Commémoration des victimes

« Sentir qu’on n’est pas seuls »

Québec — Québec honorera la mémoire des quelque 10 000 disparus de la COVID-19 le 11 mars prochain. Les drapeaux seront en berne et l’on observera une minute de silence de par la province. Alors qu’ils traversent des deuils complexes, en plein confinement, des endeuillés espèrent enfin « sentir qu’ils ne sont pas seuls ».

Pour Hélène Chamberland, le 11 mars 2020, c’est « la journée du début de la fin ». Le dernier jour où elle a pu embrasser son père. Résidant d’un CHSLD, il a été emporté par la COVID-19 en mai dernier. Elle n’a jamais pu lui dire au revoir.

« Derrière chaque décès, il y a une famille », rappelle-t-elle. « On est quand même 10 000. C’est comme une guerre : ce n’est pas quelque chose d’habituel […], il y a vraiment beaucoup de gens qui souffrent », ajoute la résidante de Québec.

François Legault a annoncé en janvier la tenue d’une journée de commémoration nationale le 11 mars. Depuis, Hélène y réfléchit, imagine la cérémonie. Elle espère y trouver du réconfort. Il faut que ce soit plus qu’une minute de silence, illustre-t-elle. C’est un deuil national, insiste-t-elle.

« C’est communautaire. Et le fait que c’est communautaire, c’est aussi [une façon de] dire qu’on n’est pas seuls », résume Hélène Chamberland.

Le Québec est de loin la province au pays qui compte le plus de décès liés à la COVID-19, avec 10 287 morts jusqu’à présent. Le 11 mars sera la « Journée de commémoration nationale en mémoire des victimes de la COVID-19 », a confirmé vendredi le cabinet du premier ministre Legault.

« La pandémie laissera assurément une cicatrice importante dans l’histoire moderne du Québec », a indiqué le porte-parole du premier ministre, Ewan Sauves.

Une cérémonie au ton « très solennel » et « respectueux » se tiendra de 12 h à 13 h. Le lieu n’est pas encore déterminé. On ordonnera une mise en berne nationale du drapeau du Québec. Une minute de silence sera observée d’un bout à l’autre de la province, dans les établissements de santé et les écoles.

Une coordination se fera entre Québec et les villes pour que des municipalités procèdent également à une cérémonie. « Toute la nation québécoise sera invitée à prendre un temps d’arrêt pour se souvenir », ajoute M. Sauves.

Beaucoup de détails de la cérémonie restent à peaufiner et d’autres évènements pourraient s’ajouter dans la journée, souligne-t-on. Le moment sera aussi l’occasion de rendre hommage « à tous les corps de métier et membres de la société civile qui sont au front pour lutter contre la pandémie », précise le bureau du premier ministre. On peut évidemment penser au personnel soignant.

Deux infirmières ont tenu la main de Denis Bourbeau lorsqu’il a poussé son dernier souffle, le 12 mai. Elles avaient pris soin de mettre de la musique classique. Sa fille, Marie-France, ne connaît que leur prénom. « Je ne les connais pas, je n’ai pas pu les rencontrer », relate-t-elle. Pour elle, il fallait absolument que cette journée de commémoration permette aussi de reconnaître leur travail.

« C’est un maillon tellement important. C’était notre pont entre nous et les disparus », illustre Mme Bourbeau.

« Avec les morts qui se multiplient, les gens sont tannés et ils banalisent. Ils nous disent : “De toute façon, ton père avait quel âge ?” Ce n’est pas de ça qu’on parle. Mon père a été là toute ma vie pour moi, et mes enfants et nous, on n’a pas pu être là pour lui. C’est cruel. C’est à peu près ce que 10 000 personnes ont vécu. »

– Marie-France Bourbeau

Mme Bourbeau espère que la cérémonie apportera un sentiment unificateur. « On a tous été touchés, [la cérémonie] devrait nous réconforter [en rappelant] qu’on n’est pas seuls à traverser ça », précise-t-elle.

Accueil mitigé, deuil complexe

Des gens mourront encore de la COVID-19 le 11 mars prochain, fait remarquer la professeure au département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal Mélanie Vachon, qui a lancé l’initiative virtuelle « J’accompagne COVID-19 » pour briser l’isolement des personnes endeuillées par la pandémie.

Elle indique d’ailleurs que l’annonce d’une journée de commémoration nationale a reçu un « accueil mitigé » au sein de la cohorte d’endeuillés qu’elle accompagne.

« Il y a plusieurs personnes qui trouvaient que c’était encore tôt, alors qu’on vit toujours plusieurs décès par jour au Québec », a-t-elle expliqué. « Pour certains, ça n’a pas de sens, commémorer un proche qu’ils n’ont pas encore pu mettre en terre. Il est difficile de se prêter à un deuil collectif alors que le deuil intime n’est pas fait », dit-elle.

Elle rappelle que de nombreuses familles sont toujours en quête de réponses sur les circonstances entourant la mort d’un proche. « Il y a une espèce de peur que ce soit vide de sens, que ça fasse plus de mal que de bien », précise Mme Vachon.

Parce que la pandémie « a perturbé » tout le processus de deuil, souligne Alain Legault, professeur associé de la faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal.

« Pour chaque personne morte, on peut parler de trois, quatre… Dix personnes endeuillées ? Nous sommes au moins 50 000, 60 000 Québécois en deuil. »

– Alain Legault, professeur associé de la faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal

Ce dernier s’est d’ailleurs adressé en début d’année à François Legault pour lui proposer la création d’une journée nationale de deuil en mars 2021. « Les mesures de confinement ont rendu difficile, voire impossible, la présence de la famille et des proches aidants auprès d’êtres chers lors des derniers jours de leur vie », écrit-il dans sa lettre, que La Presse a pu consulter.

« Il en est résulté beaucoup d’isolement chez les personnes en fin de vie et beaucoup de détresse chez la famille et les proches aidants », ajoute-t-il, rappelant que la pandémie a aussi compliqué la réalisation de rituels de deuil pour les familles – les célébrations funéraires étant limitées à la présence de 25 personnes seulement.

« Tout ce processus-là, c’est le point de départ du deuil », souligne en entrevue Alain Legault, aussi membre du DARD, organisme d’accompagnement. « Ces restrictions et le fait de ne pas avoir été présent au chevet d’un proche, tout cela a laissé des traces », assure le professeur, spécialisé sur la question du deuil.

Sa lettre est cosignée par une vingtaine de professeurs et de chercheurs spécialistes du deuil, d’intervenants en soins spirituels et d’organismes comme l’Association québécoise de soins palliatifs et l’Appui pour les proches aidants.

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