de s’assurer que les frontières soient respectées ».

Quant aux 15 000 demandeurs d’asile supplémentaires que le Canada s’est engagé à accueillir, « je pense qu’on a fait notre part, je pense qu’il y a un rattrapage à faire pour qu’il y en ait plus dans les autres provinces ».

À Ottawa, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, s’est indigné d’apprendre le laps de temps entre la signature de l’accord et son entrée en vigueur, qu’il juge « scandaleux au plan politique et humanitaire ». Le porte-parole bloquiste en matière d’immigration, Alexis Brunelle-Duceppe, a réitéré qu’il « reste, par contre, beaucoup de questions avant de nous réjouir ».

Par exemple, on ne sait pas comment les autorités détermineront quand une personne a franchi la frontière et donc comment elles s’y prendront pour appliquer le délai de 14 jours.

« J’espère que cette entente va fonctionner et je ne sais pas pourquoi le premier ministre a pris aussi longtemps pour le faire », a réagi le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, attribuant au passage le « problème avec la migration illégale massive » à Justin Trudeau.

Les appels à la fermeture du chemin Roxham se faisaient de plus en plus nombreux depuis que des milliers de demandeurs d’asile avaient recommencé à l’emprunter pour entrer au Canada après la pause de la pandémie, alors que le point de passage était verrouillé.

— Avec la collaboration d’Ariane Krol, La Presse

Discours de Joe Biden devant le Parlement

« Bonjour, Canada ! »

Ottawa — Modernisation du NORAD, guerre en Ukraine, perturbations chinoises, propulsion de l’économie verte : le président des États-Unis, Joe Biden, a égrené – sans s’attarder à l’un d’eux en particulier – toute une série d’enjeux dans son allocution au Parlement. Un discours sur le thème de la proximité entre voisins qu’il a assaisonné de pointes d’humour et pimenté d’une mise en échec à l’endroit des Maple Leafs de Toronto.

La Chambre des communes était pleine à craquer, vendredi, pour entendre le locataire de la Maison-Blanche prononcer cette allocution qui a duré une trentaine de minutes.

« Good afternoon. Bonjour, Canada », a-t-il lancé en lever de rideau.

Ses quelques mots dans la langue de Molière ont été accueillis par des applaudissements.

« J’ai suivi des cours de français pendant quatre ans à l’école, mais la première fois que j’ai essayé de faire un discours en français, on a ri de moi », a-t-il raconté ensuite dans sa langue maternelle avant de décrire la relation unissant les deux nations voisines.

« Les Américains et les Canadiens sont deux peuples, deux pays qui, à mon avis, partagent le même cœur », a déclaré le 46e président des États-Unis.

Grand amateur de sports, il a fait valoir que cette proximité s’incarnait dans les ligues sportives que partagent les deux nations, notamment au baseball, au basketball et au hockey.

Ce fut l’occasion pour lui de lancer une pique à l’intention des Maple Leafs de Toronto.

« Je dois vous dire, j’aime toutes vos équipes de hockey, mais pas les Leafs », a-t-il lâché.

Pourquoi ?

« Parce que le club a eu le dessus sur les Flyers [de Philadelphie] en janvier. J’ai épousé une fille de “Philly”. Si je ne disais pas ça, je me retrouverais seul dans mon lit, et, mes amis, je vous aime bien, mais pas à ce point », a ri Joe Biden.

Sa femme, Jill Biden, a applaudi, tout comme le premier ministre Justin Trudeau, partisan du Canadien de Montréal.

L’autocratie chinoise contre les « possibilités »

Le ton est ensuite devenu plus sérieux, comme l’imposaient les dossiers à l’ordre du jour, qu’il s’agisse de la guerre en Ukraine, de la lutte contre le trafic de fentanyl ou des modifications apportées à l’Entente sur les tiers pays sûrs.

« J’applaudis la Chine… euh, le Canada », s’est emmêlé Joe Biden alors qu’il parlait de l’accord migratoire en question.

Le président est plus tard revenu sur la Chine pour établir un contraste entre elle, son pays et le Canada.

« [Le président chinois] Xi Jinping m’a demandé si je pouvais décrire les États-Unis – et j’aurais pu dire la même chose s’il m’avait demandé de le faire pour le Canada –, et j’ai dit oui. Un mot : POSSIBILITÉS. Rien n’est à l’épreuve de nos capacités », s’est-il exclamé.

Boutade pour les conservateurs

Le président, qui ne s’était pas privé de décocher des flèches à l’endroit des républicains qui le prenaient à partie lors de son discours sur l’état de l’Union, en février dernier, a cette fois lancé une boutade aux conservateurs lorsqu’il a parlé de la parité hommes-femmes au Conseil des ministres de Justin Trudeau.

« Je suis très fier que nos deux cabinets soient composés de 50 % de femmes », s’est-il félicité.

« Même si vous n’êtes pas d’accord, les gars, levez-vous », a-t-il ensuite balancé spontanément à des élus des banquettes conservatrices qui étaient restés assis, contrairement à leurs collègues libéraux d’en face.

Joe Biden est le neuvième président à prononcer un discours devant le Parlement canadien, le dernier ayant été celui dont il était le vice-président, Barack Obama, en 2016. Il avait eu droit à une longue ovation à son entrée dans l’enceinte, aux cris de Four more years !, même s’il ne pouvait se représenter.

