Science  Marais filtrants

les saules filtreurs

Traiter les eaux usées à l’aide des marais plutôt que des usines d’épuration ? L’idée a été mise à l’essai, au Québec, avec plus ou moins de succès. Des chercheurs veulent toutefois relancer cette technologie qui, selon eux, a bien évolué depuis les expériences difficiles vécues par certaines municipalités. Un dossier de Philippe Mercure

Marais filtrants

Faire pousser les saules dans l’eau sale

L’air est nauséabond, les pompes vrombissent et, pour tout dire, les abords de la station d’épuration des eaux usées de Saint-Roch-de-l’Achigan semblent être le pire endroit en ville pour pratiquer le jardinage.

Devant un groupe de chercheurs internationaux provenant tant d’Asie et d’Europe que d’Amérique latine, les chercheurs Michel Labrecque et Jacques Brisson montrent pourtant avec fierté une petite parcelle dans laquelle poussent des saules de quelques mètres de haut.

« Bienvenue sur notre site expérimental de marais filtrant », lance Michel Labrecque, professeur associé au département de sciences biologiques de l’Université de Montréal et conservateur du Jardin botanique.

La scène se déroule à la fin de septembre dans le cadre d’un colloque international sur les phytotechnologies – les technologies basées sur les plantes. Ici, des chercheurs québécois mènent des expériences pour voir s’il serait possible de remplacer les stations d’épuration de petites villes de moins de 5000 habitants par un simple… marais.

« L’idée des marais filtrants est née dans les années 70-80, quand les gens ont réalisé que les marais nettoyaient l’eau. À la sortie des marais, l’eau est épurée », explique Jacques Brisson, professeur au département de sciences biologiques à l’Université de Montréal.

D’où l’idée de les utiliser pour traiter les eaux usées. À Saint-Roch-de-l’Achigan, les chercheurs arrosent leurs saules avec l’eau qui sort des égouts de la ville. Les seuls traitements préalables sont le « dégrillage », qui consiste à faire passer les eaux usées dans des grilles pour retenir les gros morceaux, puis une sédimentation, afin d’en retirer les matières en suspension.

Cette eau sale s’infiltre dans le sol du marais. Les matières organiques sont captées par les racines des saules, qui s’en nourrissent. L’azote est dégradé par les bactéries qui se trouvent naturellement dans le sol. Une partie du phosphore est captée par les saules, une autre est dégradée par les bactéries. Au fond, l’eau est filtrée par plusieurs couches de gravier et de sable.

Le marais expérimental de Saint-Roch-de-l’Achigan fonctionne depuis un an. Et les chercheurs assurent que l’eau qui en ressort respecte toutes les normes environnementales.

Succès relatifs

Les marais filtrants sont très populaires en Europe, notamment en France. Mais au Québec, ce n’est pas tout le monde qui les tient en haute estime. De 1993 à 2012, 19 petites municipalités en ont aménagé sur leur territoire.

Un bilan préparé par le ministère de l’Environnement à la demande de La Presse montre que les succès sont relatifs. À Chelsea, en Outaouais, ni les exigences relatives aux matières en suspension ni celles sur les coliformes fécaux n’ont été atteintes. Le marais a été remplacé par une station d’épuration fonctionnant avec des réacteurs biologiques.

Des 18 marais restants, 8 présentent des « problèmes récurrents » parce qu’ils ne permettent pas d’atteindre les exigences sur l’élimination du phosphore. À Frelighsburg, dans les Cantons-de-l’Est, des problèmes de coliformes fécaux s’ajoutent à ceux du phosphore. Dans la même région, la municipalité de Notre-Dame-de-Stanbridge a même entamé des démarches juridiques dans l’espoir d’être dédommagée pour les coûts supplémentaires engendrés par les problèmes.

L’an dernier, une analyse du Centre des technologies de l’eau a présenté des recommandations pour améliorer la performance des marais. Le ministère de l’Environnement affirme que les municipalités devront s’engager à suivre ces recommandations si elles veulent être autorisées à agrandir leur réseau d’égouts pour accueillir de nouvelles résidences.

Technologies « dépassées »

Selon le professeur Jacques Brisson, ces problèmes découlent du fait que les systèmes qui ont été installés au Québec reposent sur des technologies « dépassées ».

« Ça m’attriste, parce que pendant qu’on essaie de promouvoir les marais filtrants comme une bonne technologie – et c’est le cas ! –, il suffit que quelques mauvais systèmes aient mauvaise presse pour que les gens concluent que ça ne fonctionne pas », déplore-t-il.

Selon Jacques Brisson, la plupart des marais filtrants qui ont été installés au Québec ont été mal conçus. Ils ne mettent pas les eaux usées en contact avec l’ensemble du marais, ce qui diminue leur pouvoir de filtration.

Le professeur Brisson convient cependant que peu importe la façon dont le marais est conçu, celui-ci peut se « saturer » au fil des ans et devenir moins efficace pour capter le phosphore. Il recommande dans ce cas d’ajouter une petite unité prenant en charge le phosphore pour compléter le traitement.

Marais filtrants

Faire d’une pierre deux coups

Pour les ingénieurs municipaux, les eaux usées sont une source de contaminants. Mais pour les arbres, elles sont plutôt riches…  en nourriture.

Cette photo aérienne l’atteste de façon éloquente. On voit ici une plantation de saules commerciale située à Saint-Roch-de-l’Achigan. Certaines parcelles ont été irriguées avec des eaux usées. Les arbres en ont tellement bénéficié que ces zones apparaissent en vert foncé. 

« L’idée est de valoriser ces eaux, qui sont considérées comme un contaminant, en produisant une biomasse qu’on peut transformer en différents produits », explique Xavier Lachapelle-Trouillard, étudiant à Polytechnique Montréal et à l’Université de Montréal, qui a consacré sa maîtrise à la question.

Les saules de la plantation de Saint-Roch-de-l’Achigan servent notamment à fabriquer des barrières antibruit déployées le long des autoroutes.

Une technologie québécoise ?

On attribue généralement aux Allemands le développement des marais filtrants. Mais selon Jacques Brisson, l’invention pourrait en fait être… québécoise. Le chercheur a déniché un brevet datant de 1901 et déposé par Cléophas Mongeau, un Québécois qui a passé l’essentiel de sa vie aux États-Unis. « Le design ressemble vraiment à un marais filtrant vertical. On ne sait pas si ça a été construit, mais je continue mes recherches pour le savoir », dit Jacques Brisson.

Les avantages des marais filtrants

Moins chers qu’une station d’épuration

Favorisent la biodiversité

Captent du CO2

Réservés aux petites municipalités

Montréal devrait-elle remplacer ces stations d’épuration par des marais filtrants ? Non. Les experts calculent qu’il faut au moins quatre mètres carrés de marais pour filtrer les eaux usées produites par un seul habitant. Pour traiter les eaux usées des habitants de l’île de Montréal, il faudrait ainsi des marais totalisant une superficie quatre fois plus grande que le parc du Mont-Royal. Voilà pourquoi le recours aux marais filtrants est prôné uniquement pour les petites municipalités.

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