Andrew Caddell, un journaliste et fonctionnaire fédéral à la retraite qui habite à l’extérieur du Québec depuis plusieurs années, envisage aujourd’hui retourner à Montréal. Parfaitement bilingue, ancien militant du Non au référendum de 1980 et membre du conseil d’administration du défunt parti Alliance Québec, il a toujours conservé la maison de ses arrière-grands-parents à Kamouraska. « Même après tant d’années à Ottawa, je n’ai jamais arrêté de dire que j’étais montréalais », dit-il.
Il y a quelques semaines, le premier ministre Philippe Couillard a invité les anglophones qui ont quitté la province au cours des dernières décennies à revenir au Québec. « L’anglais n’est pas une langue étrangère au Québec. Elle fait partie de notre histoire et de ce que nous sommes, a-t-il déclaré. C’est le moment de revenir et de bâtir le nouveau Québec ensemble comme nous l’avons toujours fait. »
Coïncidence ou pas, cet appel est survenu dans la foulée du documentaire Québec My Country Mon Pays du réalisateur anglophone d’origine montréalaise John Walker, message d’amour empreint de nostalgie et d’ambivalence adressé à sa terre natale. Il a été diffusé sur RDI le 25 août dernier.
Quand il a entendu l’invitation du premier ministre, M. Caddell a applaudi.
Selon lui, l’initiative est bienvenue, et l’appel aurait même dû être lancé il y a longtemps. Pour les retraités qui songent à revenir comme pour leurs enfants qui peuvent travailler dans les deux langues, « c’est quelque chose qui peut les encourager », croit cet ancien candidat du Parti libéral du Canada dans le Bas-Saint-Laurent.
La Presse s’est penchée sur la déclaration du premier ministre et a interviewé des dizaines d’intervenants, anglophones et francophones, au Québec et ailleurs, pour tenter de déterminer si le moment est bel et bien arrivé pour une sorte d’« exode à rebours » ; et à quelles conditions – pour ne pas dire, à quel prix ?
L’équilibre linguistique, surtout à Montréal, reste un sujet délicat, où des groupes nationalistes sont prompts à réclamer un resserrement des lois linguistiques.
« Tout le monde est bienvenu à vivre au Québec. Mais il faut vivre en français par contre, insiste Maxime Laporte, PDG de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Autrement, on va se retrouver noyé et on va avoir de la difficulté à assurer la pérennité de notre culture et de la langue française – en tout respect des droits de la minorité historique anglophone. »
« Il y a quelque chose qui se passe »
Or, selon Sylvia Martin-Laforge, « les étoiles sont alignées » pour une hausse de l’immigration anglophone au Québec, et les choses commencent déjà à bouger à cet égard.
« Il est trop tôt pour dire que c’est un mouvement, mais il y a quelque chose qui se passe », constate la directrice générale du Quebec Community Groups Network (QCGN), un réseau d’organismes qui œuvrent auprès de la communauté d’expression anglaise.
« Je n’ai pas de chiffre et ça demeure anecdotique », ajoute la directrice générale. Mais « on entend de nos organismes dans les régions que de plus en plus, ils voient des individus qui avaient quitté [le Québec] il y a plusieurs années qui sont de retour, ou pour la retraite, ou pour appuyer leurs parents, ou tout simplement parce qu’ils ont trouvé qu’ils pourraient investir au Québec ».
Bien que certains qualifient la déclaration de M. Couillard de purement électoraliste, la leader communautaire la voit d’un autre œil. « Notre réseau va le prendre à son mot et on va travailler avec lui, ses ministres et la fonction publique pour y arriver. […] On ne se donne pas le luxe d’être cyniques. »
Statistique Canada a dû corriger ses données de recensement cet été après avoir annoncé, à tort, une forte augmentation de la proportion de Québécois de langue maternelle anglaise au Québec depuis cinq ans. Cette proportion a plutôt diminué, a rectifié l’organisme quelques jours plus tard.