Avant eux, Bill Clinton (1995), Ronald Reagan (1986), John F. Kennedy (1961), Dwight D. Eisenhower (1953 et 1958) et Harry Truman (1947) s’étaient prêtés à l’exercice, dans des contextes géopolitiques variés.

Série d’initiatives conjointes

La visite officielle du président américain Joe Biden a été l’occasion d’annoncer une série d’initiatives entre le Canada et les États-Unis qui sont le fruit de plusieurs mois de pourparlers et négociations. Voici un tour d’horizon des principales mesures.

Haïti 

Le Canada persiste et signe : pas question de mener une force d’intervention sécuritaire pour stabiliser la situation en Haïti. Le gouvernement injectera toutefois 100 millions en aide additionnelle « pour offrir un meilleur soutien policier à la Police nationale d’Haïti » et imposera des sanctions à deux membres de l’élite « qui profitent de la violence et de l’insécurité », a déclaré Justin Trudeau en conférence de presse avec Joe Biden. « Je ne suis pas déçu », a soutenu le président des États-Unis, dont l’administration voulait voir Ottawa prendre les commandes d’une force multilatérale. Il reste cependant d’avis qu’il faut intervenir pour mettre fin au chaos. Mais « toute décision entourant le recours à la force militaire devrait, selon nous, être prise en consultation avec les Nations unies et le gouvernement haïtien », a insisté le locataire de la Maison-Blanche.

Ingérence chinoise 

Si le communiqué conjoint d’Ottawa et de Washington évoque la Chine – sa « coercition économique, ses politiques contraires au marché, ses violations des droits de la personne » –, rien n’a su mieux incarner ses actions perturbatrices que la présence de Michael Kovrig et de Michael Spavor dans les tribunes de la Chambre des communes. « Je suis très heureux de voir les deux Michael. Ils ont pu retrouver leur famille sains et saufs après plus de 1000 jours en détention [en Chine] », a lancé Joe Biden dans son discours devant le Parlement. Ironiquement, la veille, dans la même pièce, on parlait des deux hommes en raison des allégations visant le député Han Dong. Invité à dire s’il croyait que, ainsi que l’avait rapporté Global News, l’élu avait suggéré au consul général de Chine à Toronto de retarder la libération des otages canadiens, Justin Trudeau a éludé la question lors de la conférence de presse de clôture. Invité à se prononcer s’il en ressentait le besoin, Joe Biden est demeuré muet.

Priorité à l’énergie nucléaire

Le grand projet d’électrification des transports aura des conséquences sur la consommation d’énergie. Le Canada et les États-Unis misent sur les avancées dans le domaine des technologies nucléaires pour satisfaire une demande accrue d’électricité, en particulier les petits réacteurs modulaires. Les deux pays souhaitent d’ailleurs en promouvoir l’utilisation ailleurs. « Nous avons l’intention de travailler en étroite collaboration avec les marchés nucléaires émergents afin de promouvoir l’utilisation accrue de l’énergie nucléaire avancée à l’échelle mondiale, tout en garantissant les normes les plus élevées en matière de sûreté, de sécurité et de non-prolifération nucléaires », peut-on lire dans une déclaration commune du département de l’Énergie des États-Unis et du ministère des Ressources naturelles du Canada.

Bornes de recharge

La production de masse prévue de véhicules sans émission dans les deux pays doit s’accompagner d’un déploiement massif de bornes de recharge des deux côtés de la frontière. À ce sujet, le Canada et les États-Unis ont convenu d’harmoniser les normes de recharge et d’instaurer des corridors transfrontaliers pour l’approvisionnement « en carburants de remplacement ». Des sommes importantes sont déjà prévues. On compte puiser dans les 7,5 milliards US prévus dans la Bipartisan Infrastructure Law (« loi bipartisane sur les infrastructures ») aux États-Unis. Au Canada, on puisera dans le fond de 1,2 milliard déjà annoncé pour l’installation d’un réseau de bornes de recharge rapide pour véhicules électriques.

Minéraux critiques

L’accès aux minéraux critiques pour la fabrication des batteries des véhicules électriques est une priorité absolue du gouvernement Trudeau et de l’administration Biden. Résultat : le Canada et les États-Unis s’engagent à mettre sur pied une chaîne d’approvisionnement nord-américaine en minéraux critiques qui soit « solide, respectueuse de l’environnement et résiliente ». « Nous nous engageons à recenser, à acquérir et à exploiter les occasions d’extraction, de transformation, de fabrication et de recyclage des minéraux critiques dans les deux pays afin de diversifier les chaînes d’approvisionnement essentielles aux secteurs de l’énergie propre, des véhicules électriques, des semi-conducteurs, de l’aérospatiale et de la défense, entre autres. »

Nettoyage des Grands Lacs

En cette semaine où les Nations unies ont lancé un avertissement concernant le « risque imminent d’une crise mondiale de l’eau », le Canada annonce qu’il versera 420 millions sur 10 ans pour préserver et restaurer un « trésor national commun » – les Grands Lacs, une source d’eau potable pour 40 millions de personnes. Une annonce saluée par les États-Unis, où la Bipartisan Infrastructure Law prévoit des investissements de 1 milliard pour les activités de nettoyage et de restauration de cet écosystème d’eau douce, le plus grand au monde.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.