Témoignage : Aide médicale à mourir et maladie mentale

Aidez-nous à mieux vivre

Les Consultations particulières et auditions publiques sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie ont débuté le 14 mai et se poursuivent cette semaine. J’ai été appelée à y témoigner le 21 mai.

Je veux tout de suite me positionner : je suis contre l’inclusion de la maladie mentale comme seule condition médicale pour l’aide médicale à mourir (AMM).

Ce sujet m’interpelle comme professionnelle en santé mentale, mais aussi en tant que personne vivant avec une maladie mentale depuis l’âge de 23 ans.

Pendant plus de 20 ans, je pensais vivre avec un trouble dépressif. Au mois de mars 2021, j’ai eu ma plus récente rechute. J’ai été découragée, ayant suivi tous les traitements recommandés. Cependant, le problème n’était pas le traitement, mais le fait que je n’avais pas le bon diagnostic ! On m’a diagnostiqué il y a environ trois semaines un trouble bipolaire de type 2, un trouble mental considéré comme grave et persistant.

Les mois qui ont précédé le diagnostic ont été particulièrement houleux ; j’ai même pensé sérieusement au suicide.

Heureusement, j’ai appelé 1-866-APPELLE et l’intervenante m’a aidée à me raccrocher à la vie. C’est pour cela qu’on a ce type de services. Pour nous aider à traverser nos moments les plus laids. Pour nous aider à retrouver de l’espoir. Je ne voulais pas mourir, je voulais arrêter de souffrir.

Maintenant, ayant commencé un traitement prometteur, j’ai grand espoir dans mon rétablissement. Eh oui, même après plus de 20 ans et plusieurs rechutes. Non seulement je suis en vie, mais je compte le rester.

Une personne sur cinq

Oui, c’est mon histoire personnelle, mais je suis loin d’être exceptionnelle. Près de 20 % de la population du Québec, soit une personne sur cinq, souffrira d’une maladie mentale au cours de sa vie. De plus, le suicide demeure problématique. La maladie mentale ainsi que le suicide sont des problèmes de santé publique qui nécessitent une réponse de santé publique.

L’inclusion de la maladie mentale comme seul motif dans la Loi concernant les soins de fin de vie est une réponse politique à un problème de santé publique. Cette loi individualise un problème sociétal, celui où la maladie mentale est encore taboue, stigmatisée, où l’accès aux services en santé mentale est très difficile, où la recherche en psychiatrie est sous-financée, où le financement des programmes de promotion et de prévention en santé mentale continue à diminuer.

Le problème est que nos gouvernements successifs ont décidé de ne pas investir dans ce qu’il nous faut pour améliorer notre santé mentale en amont ni dans ce qu’il nous faut pour nous rétablir quand on est déjà malade.

On se retrouve plutôt à débattre de l’inclusion des personnes atteintes de maladies mentales à l’AMM pour supposément nous aider à mieux mourir quand on n’a même pas accès aux services minimaux pour nous aider à mieux vivre. Dans ce contexte, en donnant le OK à l’AMM avec pour seul motif la maladie mentale, on nous donne un signal clair de désengagement face à la santé et la maladie mentale. On lance un message aux gens comme moi qu’il n’y a pas d’espoir.

Pourtant on investit dans la prévention du suicide. Pourtant on sait que ce n’est pas la mort, mais la fin de la souffrance que les personnes cherchent lorsqu’elles pensent au suicide, lorsqu’elles tentent de se suicider, lorsqu’elles se suicident. On dit et on le répète : le suicide n’est pas une option. Comment réconcilier l’AMM avec cela en sachant que 90 % des personnes qui meurent par suicide ont une maladie mentale ? Comment différencier ce « désir de mourir » par l’AMM du « désir de se suicider » ?

On nous dit qu’on ne peut pas exclure la maladie mentale comme seul motif de l’AMM pour ne pas discriminer contre les personnes vivant avec une maladie mentale. Tout un argument considérant que nous sommes discriminés et stigmatisés dans la vie : accès au logement, au travail, aux assurances invalidité ! L’argument de la discrimination face à la mort ne peut être considéré comme légitime lorsqu’il y a une discrimination face à la vie.

Les 20 dernières années n’ont pas été des plus faciles pour moi côté santé mentale. Les derniers mois ont été des plus difficiles. Pourtant, je suis encore en vie et je veux le rester. Je sais que le chemin vers mon rétablissement sera parsemé d’obstacles, mais j’apprends tranquillement, petit pas par petit pas, à me reconstruire. Le rétablissement ne signifie pas l’élimination de tous nos symptômes. C’est plutôt un processus de reconstruction de notre identité, une identité qui inclut la maladie mentale, mais qui n’est pas limitée à celle-ci.

On est nombreux comme moi au Québec à emprunter ce sentier cahoteux. Plutôt que de nous arrêter à mi-chemin de notre parcours, donnez-nous une chance, aidez-nous à continuer à avancer et à vivre dans la dignité.

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