Mais en chiffres absolus, la population elle-même connaît une légère, mais constante augmentation depuis les années 80, si l’on se fie à des indicateurs de Statistique Canada tels que la langue maternelle ou la première langue officielle parlée.
Ces chiffres s’ajoutent à ceux du solde migratoire de la population de langue maternelle anglaise entre les provinces canadiennes, toujours négatif, mais dont l’écart se rétrécit graduellement depuis 25 ans.
Un contexte favorable ?
Ainsi, à l’instar de Mme Martin-Laforge, plusieurs croient que le contexte s’annonce favorable à une augmentation de l’immigration anglophone au Québec.
D’abord, le Parti québécois n’est pas au pouvoir, l’option souverainiste perd des appuis et son chef, Jean-François Lisée, a promis un premier mandat péquiste sans référendum.
De plus, 40 ans après l’adoption de la loi 101, la situation n’est pas parfaite, mais les débats linguistiques ne sont plus aussi acrimonieux que dans les années 70.
Ensuite, l’économie de la province va relativement bien. Le taux de chômage est à son plus bas niveau depuis 1976, les prix de l’immobilier demeurent en dessous de ceux de Vancouver ou de Toronto, et l’Alberta souffre du ralentissement de son secteur pétrolier.
« Le principal facteur qui va faire que les anglophones vont venir s’installer à Montréal, c’est l’économie », avance le professeur de l’INRS Urbanisation Culture Société Mario Polèse, qui a beaucoup écrit sur le tort causé à l’économie montréalaise par l’exode des anglophones après l’élection du PQ en 1976. « Le Québec a un taux de chômage plus bas que l’Ontario. Si ça demeure, vous allez voir que les anglophones vont venir des autres provinces parce qu’il va y avoir des emplois. »
Enfin, le Québec est constamment à la recherche de main-d’œuvre qualifiée pour pallier la baisse de sa population active (des 15 à 64 ans). Son taux de natalité trop faible et le vieillissement de la génération des baby-boomers s’apprêtent à faire subir des pressions importantes sur le système de santé et les finances publiques.
Conditions gagnantes
Plus de 500 000 personnes de langue maternelle anglaise ont quitté le Québec de 1971 à 2011. Il est peu probable que l’on assiste à un exode à rebours d’une telle ampleur au cours des prochaines années.
Après tout, au-delà de la politique, ce sont des facteurs très concrets qui poussent quelqu’un à changer de ville, de province ou de pays, dont la famille, la carrière ou le fait de se sentir le bienvenu.
Bon nombre d’« exilés », comme Julia Scott, ont tout simplement tourné la page pour de bon.
Elle se souvient du jour où ses parents se sont lancé un regard, le soir du référendum de 1995. Elle a compris que sa famille ne resterait plus très longtemps au Québec. Ils ont déménagé en Californie trois ans plus tard, une fois ses études secondaires terminées. Elle travaille aujourd’hui comme journaliste dans la région de San Francisco.
Il est hors de question qu’elle retourne un jour habiter dans la métropole, dit-elle, même si le climat politique des États-Unis l’a récemment fait réfléchir à revenir au Canada : « Je ne me sens plus chez moi à Montréal. »
Pour la journaliste, l’appel de M. Couillard devrait être suivi par des gestes concrets s’il est réellement destiné à avoir un impact – mais elle demeure sceptique. « Je me demande si la société francophone du Québec est prête pour le type de changements qu’il serait nécessaire d’apporter pour que les anglophones de l’extérieur se sentent comme faisant partie intégrante de la société. »
Son avis est partagé par bon nombre d’Anglo-Québécois avec qui La Presse s’est entretenue. « Si on est vraiment progressiste par rapport à notre ouverture à bâtir un Québec qui valorise la communauté d’expression anglaise, il faudrait peut-être penser à revoir certains obstacles à cette communauté pour qu'elle puisse vraiment participer à l’économie et à la vie du Québec », propose Sylvia Martin-Laforge.